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Mireille Darc et Serge Gainsbourg


Lorsqu’elle fut révélée au grand public, Mireille Darc incarnait avec Brigitte Bardot une nouvelle génération d’actrices, au jeu plus spontané et naturel, tout en fraîcheur, et qui symbolisaient aussi un tout nouveau type de femme, libérée et émancipée. Plus que sa voix (pas vraiment celle d’une chanteuse), c’est certainement sa beauté, sa popularité et son personnage qui ont attiré Serge Gainsbourg et l’ont amené à lui écrire des chansons, sans doute les plus réussies de son mince répertoire.

Née Mireille Aigroz à Toulon le 15 mai 1938, cette blonde fatale est déjà l’une des actrices françaises les plus appréciées (grâce à ses rôles dans Les Barbouzes ou Galia, de son réalisateur-fétiche Georges Lautner) quand elle tente elle aussi sa chance dans la chanson. La « Grande sauterelle » – ainsi qu’elle a été surnommée par Michel Audiard suite à sa participation au film du même nom – chante pour la première fois sur disque à vingt-sept ans, lorsqu'elle enregistre pour Polydor le 45-tours 4-titres Déshonorée, entièrement écrit par Maurice Vidalin et Jacques Datin et arrangé/orchestré par Alain Goraguer. Fin 1965, elle enchaîne avec un autre simple, Libertad, où l’on trouve en premier titre de la face B La Cavaleuse, chanson écrite par Serge Gainsbourg (la seule du disque à être dans ce cas, les trois autres titres étant du duo Vidalin-Datin) et avec des arrangements de nouveau signés Alain Goraguer. La Cavaleuse a un texte dur et sombre, qui semble jouer un peu sur l’image de vamp de Mireille Darc : « Hier / A un goût amer / Avant- / Hier un avant- / Goût de ce qu’é- / Tait hier et / Certains / Jours n’en ont aucun ». Comme Déshonorée, le disque aura un succès de curiosité, sans plus.

« Nous avions des rapports de chien et chat. On se cherchait l’un l’autre, avec tendresse et amusement. On ne s’est jamais tout à fait trouvé. À ce moment-là, on parlait beaucoup de moi et je n’étais réceptive ni à ce monde, ni à ce mode de vie. » (1)

Le 29 juin 1966, Mireille Darc passe en compagnie de Serge Gainsbourg à l’émission de télévision Tilt Magazine, où elle mime les onomatopées de Comic Strip, une chanson que Serge Gainsbourg a enregistrée à Londres quelques jours auparavant en compagnie de la choriste noire américaine Madeline Bell et dont le disque est sur le point de sortir. Mireille Darc vient alors de publier un nouveau 45-tours dont le titre-phare est Ne cherche pas à plaire, un duo avec France Gall. En janvier 1967, France Gall se rend même à la première du film La Grande sauterelle en compagnie de… Serge Gainsbourg.

Le 22 octobre 1967, Mireille Darc et Serge Gainsbourg apparaissent ensemble dans une autre émission, Le Petit dimanche illustré, réalisée par Raoul Sangla et où France Gall et l’actrice Haydée Politoff sont également invitées. Les trois jeunes femmes figurent tour à tour dans la séquence où Serge Gainsbourg (apparemment ravi de se retrouver en si belle compagnie) interprète sa reprise d’Ah, si vous connaissiez ma poule ! de Maurice Chevalier. On les voit aussi lors de son play-back sur Monsieur William et Comic Strip, où Mireille Darc mime à nouveau les chœurs, mais cette fois-ci avec Haydée Politoff et France Gall. Mireille Darc est alors à l’affiche dans son premier film estampillé « Nouvelle Vague », Week-End de Jean-Luc Godard, où elle donne la réplique à Jean Yanne.

22 octobre 1967 Mireille DARC chante en direct "Ouvrez les guillemets, fermez les guillemets" accompagné par Serge Gainsbourg au piano.

