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Entretien avec Marie-Paule Belle : Françoise, Michel, Serge et les autres...

On l'attendait depuis fort longtemps et on se réjouissait d'aller l'applaudir, au printemps, à la Nouvelle Ève... Annulée, pour cause de pandémie, la rentrée de Marie-­Paule Belle se fera donc du 6 au 17 janvier 2021... si tout va bien ! Pendant les deux mois de confinement, la chanteuse n'a pas chômé : tous les jours, elle a offert à ses ami(e)s de Facebook une chanson interprétée de chez elle au piano. Juste pour le plaisir et pour maintenir le lien... Au mois de décembre, au moment où sortait une compilation de ses premiers disques, elle nous avait accordé un entretien.


Une compilation, un livre sur votre histoire avec Françoise Mallet-­Joris, un nouvel album et une rentrée parisienne au printemps à La Nouvelle Ève : on peut dire que 2020 va être une année « Belle »...

Je l'espère ! C'était très difficile pour moi d'écrire ce livre sur Françoise, sur notre travail avec Michel Grisolia pour l'écriture des chansons. Et puis sur notre histoire d'amour. Ce livre, je le fais vraiment pour lui rendre hommage, car je trouve que sa place n'est pas assez reconnue, ni dans la littérature ni comme auteure de chansons. Je le fais aussi pour lutter contre l'homophobie qui est grandissante et pour témoigner d'un amour entre deux personnes de même sexe qui peut être durable et passionnel et avoir toutes les formes d'un amour absolu.


Vous n'en aviez jamais parlé auparavant ?

Je ne l'ai jamais caché, mais je n'en ai jamais fait un étendard comme certaines féministes dans les années 70, parce que je ne me définis pas par mon histoire sexuelle. C'est arrivé comme ça que j'aime une femme et ça aurait pu être un homme... Dans une histoire d'amour, ce sont les goûts, la personnalité et les points communs qui font qu'on se rencontre, le sexe vient en même temps, en point d'orgue. Je le dis dans le livre, j'ai eu d'autres aventures après, mais ce n'était pas du tout la force de cet amour que j'ai eu avec Françoise. Je ne l'ai jamais caché quand on me posait la question. Je n'ai donc pas fait de « coming out » parce que c'était connu de tout le monde. On ne s'est jamais cachées, au contraire, on s'affichait dans la lumière et d'une façon tout à fait naturelle.


Dans vos chansons, vous y avez peut-­être glissé des allusions ?

Dans le livre Les Dessous lesbiens de la chanson, Léa Lootgieter et Pauline Paris, les deux auteures qui m'avaient interviewée, ont noté deux titres dans mon répertoire : Celles qui aiment elles, que j'avais écrite avec Dominique Valls et qui figure sur l'album « Belle et rebelle » sorti en 2011, et Comme les princes travestis, une chanson de 1979, qu'on peut voir de cette façon-­là. Françoise aimait bien trouver un éclairage particulier pour parler de sujets importants, comme L'Enfant et la mouche, qui traite de l'indifférence et de la cruauté. Mais c'est finalement Dominique Valls qui a trouvé l'éclairage particulier en partant d'une photo imaginaire des années 50 où l'on voit deux femmes qui se tiennent la main.


Sur votre dernier album paru en 2011, vous aviez écrit avec Dominique Valls une chanson très forte sur les violences faites aux femmes : Assez.

J'ai toujours soutenu les mouvements féministes en ce qui concerne l'égalité entre les hommes et les femmes. Quand il faut s'engager contre les violences faites aux femmes, mon moyen à l'époque c'était de faire cette chanson avec Dominique. Aujourd'hui, cette chanson ressort, car l'actualité l'impose.


Qui est Dominique Valls ?

C'est une femme qui a écrit beaucoup de choses pour les enfants. Elle m'avait été présentée par Max Amphoux, mon premier producteur grâce à qui j'ai commencé dans le métier. Dominique m'avait demandé des musiques pour une comédie musicale pour enfants qui n'a pas vu le jour, mais qui était un projet très intéressant. On a commencé à travailler ensemble, on a fait des chansons puis on s'est un peu perdues de vue, mais c'est un auteur qui a une plume très intéressante.


