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Jimmy Bregy : Venu d'ailleurs



Découvert sur Facebook avec une magnifique interprétation de Quand j’étais chanteur de Michel Delpech, Jimmy Bregy a publié récemment quelques-unes de ses propres chansons dont le décapant Le Vieux Con et l'émouvant Venu d'ailleurs. Entretien avec un jeune homme passionné de chanson, né en 1995, et dont Hugues Aufray dit : « Jimmy est un original, un personnage romantique en marge des tendances... »


Tu chantes depuis longtemps ?

Depuis tout petit, j’ai toujours chanté et après avoir fait partie d’une chorale pendant une douzaine d’années, je me suis inscrit dans une école de théâtre où l'on faisait également de la musique. Comme je suis aussi comédien, je voulais approfondir les deux disciplines. Aznavour, Reggiani, Montand ou Brel étaient acteurs et chanteurs et personne n’y trouvait à redire à l’époque alors qu’aujourd’hui, j’ai l’impression qu’on nous demande de dissocier les deux activités. J’ai toujours aimé faire les deux et j'ai donc fait du théâtre pour perfectionner le jeu de comédien, mais la musique ne m’a vraiment jamais quitté.


Jusqu’à il y a deux ans, je reprenais principalement les plus belles chansons du répertoire francophone, seul sur scène avec mes bandes-son. Et c'est grâce aux vidéos que j’ai publiées sur Internet, notamment mon hommage à Delpech, que j'ai pu être découvert par des directeurs de salles qui m'ont engagé. Et en parallèle, je travaillais mes propres chansons avec un ami compositeur.


Depuis quand écris-tu tes chansons ?

J’ai toujours écrit, pas seulement des chansons, mais aussi des poèmes ou des petites nouvelles... À l'âge de sept ans, je gribouillais sur des petits carnets et à quatorze, je me prenais déjà pour un auteur, j’écrivais des sortes de romans que je préfère oublier... Mes premières « vraies » chansons sont apparues vers dix-sept ou dix-huit ans. Aujourd’hui j’en ai vingt-cinq. J'ai ensuite rencontré Antonin Tardy. C'est mon meilleur ami, mais surtout un compositeur de génie. C'est lui qui m'accompagne sur scène. Antonin m’a demandé de lui envoyer quelques-uns de mes textes : « Si jamais ça me plaît, je verrai ce que j’en fais... » Ça a fonctionné et, depuis 2016-2017, on travaille ensemble. Moi, j’écris les textes et je co-compose de temps en temps. On a fait ensemble la chanson Le vieux con.


Je voudrais passer à l'étape supérieure et voir si mes propres chansons plaisent. Je devais commencer une petite tournée en mars 2020, mais le confinement a fait que tout a été décalé. Si tout va bien, je vais enfin commencer à chanter mes propres chansons sur scène avec Antonin Tardy, qui est tour à tour pianiste et guitariste. J'en ai une vingtaine dans les tiroirs dont Venu d'ailleurs, Histoires de Mamie, un hommage à ma grand-mère et à tous les grands-parents, et Le vieux con. J'ai besoin d'être sur scène pour vivre davantage les personnages de mes chansons, c'est par le contact avec le public qu'elles prennent encore plus de sens. J'ai la chance d'avoir un public qui me suit depuis un certain temps. Ce sont majoritairement des gens de plus de 50 ans, mais très fidèles.


Dans l'émission de Nagui, N'oubliez pas les paroles, tu t'es fait remarquer avec cette reprise de Michel Delpech, Quand j’étais chanteur...

Oui, c'était en 2013, j'avais dix-huit ans. Par la suite, quand j’ai appris que Michel Delpech était malade, j’ai eu envie de lui rendre un hommage en reprenant, avec de nouvelles paroles, la chanson qui m’avait porté bonheur et de la lui adresser. J’avais déjà rencontré Delpech quand j’avais treize ou quatorze ans et j’ai une photo avec lui. Dans la vidéo que j'ai faite, j’ai mis cette photo et beaucoup de gens ont cru que j’étais son fils, légitime ou caché ! Du coup, j’ai fait tous les démentis que je pouvais et c’est arrivé aux oreilles du fils de Michel Delpech, qui m’a envoyé un message pour me dire qu’il avait apprécié mon geste, que son père avait vu la vidéo et que cela lui avait fait plaisir.

