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Quand Juliette se fait « coffret »


Trente ans de carrière ! Un album remarqué tous les deux-trois ans, treize au total qui se retrouvent aujourd'hui rassemblés en un coffret. Retour sur l'autre Juliette de la chanson française.

Juliette Noureddine est née à Paris en septembre 1962. La découverte de la Comtesse de Ségur fera d'elle une boulimique de la lecture : « J'aime qu'un livre me retienne, m'emprisonne dans ses mots et son histoire. Parce que je veux qu'on me raconte une histoire, fût-elle à dormir debout : pas plus qu'en chanson, je ne goûte l'exercice du nombrilisme, du “je“ surnuméraire, de l'état d'âme étalé sans retenue ni vergogne, ni pudeur. Et en plus, je veux qu'on me la raconte bien, cette histoire. » (1) Elle apprend le piano à six ans et à l'âge de treize ans, elle part vivre à Toulouse, où son père Jacques, dit Nounours, ex-artiste de music-hall, vient d'intégrer l'orchestre du Capitole comme saxophoniste.

Juliette, une fois bachelière, fait de (très) courtes études en lettres modernes puis en musicologie... Après quelques petits boulots, elle se lance dans la chanson : pianos-bars, restaurants, la rue aussi, avec un accordéoniste. À son répertoire des reprises de Piaf, Brel, Barbara et les autres, des standards de jazz, un peu d'opéra...

On la découvre au Printemps de Bourges en 1986 puis en première partie d'artistes confirmés. « L'autre Juliette de la chanson » commence à faire parler d'elle et en 1987 est publié son premier enregistrement, un live réalisé à Toulouse. Paru originellement en cassette, ce tour de chant est aujourd'hui réédité en CD avec un très beau son. À l'exception d'un poème de Victor Hugo (Les Djinns), Juliette, qui à composé toutes les musiques des dix chansons, n'a écrit que trois textes (La chanson d'Abou-Nowas, Les lanciers du Bengale, Roméo et Juliette), laissant la part belle à Katryn Lingua pour les autres (Le danseur de corde). La suite est une série de rencontres...

Juliette fait la connaissance de Leïla Cukierman. La directrice du Théâtre d'Ivry, très impliquée dans la chanson, lui présente Mysiane Alès qui deviendra sa productrice pendant treize ans sur son label Le Rideau Bouge, la distribution des disques étant assurée par Scalen.

« ¿ Que Tal ? » Le premier disque officiel de Juliette paraît en 1991. C'est encore un enregistrement public (capté au Théâtre d'Ivry et au TLP-Déjazet). Elle y affirme son goût des reprises (Yvette Guilbert, Boby Lapointe et Piaf, dont elle détourne L'homme à la moto), met en musiques les textes de Katryn Lingua (La Barcelone) et les poèmes de Norge (Le petit non). Elle propose aussi trois nouvelles chansons (Sur l'oreiller, Les Romanichels, Poisons).

Avec Lames, on remarque la présence d'un nouveau venu, Pierre Philippe, passionné de music-hall et familier des archives de l'INA, déjà auteur pour Jean Guidoni et qui va devenir l'artisan des futures grandes chansons de Juliette. « Juliette existait déjà sans moi, il fallait arriver à se mélanger, explique l'auteur. Avec elle, j'ai fait de la théorie. On a secoué son tour de chant comme un pommier : nous tombions toujours d'accord. [... ] Mon souci majeur, c'était d'inventer des ouvertures. Pour des raisons qui lui appartiennent, elle ne veut pas aller vers la facilité. Mais je souhaitais qu'elle trouve une porte, une reconnaissance plus large, d'où la variété d'inspiration : c'est ainsi que j'ai écrit ce personnage de chocharde des Abbesses, dans l'espoir qu'elle fasse pleurer. » (2)

