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Mona Heftre chante Rezvani : des chansons qui lui ressemblent

« Ces chansons d'amour graves, tendres, légères et drôles parfois, je me sens enfin capable de les interpréter vraiment. Il faut avoir vécu pour chanter Rezvani, et j'ai vécu... des joies, des malheurs, des espoirs », dit Mona Heftre...Écrites par Rezvani pour sa femme Danièle, « elles étaient la respiration dont j'avais besoin lorsque je peignais », explique l'auteur. « Puisque Rezvani écrivait les yeux écarquillés de bonheur, il ne faut donc pas s'étonner que Mona Heftre chante heureuse », écrit Bertrand Dicale, critique au Figaro. Entretien avec une interprète sensible.

Photo : UniFrance Films

JE CHANTE ! — Pendant longtemps, les chansons de Rezvani ont été essentiellement connues par Jeanne Moreau. Ces dernières années, des chansons comme Ma ligne de chance ou Le Tourbillon ont été reprises par de jeunes artistes. Et avec vous, on a quelqu'un qui lui consacre tout un disque !

MONA HEFTRE. — Tout un disque, mais aussi tout un répertoire puisque, maintenant, je ne veux chanter que Rezvani : c'est un répertoire très grand, le livre-disque rassemble à peu près soixante-dix chansons. Et, surtout, Rezvani s'est remis à écrire pour moi. Maintenant, la seule chose qui m'intéresse, c'est poursuivre ce travail avec lui, à travers ses chansons.

Vous pensez qu'on le redécouvre aujourd'hui ?

Rezvani a continué à créer. Il sort des livres régulièrement, expose ses peintures. Qu'il se soit remis à écrire des chansons fait partie de cette espèce de boulimie de création qui ne l'a jamais quitté. On parle toujours, on a toujours parlé de Rezvani.

Dans un précédent tour de chant au Sentier des Halles, vous chantiez déjà un ou deux titres de Rezvani.

C'est une longue histoire... Cela fait déjà cinq ans que je travaille sur ses chansons, que j'y pense, que j'ai envie d'aller plus loin dans ce répertoire... La première chanson de Rezvani que j'ai écoutée, c'est Jamais je ne t'ai dit que je t'aimerai toujours, ô mon amour, qui figurait dans le film Pierrot le Fou de Jean-Luc Godard. Jusque là, je ne connaissais que les chansons que Jeanne Moreau avait rendues célèbres : Le Tourbillon ou La mémoire qui flanche...

Je me suis alors intéressée à cet homme, ce poète qui écrit de si belles chansons d'amour... J'ai lu tous ses livres autobiographiques. C'est quand même un raccourci quand on veut connaître un auteur, mais il y en a tellement que, finalement, c'est comme si je le connaissais : Les Années-Lula, Les Années-Lumière, Le Testament Amoureux, surtout, et Les Repentirs du peintre... J'ai été charmée par cet homme, par sa vie, sa manière de penser, ses engagements, par les choix qu'il a fait par rapport au métier... Je lui ai envoyé une cassette de Jamais je ne t'ai dit... Il m'a répondu tout de suite en me remerciant, en me disant qu'il aimait beaucoup ma façon de chanter, avec simplicité. Je lui ai fait part de mon envie de continuer à chanter des chansons inconnues, inédites ou mal connues, et il m'a dit : vous en trouverez dans mon théâtre. Effectivement, dans ses pièces, il a mis beaucoup de ses chansons. « C'est pour les mettre à l'abri, m'a-t-il dit, j'avais tellement peur que ces chansons pas connues disparaissent ! » Dans son théâtre, j'en ai prises, et ce qui est incroyable, c'est que les partitions sont aussi éditées.

Les musiques sont bien toutes de lui ?

Tout est de lui, paroles et musiques. Il a un peu souffert de la manière dont ses chansons ont été arrangées, ce qui fait qu'il s'en est un peu désintéressé... Et ce n'est pas un hasard si Le Tourbillon, que chante Jeanne Moreau dans Jules et Jim, accompagnée à la guitare par Rezvani, a perduré : c'est une chanson qui ne vieillira pas car elle est toute simple, avec un accompagnement très simple.

Dans son théâtre, j'ai trouvé beaucoup de chansons avec lesquelles j'ai fait le spectacle du Sentier des Halles. Je n'avais pas du tout repris les connues, parce que trop marquées par Jeanne Moreau. Rezvani est venu me voir avec sa femme. Cela leur a beaucoup plu et ils m'ont encouragée à continuer. Rezvani m'a dit : « Maintenant, il faut que tu chantes Le Tourbillon, La mémoire qui flanche, etc. Ce que tu fais n'a rien à voir avec ce qu'a fait Jeanne Moreau. J'ai envie de les entendre chanter par toi maintenant. » Donc, à la Salle Gémier, j'ai chanté les chansons connues, inconnues et inédites. Il m'a aussi présentée toute l'équipe d'Actes Sud, son éditeur.