Après N’oubliez pas les paroles, je suis devenu choriste pour Vincent Niclo et pour d’autres chanteurs. C'était pour moi l’occasion de faire de la scène et de rencontrer des artistes.


Tu utilises beaucoup les réseaux sociaux, mais tu t'en méfies aussi...

Le mot est peut-être fort, mais je crois qu’il y a aujourd’hui sur Internet une dictature du « like », du partage et du nombre de vues... Une très mauvaise chanson qui va faire deux ou trois millions de vues peut être propulsée au titre de tube alors qu’une très bonne chanson, postée sur la page Facebook d'un inconnu, pourra passer totalement inaperçue... Il y a bien sûr des exceptions. Il existe quand même encore des gens qui recherchent les beaux textes et les belles musiques, et il y a aussi de bons producteurs et éditeurs qui cherchent à mettre en valeur la belle chanson française. Néanmoins, j’ai l’impression que, majoritairement, on s’intéresse beaucoup plus à ce qui va marcher tout de suite, à ce qui va accrocher immédiatement l’auditeur, quitte à ce que ce soit une chanson mal produite, mal écrite ou mal composée. Si ça plaît dans l’instant, ce n’est pas bien grave, la communication est beaucoup plus forte que le fond de la chanson elle-même... Cela dit, aujourd'hui, Internet peut être aussi un sacré tremplin.


À une époque, tu as nourri une véritable passion pour Claude François...

C'est lorsque le film de Yann Moix est sorti que je me suis découvert cette passion pour Claude François. J’avais huit ans et après avoir vu Podium, ma mère m’a offert une compilation avec une quarantaine de titres de Claude François que j’ai écoutés en boucle pendant des jours, jusqu’à devenir un véritable fan. J’allais tous les dimanches chez les bouquinistes acheter des vieux Podium... J’ai une collection incroyable de livres, de magazines et de disques sur Claude François. Je suis allé plusieurs fois au Moulin de Dannemois pour voir où il habitait et pour voir ses costumes... J’avais une véritable fascination pour ce chanteur et du coup, j’ai visionné toutes les émissions des Carpentier, de Danièle Gilbert et de Guy Lux. C'est dans ces émissions que j’ai découvert tous les artistes que j’aime aujourd’hui.


Que veux-tu dire dans Le Vieux Con ?

Au collège, j'écoutais Claude François quand mes amis écoutaient Lady Gaga, une artiste que je trouve extraordinaire mais, du coup, il y avait presque un conflit de générations alors qu'on avait le même âge ! C'est ce que j'explique dans ma chanson Venu d'ailleurs : je me sens toujours venu d'ailleurs, j'ai l'impression de ne pas être né au bon moment. À l'heure actuelle, j'ai la frustration de vivre à une époque où la chanson française n'est plus reconnue à sa juste valeur, mais ça reviendra peut-être... Donc je me sens forcément un peu « vieux con » !


Né dans un monde où mes idoles sont soit âgées, soit décédées, j'ai toujours eu l'envie de rencontrer les idoles encore en activité. Adolescent, dès que je le pouvais, j'allais attendre les artistes à la sortie des émissions de télévision ou de radio, parce que j'avais besoin de les rencontrer et de leur dire que je les aimais. Ce que les artistes que j'aime m'ont apporté m'a permis de me construire, d'être l'homme et le passionné que je suis aujourd'hui. Je dois tout aux chanteurs que j'aime et ma vie ne serait rien sans la chanson.


Tu apprécies aussi la chanson anglo-saxonne ?

Oui, mais j’ai surtout une culture de chanson française et quand j’aime un artiste, j’ai besoin de le connaître de A à Z... Lorsque j'aime un artiste profondément, comme Goldman, Berger ou Delpech, je connais sa discographie par cœur et je passe un temps fou à tout décortiquer. J’aime par-dessus tout découvrir la chanson qui n’est pas très connue et qui, pour moi, est souvent plus belle que le tube de l’album. En plus de leurs chansons, je suis touché que des artistes comme Goldman, Balavoine ou Berger se soient investis dans l'humanitaire. Michel Berger, Daniel Balavoine ou Coluche n'ont pas été fauchés en pleine vieillesse, mais en pleine jeunesse, en plein succès.