À la fin du Petit dimanche illustré, Mireille Darc interprète La Cavaleuse en play-back, puis, en direct avec Serge Gainsbourg au piano Ouvrez les guillemets, fermez les guillemets, un titre écrit « le jour d’avant », dixit Serge Gainsbourg. Il s'agit en fait un duo initialement prévu pour Brigitte Bardot et Sacha Distel, qui enregistreront à la place La Bise aux hippies pour le Show Bardot. Ouvrez les guillemets, fermez les guillemets, plus ambigu que La Cavaleuse, ressemble beaucoup à un dialogue de sourds entre un homme et une femme qui serait tenu lors de l’acte amoureux : « Tu m’as enlacée / Ouvrez les guillemets / « … » / Fermez les guillemets / Tu m’as embrassée / Ouvrez les guillemets / « … » / Fermez les guillemets », chante Mireille Darc d’une voix grave et mal assurée. En tout cas, comme dans La Cavaleuse, la femme n’a pas le beau rôle et elle en prend pour son grade. Une fois de plus…

« Les chansons, ce n’était pas sérieux, c’était plus un jeu entre nous, tout s’est fait simplement, j’aimais les moments où, en studio, il me dirigeait, il créait une atmosphère, il y avait très peu de lumière et il misait tout sur le souffle. » (2)

Quelques semaines plus tard, Mireille Darc publie chez Philips son premier et unique 33-tours, « Compartiment 23 », une compilation de ses 45-tours où l’on retrouve La Cavaleuse.

« J’ai vu Serge juste après sa séparation avec Bardot, il était un peu paumé, mais il ne m’a pas fait beaucoup de confidences. À propos de Je t’aime moi non plus, on a dit parfois que je lui avais demandé de me la faire chanter après le renoncement de Bardot. Ce n’est pas tout à fait vrai. C’est lui qui m’en a parlé, comme il en a parlé à d’autres. Je ne connaissais même pas la chanson à ce moment-là, mais on en a discuté, on s’est dit que ça pourrait être amusant de la faire ensemble, mais ça n’a pas été plus loin, car il a rencontré Jane Birkin très vite après… La première fois que je l’ai entendue, c’est Jane qui la chantait, je trouvais la chanson sublime. Évidemment, ça m’a amusée, puisque Serge a pensé à moi pour l’interpréter, il m’en avait parlé quelque temps plus tôt, il m’a dit qu’on devrait essayer. Mais je n’ai aucun regret : si, vraiment, on avait dû la faire ensemble, on l’aurait faite. On ne se serait pas contentés d’en parler ! » (3)

Même s’il comporte des signatures prestigieuses (Frédéric Botton, Maurice Datin, Alain Goraguer, Jean-Jacques Debout), « Compartiment 23 » ne marche que moyennement. Après sa rencontre avec Alain Delon (sur le tournage du film Jeff), Mireille Darc, tout en continuant sa carrière cinématographique, décide d’enregistrer à nouveau et durant l’été 1968, elle refait appel à Serge Gainsbourg, qui lui écrit pour un 45-tours Hélicoptère, un texte sur la jalousie, où une femme s’adresse à l’homme qu’elle aime sans qu’il l’entende : cachée dans un hélicoptère, elle l’espionne avec des jumelles alors qu’il se prélasse sur une plage et elle finit par voir qu’une autre femme le rejoint. Le jour où il doit présenter la chanson à Mireille Darc, Serge Gainsbourg est alors en plein tournage du film Paris n’existe pas de Robert Benayoun : à quatre heures de l’après-midi, il n’a pas écrit une ligne alors que la séance d’enregistrement de Mireille Darc est prévue dans la soirée. Qu’à cela ne tienne : sitôt sa journée finie, Serge Gainsbourg repasse chez lui (il vit alors à l’Hôtel, rue des Beaux-Arts, avec sa nouvelle conquête Jane Birkin) et sort d’un tiroir une vieille chanson inutilisée, qu’il arrive à caser sans aucun problème – on ignore encore à qui il la destinait à l’origine. Mireille Darc jouera même dans une sorte de scopitone consacré à ce titre, réalisé pour la télévision.