« L'Ogre » Pierre Philippe

Sur son troisième disque, le premier enregistré en studio, les sept textes de celui que Jean Guidoni appelle « l'Ogre » font mouche, la « joviale ogresse » (surnom donné par Anne-Marie Paquotte) s'y retrouve à l'aise, donne libre cours à son goût de l'hénaurme (Irrésistible). L'album, arrangé par Didier Goret et Juliette, révèle quelques perles marquées au sceau de la littérature : le délicat boléro Monocle et col dur, très belle évocation du temps des Garçonnes, le sulfureux Monsieur Vénus, la cruelle Baraque aux Innocents, des évocations du Paris de jadis (Manèges, Petits métiers)... Côté reprises, c'est le grinçant Jeu de massacre (écrit par le cinéaste Henri-Georges Clouzot), chanson créée par Marianne Oswald en 1934. Avec cet album, Juliette est distinguée par l'Académie Charles-Cros.

L'année suivante, Juliette chante à l'Auditorium du Forum des Halles. Un enregistrement public est publié dans la foulée : on y remarque un poème de Desnos, deux reprises (Du gris et Rossignol de mes amours) et deux nouvelles chansons. Nouvel album en 1996, toujours avec Pierre Philippe, dont on retient Rimes féminines et son énumération de femmes célèbres, l'envoûtante Berceuse pour Carlitos, hommage à Carlos Gardel, le tragi-comique portrait de La Belle Abbesse, le spirituel et jazzy Remontrances.

Encore un live, en 1998, enregistré Salle Gaveau : « Deux pianos » (elle et Didier Goret). Outre ses chansons, Juliette reprend Brel (Les Timides), Paul Braffort (La Joconde), Raymond Asso (Tout fout l'camp). Son septième album paraît la même année. Exit Pierre Philippe, deux nouveaux venus lui apportent des textes : Bernard Joyet (Mayerling, Lucy) et le dessinateur de BD Frank Giroud, auteur ici de chansons remarquables comme La Pagode du Cheval blanc, qui nous promène à Hanoï, et L'Étoile rouge, portrait d'une vieille barmaid russe nostalgique de temps plus révolutionnaires : « L'avenir est-il si radieux / Que l'on oublie celles et ceux / Qui l'ont rêvé meilleur ?... » Un titre piano-voix dans lequel Juliette se révèle bouleversante.

Sur les albums suivants, Juliette, désormais artiste Polydor, écrit la plupart de ses textes (Les garçons de mon quartier, Maudite clochette !, Il s'est passé quelque chose), même si on note parfois les noms de Bernard Joyet et de Franck Joyet. Elle s'offre aussi des duos avec François Morel (Mémère dans les orties), Guillaume Depardieu (Une lettre oubliée). En 2005, sur la scène du Grand Rex, elle reprend Les Grognards de Pierre Delanoë et un titre des... Rolling Stones ! Puis ce sera la Tyrolienne haineuse de Pierre Dac. En 2010, sur « No parano », elle adopte Les dessous chics de Gainsbourg, créé une chanson inédite d'Adamo (Une chose pareille), reprend Prévert, Hugo et Carlos Gardel. Avec ses mots à elle, elle évoque avec nostalgie la Rue Roger Salengro de son (notre) enfance. Sur son dernier album paru en 2013, Juliette fait mouche avec un titre très personnel, Nour (la lumière en arabe), accompagnée par la Quatuor Voce. Elle reprend aussi un titre du dessinateur Faizant (Légende).

En attendant d'autres aventures de la Dame, dégustons ce coffret et son CD bonus avec des inédits et des duos enregistrés entre 2001 et 2013, des participations à des hommages à Georges Brassens, Serge Reggiani, Boris Vian, Allain Leprest...

• Intégrale des albums en 13 CD + 1 CD raretés, Polydor.

(1) Juliette : Mensonges et autres confidences, Textuel musik, 2005.

(2) Propos recueillis par Hélène Hazéra, Libération du 18 décembre 1996.

Juliette : Le bar de l'Étoile rouge

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