Maxime Le Forestier a un lien particulier avec la chanson kabyle puisque l'un de ses plus grands succès, San Francisco, a été adapté par Brahim Izri sous le titre Tizi Ouzou. Une autre de ses chansons, Né quelque part, a été traduite en kabyle et enregistrée par Maxime, en duo avec Idir en 2017 sur l'album d'Idir « Ici et ailleurs ».
Dans le prochain JE CHANTE MAGAZINE n° 17, à paraître en juin 2020, Maxime Le Forestier évoque sa collaboration avec le chanteur Idir. Extraits.
Je crois que vous aimez entendre vos chansons interprétées par d’autres… J’adore ! Et j’adore par-dessus tout les entendre adaptées dans une autre langue.
Il y en a eu quelques unes ? Oui. Né quelque part a été adapté en kabyle, en bambara, en malgache, en espagnol…
San Francisco est devenue Tizi Ouzou… Oui, ça c’est Brahim Izri. L’histoire de Tizi Ouzou est très belle. Brahim Izri était un chanteur kabyle – il est décédé en 2005. Il avait quatorze ans quand il m’a écrit, il était au lycée de Tizi Ouzou. Lui a vécu la transition Chadli : une année, c’était un lycée normal, avec profs de maths et d’anglais, et l’année d’après, c’était un mollah qui leur apprenait le Coran en leur tapant dessus… Brahim m’avait envoyé une cassette sur laquelle il avait enregistré son adaptation de San Francisco, avec un petit mot adorable, disant toute l’admiration qu’il avait pour moi, et qui se terminait par la phrase suivante : « Pour les droits d’auteur, ne vous inquiétez pas. De toute façon, dans deux cents ans, si quelqu’un reprend cette chanson, il y aura marqué au dos de la pochette : “folklore kabyle” » ! Je me suis dit qu’il fallait le rencontrer… Nous nous sommes vus quelques années plus tard à Paris, où il était devenu chauffeur de taxi. C’était dans les coulisses du Zénith [novembre 1996], à l’occasion d’un concert d’Idir. Et lorsqu’Idir m’a appelé pour son disque de duos « Identités », en 1999, je lui ai dit : « Faisons un trio avec Brahim. »
Vous êtes content de cette version ? J’en suis d’autant plus content que ce qu’ils ont fait en chaâbi est très beau. J’étais en admiration devant son joueur de darbouka qui est un métronome sur pattes ! Je suis surtout heureux de ce que ça a fait sur les Kabyles. À Paris, beaucoup de chauffeurs de taxis sont kabyles et lorsque je prends un taxi, tous, à un moment de la course, me signalent qu’ils connaissent la chanson et qu’ils l’apprécient. En plus, sur le disque, je chante en kabyle !
En phonétique ? Ah oui, et j’en ai chié pour apprendre car ce n’est pas une langue facile. Il y a par exemple trois sortes de « s »... Après avoir fini l’enregistrement, je dis à Idir : « J’ai un accent ? » – « Non, Maxime, tu n’as pas d’accent ! » J’insiste. Et là il me dit : « Si, quand même... Tu as l’accent des Dames blanches ! » Et là, j’ai compris car, pendant la colonisation française, les militaires les plus lettrés apprenaient l’arabe, mais personne n’apprenait le kabyle sauf les bonnes sœurs. Il n’y a qu’elles qui apprenaient cette langue. Donc j’avais l’accent des Dames blanches…
Idir, vous l’avez connu à l’époque de A vava inouva ? Je ne sais plus depuis combien d’années je connais Idir, on est à peu près de la même génération.
Dans les années 70, Idir avait émis le souhait d’enregistrer des chansons avec vous… Eh bien on a mis le temps et on a fini par le faire ! Idir a également fait traduire Né quelque part en kabyle par Ameziane Kezzar. Nous avons enregistrée cette version tous les deux en 2017, sur l’album « Ici et ailleurs » d’Idir, mais elle a eu moins de retentissement que Tizi Ouzou. Idir m’a invité quelquefois à chanter Tizi Ouzou avec lui dans ses concerts et là, j’avais à chaque fois l’impression de rentrer dans une famille… La relation qu’il a réussi à créer avec son public est extraordinaire. C’est un peu spécifique des chanteurs kabyles parce que, pendant des années, cette langue a été interdite d’enseignement dans les écoles. Donc, elle se transmettait par les chansons. Les chanteurs ont eu une mission supplémentaire, ce qu’ils faisaient n’était pas que de la distraction et du divertissement…
• Extrait d'une longue interview de Maxime Le Forestier à paraître dans le n° 17 de JE CHANTE MAGAZINE, en juin 2020.
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