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Michel Bühler : « Quinze ans que je n’ai pas vu un seul journaliste français à mes spectacles ! »

Interview de Michel Bühler en mai 2008.



Tu étais à Paris en Mai 68 ?

En 68, j’avais 23 ans et j’étais encore instituteur en Suisse. J’ai découvert l’esprit de 68 en 19691970, lorsque je suis venu à Paris. Je suis « tombé » dans la bande de l’Escargot, avec Béranger et compagnie. Dans cette bande, on ne parlait que de ça, on passait nos nuits à refaire le monde... C’est à ce moment-là que j’ai découvert l’esprit de 68.


Il ne se passait rien en Suisse ?

Sarcloret le dit très justement : « Mai 68 a frappé la Suisse de plein fouet en 1972 ! » Cette année-là, il y a eu de petites révoltes étudiantes autour de la culture et du cinéma... Mais par rapport à ce qui s’était passé aux États-Unis et un peu partout, c’est resté relativement calme en Suisse.


Parmi tes nouvelles chansons, que je découvre ce soir, la chanson « sur Sarko » porte quel titre ?

J’aurai pu l’appeler Douce France, mais le titre était déjà pris... Alors, je l’ai appelée Démocratie.


Avec cette chanson, tu ne vas pas te faire que des amis !...

Ça ne me gêne pas, il y a des gens qui me détestent déjà...


Comment expliques-tu que ce genre de chansons a complètement disparu en France ?

Je ne sais pas... Il y a une espèce de consensus, de laminage : tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil... Soyons juste, il y a parmi les chanteurs en exercice quelques-uns qui contestent « un peu ». On dit de Cali qu’il est « le » chanteur contestataire du moment...

On a l’impression que les gens ont oublié qu’ils pouvaient prendre leur destin en mains. On leur a fait oublier qu’en démocratie ce sont eux, en réalité, les patrons, eux qui peuvent décider. On leur dit depuis longtemps : taisez-vous, ça ne sert à rien... donc ils se taisent. C’est désastreux.

Avec Démocratie, ou le genre de chansons que je continue d’écrire, je ne passe pas à la radio et à la télévision française depuis 20 ans ! En Suisse, une ou deux radios continuent de passer mes chansons, mais la radio principale, l’équivalent suisse de France Inter, ne me passe jamais. Jamais !


Tu es sur « liste noire »...

C’est une espèce de censure qui ne dit pas son nom. La censure par la négation des gens, le déni des gens...


Pourtant, tu es quelqu’un de... gentil, ce sont les textes de tes chansons qui ne le sont pas ! Une chanson comme Vulgaire, par exemple, qui dénonce avec une force et une verve rarement entendues dans la chanson, l’ordre économique...

Vulgaire est une chanson qui rencontre un très grand succès lorsque je le chante en public. Les gens sont quasiment debout, ils se reconnaissent... Mais pas les médias. Il y a plus de quinze ans que je n’ai pas vu un seul journaliste français à mes spectacles ! Je n’ai pas assez de pognon pour me payer un attaché de presse qui connaît tout le monde, et ça m’emmerde d’aller faire des courbettes à gauche et à droite... Pour la plupart des journalistes français, je n’existe donc pas. À force d’essayer de cogner contre le mur, de passer pardessus, à côté ou de le démolir, on s’aperçoit que ça ne sert à rien. Actuellement, il y a un mur complet.


Le « mur de l’argent » ?

Le mur de l’argent, mais aussi le mur de la bêtise et du consensus. La pensée unique, quoi ! Je ne suis pas dans cette pensée unique, tant pis !


Comment en sortir, selon toi ?

Je n’en ai aucune idée. Je continue pourtant de chanter à Paris. L’an dernier, j’ai fait une soirée à L’Européen, et c’était bourré ! Mais bien qu’ayant reçu l’information à temps, pas un tourneur ou un journaliste de la grande presse ne s’est déplacé...


C’est décourageant ?

Je ne suis pas du genre à être découragé mais à force, tu te dis que ce n’est plus la peine de leur envoyer ton nouveau disque. C’est inutile car ils ne vont même pas l’ouvrir et il finira dans la corbeille à papier... Alors, on fait des économies ! Mais ce qui me console et me fait continuer, c’est que je vis de ce métier depuis quarante ans ! Et à mes spectacles, il y a du monde, et les gens, je le vois, sont heureux. S’il n’y avait personne dans mes spectacles, là je m’interrogerais... ■


Propos recueillis par Raoul Bellaïche,

le 25 mai 2008 à Sevran.


• « Passant », nouveau CD (EPM).

• Site : www.michelbuhler.com

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