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Anne Sylvestre et Pauline Julien : Gémeaux croisées


Avec la parution récente de l'album « Gémeaux croisées » (EPM), toute l'œuvre enregistrée d'Anne Sylvestre est désormais disponible !

Une vieille amitié lie Anne Sylvestre et Pauline Julien, depuis l'époque où la chanteuse « canadienne », lors de ses fréquents passages à Paris dès le milieu des années 50, se produisait dans les cabarets rive gauche. En 1963, déjà, sur un de ses premiers 33 tours, Pauline Julien enregistrait Mon mari est parti.

Quinze ans plus tard, à partir de 1978, sur chacun de ses albums, elle fait découvrir au public québécois les nouvelles chansons d'Anne Sylvestre (Non, tu n'as pas de nom, Une sorcière comme les autres, Portrait de mes aïeules, Je cherche mon chemin, Rien qu'une fois). Anecdote révélatrice : lorsque Pauline Julien vient en France chanter au Grand Échiquier, Jacques Chancel la félicite pour ses textes, croyant qu'elle en est l'auteur... Ce qui inspirera à Anne Sylvestre une chanson « vacharde », Dis-moi Pauline, enregistrée en 1977, dans laquelle elle interpelle rudement sa copine et les chanteurs québécois qui rencontrent alors le succès en France, et brocarde les « journaleux » et « radioteux » d'ici toujours prompts à encenser ce qui vient d'ailleurs...

« Ramenons pas nos fraises

Pour la chanson française

Il n'est bon bec

Que de Québec... »

Anne Sylvestre chante "Dis-moi, Pauline"

Dix ans plus tard, les deux amies se retrouvent sur un projet commun : « Gémeaux croisées » (elles sont toutes deux du signe du Gémeaux).

Au milieu des années 80, Anne Sylvestre amorce une métamorphose – qui choquera les puristes... – en décidant d'arrêter de s'accompagner systématiquement elle-même à la guitare et en troquant le micro sur pied pour un micro HF qui la laisse libre de ses mouvements. Elle n'abandonne pas pour autant la chanson, elle a envie d'explorer l'univers du théâtre... À la même époque, Pauline sort l'album « Où peut-on vous toucher ? » (1984), qui sera son ultime enregistrement. Pour les deux chanteuses, « Gémeaux croisées » vient à point nommé.

Anne Sylvestre : « Pauline était ma première interprète, et depuis longtemps. Les gens nous répétaient : “Pourquoi ne faites-vous pas quelque chose ensemble ?“ »

Pauline Julien : « On nous avait proposé de faire un spectacle ensemble. Cela ne nous disait rien ni à l’une ni à l’autre. Et puis, je suis partie au Népal. En rentrant, j’avais décidé de ne plus chanter et j’ai retrouvé Anne qui était chez moi. Pour elle non plus, cela n’allait pas bien fort. On a reparlé de cette idée et finalement, on s’est décidées ! Mais dès le départ, on ne voulait pas de co-récital : plutôt quelque chose de qualité où on aurait joué, bougé et chanté ensemble. »

Anne résume le « pitch » de « Gémeaux croisées » : « Deux voyageuses ont vécu le métier de chanteuses tout en menant leurs existences de femmes. »

Le spectacle, conçu et écrit par Denise Boucher (romancière et poétesse québécoise), Pauline Julien et Anne Sylvestre, fait alterner monologues et dialogues savoureux et chansons, celles d'Anne et de Pauline, mais aussi quelques reprises bien choisies de Brecht (La chanson de Barbara), Piaf (L'homme à la moto), Leonard Cohen (Suzanne), Jean-Paul Marchant (La hulotte) – clin d'œil au temps des cabarets de la rive gauche –, ou de la romancière française Viviane Forrester, connue pour son essai coup de poing paru en 1996, L'Horreur économique, ici avec un texte de chanson mis en musique par Marie-Paule Belle (Les sentiments)...

Mis en scène par Viviane Théophilidès, « Gémeaux croisées » est créé le 14 novembre 1987 au Centre culturel de Seraing, en Belgique. « Elles ont l'émotion à fleur de leur chair de femme. Elles nous font rire et pleurer, elles nous font gagner du temps, elles nous font cadeau de l'expérience de leurs deux vies en l'espace de trois heures et nous retournons chez nous environnés par elles, par les yeux, par les oreilles. Elles démontent tous les clichés dans lesquels d'aveugles conducteurs d'aveugles les avaient enfermées depuis des années », écrit Julos Beaucarne dans la préface de ce double album, longtemps introuvable et aujourd'hui réédité par EPM.

L'enregistrement figurant sur le double 33 tours a été capté en public au théâtre d'Hérouville le 13 mars 1988, à l'exception de deux titres (Suzanne et Comme Higelin), enregistrés au Théâtre 71 de Malakoff le 21 novembre 1987. À Paris, « Gémeaux croisées » sera programmé au TLP-Déjazet du 10 au 22 mai 1988 et tournera pendant deux années en France.

Pauline Julien chante "La Manic" en 1974

Souffrant d'aphasie depuis de nombreuses années, Pauline Julien a mis fin à ses jours le 1er octobre 1998 au matin, à Montréal. Elle avait 70 ans. Vingt ans après sa disparition, un documentaire réalisé au Québec par la cinéaste Pascale Ferland, Pauline Julien, intime et politique, rend hommage à la chanteuse tout en rappelant le rôle qu'elle a joué dans la lutte pour l'indépendance du Québec

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R. B.




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