 

Le 13 septembre 2000, dans l'émission Des mots de minuit, Mona Heftre interprète Le Tourbillon, accompagnée au piano par Gérard Daguerre.

 

À la suite de cette belle aventure, Rezvani s'est mis à écrire pour moi, ce qu'il ne voulait plus faire. C'est un rêve, qui va au-delà de tout ce que j'aurais pu espérer. En plus, il me remercie : « Tu m'as stimulé, tu m'as redonné envie d'écrire, j'ai retrouvé le fil et j'avais peur de l'avoir perdu ! » Pendant un an ou deux, je pars en tournée avec mon pianiste chanter les chansons de Rezvani, en intégrant les nouvelles au fur et à mesure qu'elles arrivent et j'espère ensuite faire une scène à Paris avec toutes ces nouvelles chansons, et là, faire un disque en public.

Rezvani dit de ses chansons qu'elles sont « le journal chanté de ma vie, avec elle, la femme de ma vie, elles nous disent ». C'est un peu comme Aragon et Elsa ?

Oui, on peut le dire... sauf que Aragon, lui, écrivait pour la postérité alors que Rezvani l'a fait comme ça, pour lui. Il a écrit dans son intimité l'amour fou qu'il porte toujours à sa femme... « Ce sont, dit-il, des chansons que j'ai faites dans les années 60-70, et ça ne m'intéresse plus d'écrire des chansons, surtout pas pour quelqu'un, parce que j'ai jamais écrit de chansons pour personne. Ces chansons, je les ai écrites pour moi, pour ma femme, pour mes amis, pour me détendre... » C'était les prémices de ses romans autobiographiques, des moments de vie dans son couple, des moments d'amour, d'émotion qu'il a eu envie de fixer par les chansons... Chez Aragon, on sent combien ses poèmes sont ciselés, travaillés. Chez Rezvani, on a souvent l'impression que ses chansons sont improvisées.

Vous pensez qu'il les écrit facilement, d'un jet, ou bien que c'est une fausse simplicité ?

Je pense que c'est une fausse simplicité. Récemment, depuis qu'il s'est remis à écrire, il m'a confié : « J'avais le souvenir que ces chansons étaient venues toutes seules mais je me rends compte que c'est beaucoup de travail. Je passe des heures et des heures à la guitare à les finir ! »

Chez Jeanne Moreau, on sent une pointe d'ironie, parfois de cynisme, alors que votre interprétation est plus « premier degré » et c'est très émouvant, notamment Tantôt rouge, tantôt bleue...

Oui, parce que ce sont des histoires et il faut les chanter comme on chante des histoires...

Vous y mettez plus de sentiment...

Ce qui m'a touchée dans ces chansons, c'est justement les sentiments et je pense que c'est ce qui touche le public aussi. Au fond, on aime tous les chansons d'amour, on aime tous entendre parler d'amour, sincèrement, sans cynisme. Surtout quand c'est bien écrit.

Dans les chansons de Rezvani, il y a souvent une atmosphère d'insouciance, de vie de bohème...

Oui, mais il y a aussi de choses très graves... Le début de sa vie avec sa femme a été très bohème, ils n'avaient pas un rond et vivaient quasiment d'aumône. Les chansons de cette époque ressemblent à leur vie. Ce n'étaient pas des bourgeois et, même maintenant, ils vivent dans une grande simplicité et ont gardé ce côté bohème. Rezvani est né à Téhéran et a grandi en France. Ce qui l'a fait connaître du grand public, en tant qu'écrivain, c'est Les années-Lula.

Il y a des textes de chansons dedans.

Oui, quelques morceaux. Il avait commencé à écrire des chansons lorsque sa femme lui a offert une guitare, mais il n'a jamais appris la musique, c'est un musicien d'oreille. S'il s'est longtemps tenu à l'écart de ses chansons, c'est parce qu'on l'a obligé à les cosigner, et il en a été très malheureux. On lui a imposé quelqu'un qui écrivait la musique et qui a pu déposer à la Sacem ses chansons avec lui, alors que c'est lui qui a tout fait, paroles et musique. Ce qui fait que la moitié de ses droits lui ont été volés...