Vous aviez rencontré Françoise Mallet-­Joris à l'époque où elle venait de publier La Maison de papier ?

Je raconte tout ça dans le livre... Je l'ai rencontrée par hasard, par l'intermédiaire d'une amie commune que j'avais connue à Nice. Elle vivait chez Françoise Mallet-­Joris et m'a proposé de me la présenter. Françoise venait de sortir La Maison de papier qui a été un immense succès de librairie et habitait un très grand appartement, avec beaucoup d'amis, c'était un peu la vie en communauté... On s'est raconté ce qu'on faisait et ce qu'on voulait faire, on a chanté des chansons et ça a duré jusqu'à pas d'heure... Nous nous sommes quittées en promettant de se revoir et de travailler ensemble. J'ai commencé par composer des musiques pour les spectacles privés qu'elle donnait chez elle au moment de Noël, des « mystères » de Noël. Je lui ai ensuite présenté Michel Grisolia, que j'avais connu à Nice quand j'avais neuf ans, et on a commencé très vite à écrire des chansons à trois. Les premières écrites avec Françoise sont celles qui figurent sur mon premier album : Ça m'est égal, L'odeur de l'herbe, Pourquoi je t'aime, Comme les pierres... Des choses assez poétiques finalement. Ou L'âme à la vague, Trans Europe Express ou Wolfgang et moi, pour citer les plus connues. Ce sont des chansons que je chantais déjà à L'Écluse et à L'Échelle de Jacob.


Vous avez finalement connu la fin des cabarets...

Oui, les toutes dernières années. J'ai vraiment arrêté de tourner en cabaret en 1973 quand j'ai fait mon premier Bobino, ma première grande télé nationale, grâce à Philippe Bouvard dans Samedi soir, et puis mon premier album qui est sorti à l'automne 1973.


Est-il vrai que vous êtes passée à Bobino un peu par hasard, pour remplacer quelqu'un qui se désistait ?

C'est vrai, et c'est incroyable parce que j'ai connu beaucoup de choses similaires dans ma vie... C'est pour ça que j'ai écrit une chanson qui s'appelle Il n'y a jamais de hasard, car je pense que la destinée est dans une certaine mesure inscrite à l'avance... On doit rencontrer les personnes à un moment donné et si on ne les rencontre pas, c'est que ce n'est pas le moment... C'est la magie de la vie.


Il n'y a jamais de hasard est une des rares chansons dont vous avez écrit vous même paroles et musique...

J'ai écrit beaucoup de chansons, paroles et musique, mais je ne les ai jamais montrées. Quand on a des auteurs comme Françoise Mallet-­Joris et Michel Grisolia, on doit rester humble, je pense... Mais de temps en temps, quand un sujet me tenait à cœur et que je pensais pouvoir l'exprimer moi-­‐même, j'enregistrais une chanson... Il y a eu Il n'y a jamais de hasard, Sans se dire au revoir ou Une autre lumière, l'hommage à Barbara. Dans mon prochain album, il y aura plusieurs chansons dont les paroles sont de moi. J'ai aussi retrouvé des inédits de Françoise et de Michel et cet album ne va comporter que des chansons inédites. Pour l'instant, j'en suis à dix-­sept titres... Il y en aura sans doute dix-­huit, puisque je viens d'en écrire une avec Isabelle Mayereau et que j'aimerais bien mettre sur l'album.


Vous êtes fidèle à vos auteurs...

Je reçois beaucoup de textes, mais j'ai toujours écrit la musique en même temps que les paroles et, souvent, je contribue aux paroles, c'est le cas avec Isabelle. C'est du sur mesure, alors pourquoi changer lorsqu'on a trouvé chaussure à son pied ? Pourquoi irais-­je chercher ailleurs des choses qui ne sont pas du sur mesure alors que j'ai des tonnes de chansons en attente d'enregistrement et qui ne le seront peut-­être jamais ?


Comment naissaient les chansons que vous avez faites avec Françoise Mallet-­Joris et Michel Grisolia ?