« Il a écrit Hélicoptère pour moi, en 69, mais ce n’est pas vraiment un homme dont je puisse dire que je l’ai connu. La chanson ? Je ne m’en souviens plus vraiment, tout ce dont je me souviens, c’est que nous l’avions faite avec beaucoup de plaisir sur le moment. Après cela, nous ne nous sommes pratiquement plus revus. » (4)

Là encore, le public réagira plutôt tièdement, et le 45-tours deviendra assez vite une pièce de collection. Trop accaparée par ses rôles au cinéma, Mireille Darc ne chantera plus qu’occasionnellement, aussi bien sur disque qu’en télé – le plus souvent, ce sera sur des chansons de Michel Sardou, un de ses meilleurs amis.

En octobre 1980, Mireille Darc et Alain Delon participent à une soirée de prestige de la maison Cartier, organisée sous une gigantesque tente installée place Vendôme. À quelques tables de la leur, Serge Gainsbourg et Catherine Deneuve sont mitraillés par les photographes de presse, tout cela étant filmé par la caméra de Raymond Depardon pour les besoins de son documentaire Reporters. Les deux couples semblent s’ignorer royalement.

On en serait resté là si en 1991, un inédit de Mireille Darc signé Serge Gainsbourg et enregistré lors des mêmes séances qu’Hélicoptère n’avait été exhumé : c’est Le Drapeau noir, qui sera publié en CD comme titre bonus de la réédition de « Compartiment 23 », dans le cadre du coffret Actrices – notons que la musique a été réutilisée par Serge Gainsbourg dans l’une de ses publicités pour l’anisette Martini en 1970. Il s’agissait très probablement d’une chanson prévue pour la face B du 45-tours Hélicoptère (celle finalement utilisée, Le Pont des invalides, n’a rien à voir avec Serge Gainsbourg, puisqu’elle est signée Gilbert Bécaud et Pierre Delanoë). Les paroles plutôt osées – le « drapeau noir » en question désigne une petite culotte, mais on pourrait aussi y voir une métaphore du sexe de la femme – avaient dû déplaire à la maison de disques : « Là-haut flotte / Ma culotte / Un petit drapeau noir / Dans le vent du soir ». On y entend Mireille Darc rire de bon cœur à la fin, Serge Gainsbourg ayant sans doute eu recours au vieux truc des chatouilles, comme avec France Gall du temps de Pauvre Lola.

« Je garde un souvenir tendre et amusé de cette période. Depuis, quand on se croisait dans une soirée, on éclatait de rire. D’un coup d’œil, on se souvenait de cette époque. Il y avait alors une grande complicité entre nous. » (5)

Pendant quelques années, Mireille Darc, devenue réalisatrice de reportages pour la télévision, avait plus ou moins délaissé la comédie, même si elle avait joué au théâtre avec son grand amour Alain Delon. Dans ses mémoires Tant que mon cœur battra, sorties en 2004, elle n’évoque pas Serge Gainsbourg... Oubli involontaire, peut-être ?

« Il n’y a pas eu, entre lui et moi, cette amitié qu’il a vécue avec d’autres actrices. En fait, nous ne nous sommes pas rencontrés. Peut-être est-ce dû à la période délicate qu’il traversait alors. Il m’étonnait, m’amusait, il me touchait et je garde une grande admiration pour lui, mais je ne l’ai pas vraiment connu. Aussi, aujourd’hui, je ne veux pas essayer de l’accaparer comme on fait alors avec les êtres exceptionnels. Moi, je n’en ai pas le droit. » (6)

Frédéric Régent

(Propos de Mireille Darc : extraits de Paris-Match (1 et 5) et d'une interview accordée au Journal du Dimanche en mars 1991 (2, 3, 4 et 6).

Ce livre est la somme de sept ans de travail, d’enquêtes, et de témoignages extraordinaires et souvent inédits. Frédéric Régent signe là un ouvrage passionnant de bout en bout qui non seulement fera référence auprès des fans mais permettra d’élargir le cercle – pourtant vaste ! – des amateurs de Serge Gainsbourg.

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