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Régine (1929-2022)


Dans Moi, mes histoires (Éditions du Rocher, 2006), Régine écrit : « Nous sommes en 1963, je suis assez contente de la tournure qu'a prise ma vie. Je m'amuse, je suis entourée de gens brillants et drôles et nous vivons une belle époque. Seulement, ce petit ordre du monde va changer, je vais désormais avoir une double vie... »


C'est en janvier 1965 que Régine – dont le nom était jusque-­là associé au monde de la nuit – « entre en chanson », encouragée par la chanteuse Renée Lebas qui vient de lancer Serge Lama. Elle s'achète un piano, prend des cours de chant chez Tosca Marmor et enregistre bientôt son premier disque. Sur ce 45 tours Bel Air, dédicacé par une dizaine de célébrités (entre autres Aznavour, Chevalier, Gréco, Hallyday, Salvador, Sagan, Sablon, Maria Callas), qui lui « souhaitent bonne chance », Régine interprète notamment deux titres signés Jacques Mareuil et Charles Aznavour : Nounours et Tu m'bats plus. Elle passe bientôt à Discorama, l'émission phare de Denise Glaser, interviewée par Jacques Chazot.


Peu après, Régine rencontre Serge Gainsbourg, qu'elle a déjà croisé au New Jimmy's. L'auteur de La chanson de Prévert et de La Javanaise lui propose une chanson, Il s'appelle reviens, puis une autre : Les P'tits papiers. Ce titre lui plaît immédiatement. Elle en fera un fera un succès, le premier d'une longue série.


Entretemps, Régine a changé de maison de disques et son nouveau 45 tours, orchestré par Alain Goraguer, sort en juillet 1965 chez Pathé Marconi. Un auteur de renom rejoint l'équipe Régine : Eddy Marnay. « Débutant tard dans le "métier", rappelle‐t‐elle dans Appelle‐moi par mon prénom (Robert Laffont, 1985), je veux absolument des paroliers hyper-­doués, qui me fabriquent rapidement un vrai répertoire. [...] À l'époque, tout le monde ou presque fait des adaptations de chansons anglaises ou américaines, mais avec mes jambes qui bougent tout le temps et ma tête de chanteuse de rues, je préfère chanter français. Tant pis alors pour la course au hit-­parade. J'espère simplement que mes chansons qui viennent de la rue et sont faites pour elle y redescendront un jour. »


Françoise Dorin et Francis Lai sont de la partie sur son deuxième 45 tours Pathé paru en novembre 1965 avec Qu'est-­ce que vous voulez qu'j'en fasse ?, et c'est à nouveau Gainsbourg avec Si t'attends qu'les diamants t'sautent au cou. C'est sur le 45 tours suivant, sorti en juin 1966, que l'on découvre La Grande Zoa, une chanson festive signée Frédéric Botton qui devient sa carte de visite. Gainsbourg lui écrit Pourquoi un pyjama ? et Nicolas Péridès, sur une musique de Garvarentz, Ne fais pas d'l'œil à Lili. Peu après, l'écrivain Jean Cau lui offre un très joli texte mis en musique par Philippe-­Gérard (Je veux être celle).


En 1967, Régine obtient le prix de l'Académie Charles Cros dans la catégorie « consécration » et sort, en novembre, un premier album de douze chansons signées par de grands auteurs. Barbara (Gueule de nuit), Henri Tachan (Quelque part à Paris) et Serge Lama (Les maisons grandes) lui offrent des titres qu'ils enregistreront par la suite. Y figurent aussi Michelle Senlis (Les cafés), Jacques Lanzmann (De deux choses l'une), Pierre Delanoë (Eugène), Françoise Dorin (Moi, j'aime ça) et encore Frédéric Botton (Raconte-­moi, dandy) et Serge Gainsbourg (Ouvre la bouche, ferme les yeux).


En 1969, le journaliste et romancier Gaston Bonheur lui offre Rue des Rosiers, une chanson qui évoque, sur une musique nostalgique de Simon Saguy et Gérald Abeilhé, ce quartier juif de Paris et dont elle fait une bouleversante interprétation : « Rue des Rosiers / Quelle est la chose / Quelle est la rose / Que vous cousiez ?... » D'autres gens de lettres écriront pour Régine : Patrick Modiano (L'aspire-­à-­cœurs), Michel Grisolia (Kafka, c'est dansant), Vahé Katcha (Un jour je quitterai tout), Françoise Dorin (Moi, j'aime ça), Françoise Sagan (De toutes manières), Jacques Lanzmann (De deux choses l'une)...