Tu es très sensible aux mélodies...

Oui, parce que la mélodie d'une chanson déclenche un imaginaire et je regrette que le sens de la belle mélodie, à la Revaux ou à la Bourtayre, se soit perdu. Leurs musiques étaient sublimes et elles servaient bien le texte. Aujourd’hui, la plupart des musiques sont très simples et elles ne servent pas vraiment le texte de la chanson.


Brassens affirmait que ce qu’il écoutait d’abord dans une chanson, c’était la mélodie. Goldman a dit quelque chose de similaire : dans une chanson, on est accroché par la musique et on finit par l’aimer par le texte. Il peut y avoir des chansons très mal écrites, mais si la musique est belle, on peut les apprécier quand même. Écouter une chanson dont la musique ne nous accroche pas, même si le texte est très bien écrit, c’est un peu laborieux. Il y a aussi des chansons faites uniquement pour se vider la tête, pour danser. C’est très agréable, mais c’est autre chose. La langue française est tellement riche et belle que c’est un plaisir d’écrire et de chanter en français.


Quels sont les chanteurs que tu admires le plus ?

Michel Berger, Jean-Jacques Goldman et Véronique Sanson ! Ce sont les trois qui guident ma vie depuis tant d'années et que je cite toujours comme étant mes « maîtres », ou mes références ultimes. Il n'est pas un jour sans que je les écoute ou sans que je les chante. Sur un autre plan, j'adore des artistes comme Brel, Aznavour, Reggiani, Ferrat ou Lama et j'ai une véritable passion pour les chansons qui racontent une histoire comme Ce lundi-là de Delpech, La Grande farce de Leny Escudero ou La nuit, je mens de Bashung... Jean-Loup Dabadie était un extraordinaire auteur de chansons, à la fois intellectuel et populaire, c'est un mélange rare. Béart est un auteur incroyable, mais malheureusement oublié. Il avait une plume magnifique, et dans le fameux débat qui l'opposait à Gainsbourg, je suis plutôt de son côté : à partir du moment où une chanson est capable de toucher les gens, pour moi c'est un art majeur. Une chanson, tout comme un film, peut changer les mentalités.


Tu as fait partie des ateliers de Claude Lemesle.

Oui. Chez lui ou à la SACEM, il reçoit des auteurs et des compositeurs pour les faire travailler sur des thèmes imposés. De ce fait, on écrit des textes que l'on n'aurait jamais écrits en temps normal parce qu'il nous impose certains thèmes ou certains mots. Il essaie de nous sortir de notre « zone de confort » en nous bousculant un peu, pour nous éviter de répéter les mêmes choses dans nos chansons. Il n'est jamais dans le jugement, mais dans la bienveillance. Il le fait bénévolement car il a le plaisir de transmettre. Caroline Balma-Chaminadour lui a consacré un très joli documentaire, Claude Lemesle, passeur de passion, visible sur Internet.


Dans ton tour de chant, Sardou et Ferrat cohabitent parfaitement...

Je suis passionné par la politique, mais dans mon tour de chant, je peux passer de Jean Ferrat à Michel Sardou et je m'en fous de savoir si l'un est plus à gauche et l'autre plus à droite. Je fais découvrir Sardou à des gens qui a priori ne l'aiment pas, en leur chantant Il était là (Le Fauteuil), un titre que je trouve sublime, ou Le Privilège, une chanson sur l'homosexualité qui est un chef-d'œuvre pour moi. Quand je les chante, les gens ne savent pas forcément que c'est du Sardou. De Ferrat, je chante absolument tout puisque j'ai la chance d'avoir une tessiture quasiment identique à la sienne. De plus, je suis assez d'accord avec beaucoup de choses qu'il dit dans ses chansons. Comme lui, je ne peux pas concevoir de chanter juste pour passer le temps...


Propos recueillis par Raoul Bellaïche


• Contact : jimmybregy@hotmail.com


Photo : © Christian Liewig.


Interview parue dans JE CHANTE MAGAZINE n° 18 (mars 2021).


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