Il a gardé une certaine amertume de ce milieu qui l'a toujours effrayé. Ses chansons, il les a finalement abandonnées à Jeanne Moreau, à Canetti, à ses arrangeurs, à tous ces gens qui ont fait du bizness avec et il n'a plus voulu en entendre parler... Il n'a jamais signé ses chansons sous son nom d'écrivain, mais sous le pseudonyme de Cyrus Bassiak, il a eu très peur du système. On lui a même proposé de faire des musiques de films pour Hollywood, lui le poète, avec ses trois accords de guitare... Et après trente ans d'amnésie, retrouver ses chansons comme ça, toutes simples, comme elles ont été écrites, ça lui a fait très plaisir.

Si vous n'aviez pas chanté Rezvani, vous auriez chanté quel auteur ?

Je ne sais pas, je crois que je n'aurais pas chanté... C'est plus qu'une rencontre. Je pense qu'il fallait que, dans ma vie, je rencontre un auteur tel que lui.

Le disque est très bien enregistré, avec la voix bien en avant, le piano très discret et de l'accordéon par moments. On a l'impression d'être à côté...

Le disque a été enregistré au studio Le Garage, parce que Dominique Ledudal est un très bon ingénieur du son qui fait un très beau travail sur les voix. Un studio, c'est surtout un ingénieur du son, une oreille. Au Garage, ils ne sont pas regardants sur les horaires, on peut y rester des nuits si on n'a pas fini et puis il y a une bonne ambiance très familiale. Donc, Dominique Ledudal est pour beaucoup dans la qualité cet enregistrement. J'aime son écoute, je lui fais vraiment confiance. Pour le mixage, j'ai voulu que la voix soit très en avant pour ne pas que l'on perde un mot du texte. Il doit y avoir une proximité entre le chant et la personne qui écoute, une intimité indispensable à ce genre de répertoire.

Vous avez fait partie du Magic Circus de Jérôme Savary.

Oui, pendant quinze ans. Auparavant, je n'avais rien fait d'intéressant. Dans la troupe, composée de gens très énergiques, polyvalents, extravertis, provocateurs, il y avait un Monsieur Loyal – Jérôme Savary – qui racontait des histoires, et des tableaux musicaux se succédaient. Il y avait un orchestre et les gens chantaient, dansaient. Ça a été une vie de saltimbanque et une formation de music-hall, plutôt que de théâtre. On a eu beaucoup de succès dans le monde entier. Pendant des années, j'ai joué dans toutes les langues — anglais, italien, allemand, espagnol. C'est là que j'ai appris mon métier.

 

Bande annonce du spectacle Y'a d'la joie... et d'l'amour

Comment avez-vous bifurqué vers la chanson et votre premier disque autoproduit ?

En 1994, pour la Fête du Cinéma, à Chaillot, j'avais eu envie de chanter des chansons de films pas très connues. J'en avais trouvé dans les films de Paul Vecchiali (il en a fait de très jolies) et André Téchiné... Dans le film de Jean-Luc Godard, j'avais trouvé cette première chanson de Rezvani, Jamais je ne t'ai dit que je t'aimerai toujours. J'ai fait ce tout de chant pendant quinze jours et c'est là que m'est venue l'idée de chanter seule avec un piano, je m'étais tellement régalée qu'il fallait que je continue. Il m'a fallu six ans pour en arriver là, et je ne suis qu'au début ! (rires)

Vous avez des amis dans le milieu de la chanson ?

Dans le monde du théâtre, oui, mais pas vraiment dans celui de la chanson. Je suis vraiment marginale, y compris dans ma démarche, puisque le disque – un CD Livre – est vendu en librairie, mais ça me plaît. Mon parcours fait que je suis un peu atypique et c'est, je pense, ce qui a plu à Rezvani. Mais cela me donne beaucoup de liberté : je ne fais pas partie d'une famille, d'une bande, je n'appartiens pas à une maison de disques, je suis libre. Je suis la Fille de personne, comme dit la chanson ! Libre de mes choix, libre de chanter ce que je veux, comme je veux.

Comment sentez-vous le public ? Il écoute religieusement, non ?

Des gens viennent me dire merci. « Personne ne chante des chansons comme ça, vous nous avez émus. On a pleuré. » Jean-Michel Boris m'a dit : « Continuez, parce que ce que vous faites, personne ne le fait dans cette forme, dans cette simplicité, dans cette pureté et avec ce répertoire qui s'y prête admirablement, avec votre voix, votre vie, votre parcours qui fait que vous arrivez là maintenant. C'est unique, ne changez rien, restez comme ça. » Ça, plus les encouragements quotidiens de Rezvani : « Ce que tu fais, c'est beau. » Il me donne confiance en moi en m'écrivant maintenant des chansons qui ont la même couleur que les anciennes, c'est-à-dire un peu bancales, avec des vers qui ne riment pas systématiquement, qui n'ont pas forcément le même nombre de pieds... 

