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« L’idole des Pieds-­Noirs » : Enrico Macias vu par Jean-Michel Boris

« La première fois que j'ai vu Macias, raconte Jean-­Michel Boris, ancien directeur de l’Olympia, c’était en 1964, il passait en vedette américaine des Compagnons de la Chanson. Là, j'ai vu arriver un gars un peu pataud mais très gentil et sympathique. À l'époque, il était un peu “enveloppé“ et reconnaissait volontiers qu'il n'avait pas un physique de chanteur. »



5 février 2014, Place Blanche : inauguration de la Promenade Jacques Canetti (photo : R. B.). Jean-Michel Boris entre Rébecca Maï et Liliane Bouc.

JEAN-MICHEL BORIS : Enrico Macias est un musicien populaire au vrai sens du terme, un grand mélodiste, dont les musiques donnent immédiatement envie de danser et de chanter. À chaque fois qu’il était à l'Olympia, on « faisait un kif » ! Toute la salle reprenait ses chansons en chœur, les femmes se mettaient un foulard autour de la taille et montaient sur la scène en poussant des youyous... C'était véritablement la fête et, d’ailleurs, on n'envisageait pas autrement un spectacle avec Enrico !


Avec Macias, l’Olympia était toujours plein, et toutes les communautés se retrouvaient. Dans la salle, il y avait beaucoup de Pieds-­‐Noirs, Enrico était vraiment leur idole. Les Pieds-­Noirs ne sont pas un public très facile : ils s'interpellent d'un bout à l'autre de la salle, changent de fauteuils, parlent fort... C'était un peu l'ambiance des synagogues fréquentées par les séfarades ! Après le spectacle, tout le monde voulait aller saluer Enrico – « Mais je suis son cousin ! » – et il fallait bloquer l'accès aux loges et gérer cette exubérance... Un mois avant la première, Enrico me téléphonait tous les jours, visiblement inquiet : « Alors, comment ça va, la location ? » Depuis, c'est devenu une private joke entre nous lorsqu'on se revoit !


La seule fois où l'on a eu quelque inquiétude, c'est lors des événements de Sabra et Chatila, en 1982. Nous n'étions pas dans une époque de terrorisme, mais j'ai quand même craint qu'il y ait des problèmes... J'ai convoqué le personnel de l'Olympia et leur ai demandé d'être très vigilant, de procéder à la fouille des spectateurs à l'entrée...


Pour beaucoup de musiciens, venir à l'Olympia était une fête, un moment de bonheur, choses qui n'existaient pas dans les autres salles. C'était exceptionnel et je pense que la personnalité de Bruno y a été pour beaucoup. Par la suite, j'ai fait ce que j'ai pu pour maintenir cet état d’esprit. J’ai toujours été heureux de voir arriver Enrico parce que je savais qu'on allait passer trois semaines de bonheur. On sortait de la guerre d'Algérie et, à travers Macias, tous les rapatriés retrouvaient leurs racines, le pays où ils étaient nés ou dans lequel ils avaient passé une grande partie de leur vie. Les spectacles d'Enrico Macias étaient porteurs d'émotions très fortes.


Le trio de Martial Ayela accompagnait Enrico en tournée mais pour l'Olympia, Jean Claudric faisait les orchestrations, qui étaient en général celles qu'il avait écrites pour le disque, et il dirigeait le grand orchestre. »


Entretien avec Jean-Michel Boris, 22 juillet 2008.

Propos recueillis par Raoul Bellaïche.


Extrait de JE CHANTE MAGAZINE n° 12, numéro toujours disponible (cliquez sur la couverture).




Jeanne Tallon, ouvreuse à l’Olympia de 1964 à 1999, a raconté son expérience dans un livre paru en 2004 (Jeanne Tallon : J’étais ouvreuse à l’Olympia..., Fayard). « Comment organiser le placement de deux mille personnes qui ne restent pas une seconde en place, qui s’interpellent d’un rang à l’autre ? Je n’ai connu qu’un seul autre public aussi turbulent que celui d’Enrico Macias : les enfants », résume-­t-­elle.

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