On faisait tout ensemble. On se réunissait, parfois même on s'enfermait plusieurs jours ou plusieurs semaines dans une grande maison que l'on avait achetée ensemble... et on composait ! Nous étions complètement dans notre univers et dans la création, du matin au soir. Berlin des années 20, par exemple, est née de cette façon-­là, un matin où Michel Grisolia, au petit déjeuner, nous parlait d'une biographie de Marlene Dietrich qu'il était en train de lire. À partir de là, on a commencé à parler de L'Ange bleu, de l'Allemagne des années 20, etc., et la chanson est née dans la foulée. Quand on écrivait les chansons, Françoise ou Michel me donnaient des brouillons de paroles et je proposais une musique dessus. Puis ils réajustaient les paroles sur la musique parce que je pouvais leur dire : là, vous m'avez écrit sept pieds, ici le vers finit par un « a » et je préfère que ce soit un « i »... Ça se passait vraiment en fusion complète, c'est pour ça que les chansons donnent l'impression d'être écrites par une seule personne.


Il n'y avait pas une « spécialisation » chez l'un et l'autre ?

Je me souviens des moments où une chanson a été créée et je sais que telle expression ou telle chanson, c'est plus Françoise, telle autre c'est plus Michel... La Parisienne, Les Petits patelins, Berlin des années 20, L'Enfant et la mouche, Sur un volcan, c'est plus Françoise. Wolfgang, Nosferatu, L'âme à la vague, c'est plus Michel... Mais chacun est intervenu dans l'écriture de l'autre et c'est pour ça qu'on avait fait un pacte entre nous trois quand on a commencé à travailler ensemble : c'est de signer moi les musiques et eux deux, toutes les paroles.


J'avais découvert Michel Grisolia comme critique de cinéma dans les années 70 avant de le retrouver parolier...

Michel était un grand critique de cinéma et c'était aussi un grand auteur de romans. Il a aussi écrit beaucoup de livres, souvent des romans policiers qui ont été adaptés au cinéma et des scénarios pour des Maigret à la télévision. Il avait un humour extraordinaire, c'était quelqu'un de très caustique, doué d'un sens de la répartie incroyable. C'était un type très intelligent et très drôle.


Au festival de Spa, en 1974, vous étiez passée avec quelle chanson ?

J'avais gagné le Grand prix avec Le Café Renard, ex-­aequo avec Pascal Auberson, un chanteur suisse. Avoir gagné à Spa m'a ouvert les portes des pays francophones comme la Belgique, la Suisse et le Québec. Et à partir de ce moment-­là, j'ai commencé à faire des tournées internationales pour des publics francophones, mais pas uniquement. J'ai chanté en Finlande, au Qatar, en Pologne. Au Japon, où on adore la chanson française, j'ai chanté dans de très grandes salles et il y avait des heures d'attente pour les signatures de dédicaces... Les gens arrivaient avec leurs disques vinyles et j'étais complètement abasourdie parce que je ne pensais pas du tout qu'on me connaissait au Japon ou en Finlande, un pays dont la langue est si différente de la nôtre... En regardant mes droits SACEM, je suis étonnée que les radios passent encore mes titres dans de nombreux pays, notamment dans les pays de l'Est, surtout la Roumanie où on aime beaucoup la langue française. Ça me fait évidemment plaisir.


À l'époque, vous passiez beaucoup à la radio, notamment à France Inter...

Les deux premières années, j'ai été soutenue par France Inter. C'est d'ailleurs France Inter qui avait proposé ma candidature à Spa. Après, Monique Le Marcis, qui était responsable de la programmation musicale à RTL, était venue me voir à Bobino en 1975, où je passais en première partie de Marcel Amont, avec Patrick Sébastien. Dans ma loge, elle m'a demandé : « Est-­ce que je peux prendre le train en marche ? » J'ai répondu : « Mais montez donc ! », et à partir de là, je suis devenue ce qu'on appelle une « artiste RTL » ! Il y avait alors les deux stations commerciales rivales – Europe 1 et RTL – et RTL m'a beaucoup soutenue, mes chansons sont entrées dans les hit parades. C'est Monique Le Marcis qui a fait le succès de La Parisienne, grâce à elle, RTL m'a vraiment matraquée...


Ce qui est étonnant, c'est que La Parisienne est le dernier titre de la face B de l'album. Vous n'y croyiez pas du tout ?

