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Jean-Pierre Ferland (1934-1924)

Rencontre de Claude-Yvan Perey avec Jean-Pierre Ferland en 1996 aux Francofolies de La Rochelle.



Tous les Français connaissent Je reviens chez nous, même s’ils n’en connaissant pas le titre. Ils disent : « Fais du feu dans la cheminée... » C’est une chanson qui fait presque partie du folklore, dans la mesure où on pense qu’elle est anonyme... Dans quelles circonstances l'avez- vous écrite ?

J'ai écrit Je reviens chez nous au moment où j’avais décidé de re- tourner à la maison, au bout de quatre ans de séjour parisien. C’était à Paris, dans une petite chambre d’hôtel du huitième arrondissement. Quand je l’ai écrite, je me suis dit : « Les Français vont aimer cette chanson ! » J’en étais sûr. Nana Mouskouri l’a reprise et chantée dans sept langues. Du jour au lendemain, tout le monde s’est mis à chan- ter Je reviens chez nous, jusqu’aux accordéonistes de Paris. C’est alors que monsieur Eddie Barclay m’a dit : « Vous êtes fou de repartir après quatre ans de travail. Avec cette chanson, vous devenez une vedette ! » Je lui ai répondu : « Ma chanson est vraie : au bout de quatre ans, il faut que je retourne ». J’étais obligé, mais c’est ma chanson porte-bonheur.


Félix Leclerc, qui ne chante habituellement que ses textes, a interprété quelques-unes de vos chansons. Ça a dû être une grande joie pour vous ?

A l’époque où il m’avait repris Ton visage, il était le plus connu des auteurs-compositeurs-interprètes et c’était extrêmement touchant. Quand je suis arrivé en France, en suivant ses traces, quelques années plus tard, les Français me disaient : « Ah ! vous chantez du Félix Leclerc ! » Je disais : « Oui, mais seulement une chanson ! » C’était un véritable honneur de se faire interpréter par quelqu’un comme Félix qui n’avait pratiquement jamais chanté les chansons des autres. Mais j’étais son préféré, il m’aimait beaucoup et j’avais un grand respect pour lui. Quelque temps avant sa mort, il était venu à la maison, on avait passé deux jours ensemble, et en partant, il m’avait laissé un petit mot : « Je partirai avant toi, la clé est sous le paillasson... »


Vous faites partie des grands de la chanson québécoise, mais à la différence de Leclerc et de Vigneault, qui chantent la terre et la nature, vous, vous avez plutôt toujours chanté le macadam, parce que vous êtes un homme de la ville...

Le macadam et les femmes... parce que j’ai fait ce métier pour rencontrer des femmes ! À ce niveau, j’ai bien réussi ma carrière ! (rires) Contrairement à d’autres, je n’ai jamais eu peur des modes musicales. Je les ai toujours acceptées, parce que, quand il y a une mode musi- cale, ça veut dire qu’il y a un trou, une demande, il y a un manque, quelque part. Alors, quand on suit les modes, quand on décide d’écrire comme on le pense et comme on le veut, on est bien nourri, on a un bagage derrière nous. Il ne faut lever le nez sur aucune mode musicale, je fais bien attention à ça. J’ai un autre principe, et c’est pourquoi je reste chez nous : pour pouvoir être international, il faut d’abord être local, pour être original, il faut aussi être local. Il faut rester et écrire chez soi. C’est ce que j’ai fait.


Vos chansons parlent beaucoup des relations amoureuses, pas toujours simples, et votre dernier disque, qui s’appelle « Écoute pas ça », est, en fait, une succession de déclarations d’amour...

Quand on a une sale gueule, comme la mienne, il faut absolument être populaire pour compenser, sinon les femmes ne vous aimeront pas... Je n’avais pas une gueule pour me faire aimer par les filles ! Alors, j’ai voulu être populaire pour gagner leurs cœurs... Au bout d’un certain temps, on a des succès, mais aussi des échecs. Quand on veut les femmes les plus extraordinaires du monde, on risque de se faire très mal, aussi. J’ai eu des gros chagrins d’amour, je n’ai pas écrit dans ces moments-là, j’ai attendu pour décanter un peu. C'est le fait d’avoir vécu une vie d’amour intensive qui m’a fait écrire. On ne trouve pas les mots d’amour dans les poubelles : il faut aller les chercher dans le cœur des filles...


Les chagrins d’amour, ça peut aussi aider à faire des chansons...

Absolument, mais je vous avoue que je m’en serais bien passé ! Un chagrin d’amour, ça fait très mal, même quand on dort...


Quel souvenir gardez-vous de la boîte à chansons que vous teniez avec, notamment, Claude Léveillée dans les an- nées 60 ?

C’est nous qui avions fondé la première boîte à chansons. On a eu des visiteurs extraordinaires : Édith Piaf venait nous voir très souvent, Yves Montand, aussi, avec Simone Signoret, Félix Leclerc... Tous les chanteurs qui étaient de passage s’arrêtaient à notre boîte. Ça a été difficile parce que c’étaient nos débuts, on ne connaissait pas le public, mais on a appris sur le tas. On s’est rendu compte que la vie ar- tistique serait très dure.


Vous souvenez-vous de vos premières scènes parisiennes, de l’Olympia avec Marie Laforêt et Michel Simon, en 1969, je crois ?

La première fois que j’ai chanté à Paris, c’était à La Tête de l’art, dans un spectacle où Amalia Rodrigues était la vedette. Un samedi soir, à l’Olympia, Marie Laforêt avait eu un malaise, et je me souviens de la réaction de Bruno Coquatrix : « Marie, un samedi soir !... » Je me suis dit que le show-business français était bien dur... Moi, je suis arrivé au paroxysme de Brel, qui n’était pas vraiment mon idole, car je lui préférais Ferré et Brassens. Mais on avait quelque chose en commun puisque les gens nous comparaient souvent. J’ai passé quatre années difficiles à essayer d’effacer cette comparaison...


Propos recueillis par Yvan-Claude Perey à La Rochelle,

le 15 juillet 1996 pour Radio Bleue. (« On connaît la chanson »)


• Interview publiée dans JE CHANTE MAGAZINE n° 5

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