En 1968, Régine « se la joue » rétro sur un rythme de tango avec J'ai la boule au plafond, un texte de Jacques Chaumelle sur une musique « argentine » de Philippe Sarde. Elle amorce aussi une carrière de comédienne dans le film de Claude Berri, Mazel Tov ou le mariage, où elle a cette réplique : « On sort avec les minces, on rentre avec les rondes », qui inspirera sans doute la chanson écrite par Vline Buggy quelques années plus tard, Les amants sont maigres, les maris sont gras ! Avec des paroles d'Eddy Marnay, le thème musical du film, signé Emil Stern, deviendra une chanson : Le jour où tu te maries. Dans la foulée, elle enregistre en v. o. le standard My Yiddishe Momme.


Régine s'essayera aussi comme actrice, le temps de quelques films : Sortie de secours, de Roger Kahane (1970), Le Train, de Pierre Granier-Deferre (1973), Robert et Robert, de Claude Lelouch (1977), Les Ripoux, de Claude Zidi (1984)...


Lors d'un Musicorama à l'Olympia, le 16 janvier 1968, Régine est plébiscitée : dix-­sept rappels ! Bruno Coquatrix l'engage immédiatement pour la saison suivante, en co-ve­dette avec Raymond Devos.


Le succès est encore au rendez-‐vous en 1969 avec Patchouli chinchilla et surtout avec l'adaptation d'une chanson italienne de Paolo Conte, Azzuro, dont elle fait un tube. Elle reprend la chanson du film de Nina Companeez, Bye, bye Barbara et enregistre aussi le thème du film Ballade pour un chien, signé François Rabbath et parolé par Jean-­Loup Dabadie (Un soir la solitude). Du même auteur, elle enregistrera plusieurs autres chansons (Il m'a laissé deux cigarettes, L'accident, Les filles de la rue d'Amérique, Une valise sur un lit, Moi, mes histoires).


En 1977, Philippe Adler et Mort Shuman lui écrivent L'Emmerdeuse. Pendant la vague disco, Claude Carrère lui adapte I will survive, le tube de Gloria Gaynor (Je survivrai) et dans les années 80, Didier Barbelivien lui concocte un titre sur mesure : Reine de la nuit.


« Club privé »

Conçu et réalisé par Matthieu Moulin, ce beau coffret regroupe pour la première fois l'intégralité des chansons enregistrées par Régine, de son premier 45 tours de 1964 à l'album de duo « Duets » paru en 2009, en passant par « Mémo mélo » en 1993, hommage aux chanteuses des années 30, et « Made in Paname », en 2004, où elle se faisait l'interprète de nouveaux auteurs comme Marc Lavoine, Renaud, Marie Nimier, Jean Rouaud, Claude Pasternak.


Sur le CD 3, on découvre sept chansons inédites, enregistrées en 1971 et 1972, dont un titre de Bernard Dimey (À force d'aimer). Le CD 9 regorge de raretés et d'inédits : des versions en langues anglaise, allemande, italienne et espagnole de ses succès et, surtout, huit chansons de 1971, signées Eddy Marnay et Emil Stern, extraites de la comédie musicale Les Lumières de Belleville que Régine n'avait pas réussi à monter. Le CD 10 propose l'enregistrement d'un concert donné aux Bouffes du Nord en octobre 1993 qui n'avait pas été commercialisé. Dernière chanson enregistrée par Régine en 2015, De ma p'tite poule à Mademoiselle, écrite par Félix Gray, figure sur le CD 6.


10 CD, 244 titres : un sacré répertoire ! Serge Gainsbourg, qui lui a écrit une douzaine de chansons, a dit d'elle : « Régine, c'est un club privé à elle seule. N'y entre pas qui veut. »


Raoul Bellaïche



Régine : De la p'tite poule à La Grande Zoa, coffret 10 CD, Marianne Mélodie. Livret illustré avec texte, photos et pochettes de disques. Cliquer sur la photo.


• Chronique parue dans JE CHANTE MAGAZINE N° 17 – JUIN 2020



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