Non, pas trop, parce qu'on avait fait cette chanson pour s'amuser et pour se moquer de nous-mêmes. C'était la période du disco et moi j'arrivais avec une musique à la manière d'Offenbach, en sautillant sur un tabouret ! En fait, tous les provinciaux se sont reconnus dans cette chanson et les Parisiens aussi se sont moqués d'eux-­mêmes et l'ont aimée. 43 ans après, vous vous apercevez que le texte est encore plus d'actualité aujourd'hui qu'en 1976 : la psychanalyse s'est développée, le vélo s'est imposé comme mode de transport, l'écologie est dans toutes les têtes, les gens fuient Paris pour aller dans la campagne... Françoise était une visionnaire. J'ai une chance inouïe d'avoir ce répertoire de chansons.


Vous êtes connue pour La Parisienne, mais ceux qui vous aiment ont un faible pour vos chansons d'albums, comme Celui, Quand nous serons amis ou Les Petits dieux de la maison...

Même si j'adore déclencher les éclats de rires avec Wolfgang, Nosferatu ou Les Petits patelins, je préfère les chansons émouvantes ou graves, on peut les réécouter plusieurs fois sans se lasser. Françoise avait écrit Celui pour parler de l'amitié entre Serge Lama et moi. On a vécu un amour très fort, mais qui ne s'est jamais concrétisé jusqu'au bout. Dans la préface du livre que Serge m'a écrite, il y a cette déclaration d'amour extraordinaire : « Maintenant, je peux te le dire, vous étiez deux êtres dans la lumière, une forteresse inexpugnable de passion. Je suis arrivé au milieu et je peux te le dire aujourd'hui, je t'ai aimée... » Quand j'ai lu ça, j'ai été bouleversée. Mais c'était la vérité et Françoise, qui l'avait senti, a écrit cette chanson. Serge dit toujours de Celui : « C'est ma chanson » !


Quand nous serons amis...

On garde une complicité avec quelqu'un qu'on a aimé à la folie et on retrouve cette complicité même à distance, même sans se parler, ne serait-­ce que dans un regard ou un sourire... Je l'ai déjà vécu. Cette chanson plaît beaucoup aussi parce que tout le monde a vécu ça au moins une fois dans sa vie. Lorsque les chansons correspondent à un sentiment universel, on se retrouve avec sa propre histoire...

Dans Les Petits dieux de la maison, on est dans l'ambiance dès la première phrase (« Je me souviens le dé à coudre... »)...

Lorsque j'ai rencontré Françoise, je venais de perdre maman et j'étais complètement dans le chagrin. Je lui avais beaucoup parlé de ma mère. En plus de l'admiration inouïe que j'avais pour Françoise, pour son intelligence, son humour et son talent, je pense que j'ai fait un transfert parce qu'elle avait énormément d'empathie, elle était très protectrice, très maternelle. J'étais en manque de tout ça et cela a sans doute joué pour déclencher un amour fou...

Il y avait Je veux pleurer comme Soraya à la même époque...

Certaines personnes du show business m'ont reproché d'avoir changé mon image si rapidement. Parce que tout de suite après La Parisienne, j'ai sorti Je veux pleurer comme Soraya, et que ça pouvait dérouter le public... À les entendre, j'aurais dû écrire deux ou trois titres comme La Parisienne pour enfoncer le clou... Mais ce n'est pas moi qui décide des musiques qui me tombent dans la tête et dans le cœur. L'inspiration, ça ne se commande pas...

La Louisiane...

La Louisiane est une chanson qui est beaucoup passée en radio et que j'ai rarement chantée sur scène, parce que c'est une chanson purement descriptive. Il y a des chansons qui sont des chansons de scène et d'autres qui sont des chansons d'albums.

Quand on se penche sur la chanson des années 70, on s'aperçoit que des artistes comme vous et tant d'autres – Serge Lama, Alice Dona, Maxime Le Forestier, Nicolas Peyrac, Isabelle Mayereau... –, vous étiez jeune, la trentaine, et pourtant vos chansons étaient matures, c'était des chansons d'adultes. Une caractéristique qui s'est complètement perdue de nos jours, me semble-­t-­il...