Et vous vous en accommodez ?

J'adore ! C'est tout ce que j'aime parce que, justement, ce n'est pas « carré ». Ce qui fait qu'on s'attache au texte. On ne perd pas un mot et ce que fait Gérard Daguerre au piano est délicat et très varié. On est vraiment ensemble, il y a une belle complicité entre nous. Roland Romanelli intervient à l'accordéon sur certains titres. J'étais suspendue à ses doigts : en une prise, il rentrait juste dans l'ambiance de la chanson, il n'y avait rien à ajouter. Pareil avec Dominique Mahut aux percussions ou Michel Peteau à la guitare.

Pour votre disque Rezvani, vous n'avez pas cherché à reprendre une formule de jazz minimaliste comme chez Jeanne Moreau ?

Non. D'abord parce que je ne suis pas une chanteuse qui swingue, Jeanne Moreau non plus, d'ailleurs (rires)... Il faut savoir ce qu'on sait faire, ce qu'on ne sait pas faire et aussi ce qu'on ne veut pas... Moi, je ne veux pas que les chansons soient trop arrangées ou qu'on m'impose une orchestration. Je veux garder la simplicité et cette fragilité qui est miraculeuse.

C'est risqué, parce que vous vous mettez quasiment à nu, vous refusez tous les artifices derrière lesquels beaucoup se protègent...

C'est vrai que c'est très risqué, mais c'est ce risque-là que j'aime et que le public aime chez un interprète. Là, on ne peut pas se cacher, on est tout nu. De plus, on parle de sentiments, d'émotions, d'amour et moi je le fais comme vous dites, au tout « premier degré », en toute sincérité. Parce que ce sont des chansons qui me ressemblent beaucoup. Je suis une grande amoureuse et j'aime les chansons d'amour. Je suis quelqu'un de très tendre et ce langage me va.

Ce n'est pas très « tendance »... L'époque est plutôt au cynisme et à la dérision...

J'ai horreur du cynisme ! Je ne suis pas du tout quelqu'un de cynique et les gens qui le sont me font froid dans le dos.

Vous êtes plutôt naïve, finalement...

Oui, je suis absolument naïve, comme la maison qui me distribue !

Propos recueillis par Raoul Bellaïche

• Interview parue dans JE CHANTE n° 27 (août 2001, toujours disponible).

• CD Livre Actes Sud, distribution Naïve.

 

« Les branchés doivent trouver ça insupportable et mièvre,

mais il y en a d'autres qui sont touchés en plein cœur... »

Dans l'ensemble, le public apprécie ce spectacle. Il y a certainements des gens branchés qui doivent trouver ça insupportable et mièvre, mais il y en a d'autres qui sont touchés en plein cœur. La preuve, c'est que le disque se vend bien et qu'on en parle de plus en plus. Il faut trouver le moyen, le média, pour toucher ces gens qui sont susceptibles d'aimer. Alors, la télé, autant vous dire que ce n'est même pas la peine d'y penser, à l'exception des Mots de Minuit que j'ai fait avec Rezvani. Maintenant, je suis associée à son actualité littéraire !

C'est curieux, il y a des journaux qui n'ont pas daigné parler du disque – comme Télérama et Le Monde, pourquoi ? allez savoir... Alors que les critiques littéraires qui ont parlé du dernier livre de Rezvani, L'origine du monde, ont parlé à chaque fois de manière très élogieuse de mon disque. Il a fallu que cela vienne des critiques littéraires et pas des critiques de chanson... Donc, effectivement, ce que je fais n'est pas du tout « dans le coup ». Pour ceux qui font la mode, en tout cas... Dans les émissions de variété de la télévision actuelle, je me sentirais comme un chien dans un jeu de quilles...

 

En 1998, un spectacle Charles Trenet

Pour Y'a d'la joie et d'l'amour, on était cinq : Jérôme Savary, moi, Michel Dussarat, Sophie Tellier et Antonin Maurel. On a tourné avec ce spectacle pendant deux ans. C'est une comédie musicale avec un livret écrit par Savary et Jacques Pessis et il y avait une quarantaine de chansons. Il y a eu un disque d'ailleurs. Je chantais : Que reste-t-il de nos amours, L'âme des poètes, Fidèle..., des chansons sublimes. J'adore Trenet, j'aime la chanson, j'aime les poètes et Trenet est un poète. Et c'était très bien arrangé par Gérard Daguerre avec basse-batterie-guitare, un orchestre de jazz très léger. Lorsque Trenet est venu voir le spectacle, il a dit : « C'est exactement cette formation que j'ai toujours cherchée, un orchestre de jazz léger. »

 

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