Je crois que ce qui s'est perdu complètement, c'est la précision des mots justes pour faire passer une idée... Aujourd'hui, on jette sur le papier des mots comme ça, les textes sont souvent mal écrits – rare exception de certains raps qui sont bien écrits et qui ont du contenu. À l'époque, on parlait de « chanson à texte » ou de « chanson rive gauche », je n'aime pas ces expressions, mais elles veulent bien dire quelque chose... Souvent, le public me confie : « On adore vos chansons parce que ça raconte une histoire, il y a un climat, ce sont des petits films. On voit les personnages, on ressent cette idée très fortement... » On n'a pas l'impression que ce soit le cas aujourd'hui, où les arrangement donnent la priorité à la rythmique. Aujourd'hui, il n'y a plus de mélodie. Alors que nous, on s'attachait beaucoup à la mélodie, on faisait sienne l'idée de Charles Trenet qui disait : « Quand on ne souvient plus de paroles, on fait la la la... » Il faut que le texte soit intense, soutienne la mélodie, mais ce qu'on retient en premier, c'est la mélodie. Et quand il n'y a pas de mélodie, c'est plus difficile de retenir les chansons...


Je me demande souvent ce qui sera repris quand on fera des « best of » des années 2000... Il y aura peut-­‐être une ou deux chansons par année, mais c'est bien maigre par rapport à la créativité des années 70 et 80...

Je suis entièrement de votre avis, mais je n'ose pas trop le dire parce que ça laisserait entendre que « c'était mieux avant »... et j'ai horreur de cette expression qui fait vieux combattant !


Parmi les arrangeurs de vos chansons, il y a eu notamment Hervé Roy.

Au début, oui. Après, j'ai eu, entre autres, Jean Musy, qui avait une écriture des cordes extraordinaire, et Michel Bernholc qui était également un très grand arrangeur. J'ai eu la chance d'avoir aussi des grands musiciens, la plupart de ceux qu'on appelait les « requins de studio » et qui jouaient sur les disques de presque tout le monde : Pierre-­Alain Dahan à la batterie, Jean-Jacques Cramier ou Raymond Gimenès à la guitare... J'ai été accompagnée par les deux frères Perathoner, Philippe et Serge – Serge qui m'a écrit des arrangements sublimes... C'était une autre époque. Aujourd'hui, les musiciens ont moins de travail, tout le monde fait ses disques chez soi sur son ordinateur, avec des instruments virtuels, et même le son n'est plus le même. Avant, on travaillait avec des amplis à lampe, ça donnait une chaleur dans le son. Maintenant, tout est aseptisé en fait.

Depuis mes premiers albums jusqu'aux années 80, j'ai eu la chance d'avoir comme directeur artistique Max Amphoux, qui avait une grande expérience du métier. Moi, je n'y comprenais rien, mais je voulais juste que l'on n'abîme pas mes chansons. Quelques-­unes ont été gâchées par certains arrangements, mais à l'époque j'avais laissé faire parce que je n'avais pas le pouvoir de dire trop de choses... Maintenant, c'est différent.


Comment avez-­‐vous connu Max Amphoux ?

Je l'ai connu par l'intermédiaire de Boris Bergman, à l'époque où je faisais encore du cabaret. C'est Mariem, cette amie aujourd'hui décédée dont je vous parlais au début, qui m'a conseillé d'aller le voir. Cette amie chanteuse n'a jamais fait carrière, mais à ce moment-­là, Boris Bergman était en train d'écrire pour elle des adaptations de chansons de Buffy Sainte-­Marie et de Joni Mitchell. Boris m'a invité chez lui, je lui ai chanté mes chansons à la guitare et il me dit : « Allez voir Max Amphoux de ma part. C'est un éditeur, il pourra placer vos chansons... » Des années plus tard, Max m'a raconté que Boris faisait souvent des farces et lui envoyait des artistes complètement ringards ! Quand Max m'a reçue, il a peut-­être pensé que c'était encore une blague de Boris, parce que j'arrivais de ma province en jupe plissée et que j'avais tout de la jeune fille de bonne famille qui veut faire de la chanson... Il m'a demandé de m'installer au piano et après que je lui ai chanté toutes les chansons qui allaient figurer sur mon premier album, il m'a dit : « Je ne pense pas que vous allez avoir besoin de placer vos chansons, vous allez les chanter vous-­même ! Et vous n'allez pas enregistrer un 45 tours, mais directement un album, car vous avez un univers... Je vous signe un contrat pour trois albums. » Il trouvait que j'avais une place dans ce monde de la chanson. C'est grâce à Max Amphoux que je suis « sortie », car il a vraiment tout fait pour me faire connaître.


Au début des années 80, Polydor n'a pas renouvelé votre contrat et vous signez chez Carrère en 1982 avec le 30 cm « Mon premier album ».

Vous savez, je suis quelqu'un de très fidèle, je ne pars pas comme ça ! À l'origine de mon changement de maison de disques, il y avait cette envie de faire un album avec des chansons du répertoire. Avec mes musiciens, en prenant notre temps et dans une ambiance formidable, j'ai enregistré une douzaine de chansons d'Yvette Guilbert, de Damia, de Berthe Sylva, notamment, et une fois l'enregistrement terminé, j'ai proposé la bande à Polydor. On m'a alors répondu que ça ne les intéressait absolument pas ! C'est à ce moment-­là que j'ai rencontré le producteur Claude Carrère. Il s'est montré très intéressé, surtout par La Biaiseuse, trouvant que j'apportais quelque chose de nouveau à cette chanson qui avait été déjà enregistrée par Caroline Cler et Annie Cordy...


Vous êtes passée à l'Olympia en 1978. Sur les plateformes de musique, on trouve un enregistrement de ce spectacle, mais je crois qu'il n'est pas sorti en disque à l'époque...

Non. il n'y a jamais eu d'album vinyle. Je suis revenue à l'Olympia pour mes trente ans de scène, en 2008. C'était très émouvant parce que Françoise était encore là et j'ai pu lui rendre un hommage en la faisant reconnaître immédiatement par le public qui était debout pour applaudir ses chansons... Ça m'a émue aux larmes.


À la fin des années 90, vous avez enregistré une trentaine de reprises pour les éditions Atlas. Vous aimez chanter les chansons des autres...

J'ai adoré ça ! Et je l'ai fait aussi pour Reader's Digest. Ça m'a permis de chanter des choses très différentes de mon univers : des chansons de Rita Mitsouko (Marcia Baila), Gainsbourg (Les P'tits papiers), Enzo Enzo (Juste quelqu'un de bien), Liane Foly (Au fur et à mesure), Maxime Le Forestier (Je veux quitter ce monde, heureux)... Les titres étaient choisis d'un commun accord.


Avec Maxime Le Forestier, vous étiez souvent sur les mêmes plateaux de télévision...

Récemment, nous nous sommes retrouvés pour nos cinquante ans de SACEM. Dans les années 70, on se voyait souvent, j'allais dans son moulin... Pour les Carpentier, dans mon Numéro 1, j'avais demandé à Maxime et à Julien Clerc de venir et on a chanté J'ai eu trente ans tous les trois... Cela reste un souvenir très émouvant.


En 1994, on vous revoit au Théâtre de Dix-­‐Heures.

J'ai recommencé le piano-­voix en 1994, au Théâtre de Dix-­Heures, sur les conseils de William Sheller. Le soir de la générale, avant que je ne chante, tout le monde s'est levé et m'a fait une standing ovation – d'habitude on le fait à la fin. J'étais tellement émue que je me suis effondrée en larmes parce que je pensais que les gens m'avaient un peu oubliée, sauf en province où à l'étranger... J'attaquai avec Wolfgang, une chanson drôle, avec tout le rimmel noir qui coulait sur mes joues...


Dans l'un de vos précédents livres, vous écriviez : « Les Français ne veulent pas se montrer à se laisser aller... »

Oui, dès que l'on franchit les frontières, le public est plus enthousiaste, plus démonstratif surtout. En Belgique, en Suisse et au Québec, notamment. J'ai eu la même impression au Japon. Là-­bas, entre les chansons, le public n'applaudit pas. Pour ne pas déranger. Ce qui fait qu'à la troisième chanson, on se dit qu'on est en train de se ramasser le bide complet... Mais pas du tout, ils gardent tout en eux et à la fin, ça explose et ils crient ! En moins exagéré, c'est un peu ça en France : même s'ils aiment d'une façon intense, les spectateurs sont assez réservés, ils n'osent pas couvrir le texte, ils veulent écouter et n'osent pas trop participer. Sauf à la fin où ils font des standing ovations.


Les Sentiments est une chanson que vous avez composée sur des paroles de Viviane Forrestier et qui a été enregistrée par Pauline Julien puis par Anne Sylvestre.

Oui, il y a très longtemps. Il y a des chansons que j'ai écrites et qui restent enfouies dans ma mémoire, je n'arrive pas à me souvenir de certaines musiques. En 1982, pour une émission de télévision qui s'appelait L'âme des poètes, on avait demandé à des artistes de mettre en musique des poèmes existants et j'avais choisi un poème de Valéry Larbaud qui s'appelle Scheveningue, morte saison. J'ai retrouvé cette chanson et du coup, j'ai trouvé qu'elle était tellement émouvante qu'on a demandé les droits à l'INA et elle sera sûrement en bonus dans le prochain album.


Vous avez peu écrit ou composé pour les autres.

Oui, parce qu'on ne me sollicitait pas beaucoup, mais je n'aurai demandé que ça ! Les gens pensent qu'on se limite à notre propre univers d'une façon égocentrique, mais pas du tout : j'ai composé des chansons pour Marcel Amont, Jean Guidoni, Sylvie Vartan, Mireille Mathieu, Bibie, Isabelle Aubret, Anne Baquet, Juliette Gréco... Pour Nicole Croisille j'ai fait une chanson... qu'elle n'a pas enregistrée ! Au contraire, j'aime bien sortir de mon univers, mon ordinateur est plein de musiques différentes : j'ai des musiques « classiques », des thèmes de jazz qui pourraient servir de génériques pour des films. Je ne commande pas la musique qui sort de moi...


C'est le concours sur Télé Monte Carlo, Chapeau, qui vous a lancée...

Oh, j'aimerais tellement retrouver ces images ! J'ai le son de cette émission, enregistré sur un vieux Revox, mais la bande doit être usée... On entend le présentateur me décrire à ma première apparition publique : « Elle a vingt ans, elle a fleuri sa guitare... », le reste je ne m'en souviens plus !


Vous chantiez Point de vue de Jean Arnulf ?

Oui, j'adorais cette chanson d'Arnulf que j'ai connu à L'Écluse, tout comme Jacques Debronckart et d'autres que l'on a oubliés aujourd'hui. Il y a quelques années, j'avais monté un tour de chant en piano-­voix qui s'appelait « Comme au cabaret », dans lequel je reprenais les chansons que je chantais à l'époque où je faisais du cabaret. Ce sont des textes formidables.


Sur votre tout premier disque paru en 1969, le fameux 45 tours CBS, c'est votre père qui est l'auteur de la chanson Tout vient à point...

Oui, mais il n'avait pas voulu que je le mentionne sur le disque et il y a donc mon nom comme si j'avais écrit les deux chansons du 45 tours. J'avais seulement écrit la face B, Il n'y a rien à comprendre.


Tout vient à point est une valse, avec orgue de Barbarie. Ce n'était ni dans le ton de l'époque, ni dans l'air du temps, en 1969 !

J'ai souvent été hors du temps ! Et maintenant, au bout de 50 ans de carrière, je m'en réjouis !


Vos deux premiers 33 tours viennent d'être réédités par Marianne Mélodie et tous vos 30 cm Polydor sont disponibles en téléchargement légal, mais pas vos albums suivants...

Oui, j'en ai beaucoup qui sont dans la nature, si j'ose dire... L'album avec Sur un volcan n'a jamais été réédité, tout comme celui avec L'Heure d'été. Il y a de très belles chansons dessus... ●


Propos recueillis par Raoul Bellaïche


Photo : Bruno Perroud


• Marie-­Paule Belle : Comme si tu étais toujours là, préface de Serge Lama, éditions Plon, 2020.


Interview parue dans JE CHANTE MAGAZINE N° 17.


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