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Chariot : en route pour le succès

L'année 1962 est décidément une année faste pour Jacques Plante, qui accumule les succès en tant que parolier ou adaptateur : J'entends siffler le train (Richard Anthony), Les Comédiens (Charles Aznavour), Un Mexicain (Marcel Amont), Telstar (Colette Deréal), Chariot (Petula Clark)... Une demi-douzaine de tubes en une seule année, un record difficile à égaler !


Née en Angleterre en 1932, Petula Clark débute très jeune dans le monde du spectacle. En 1949, elle enregistre son premier disque chez Columbia (Put your shoes on Lucy) et entame une longue carrière anglaise ponctuée de succès comme The Little Shoemaker (l'adaptation du Petit cordonnier de Francis Lemarque) en 1954, Majorca et Suddenly there's a valley (cover de la version américaine de Cogi Grant et connue en France par celle d'Édith Piaf, Soudain une vallée), toutes deux en 1955. En 1957, elle enregistre la version anglaise d'un succès de Dalida (et des Compagnons de la Chanson), Gondolier, sous le titre With all my heart, ainsi que Alone (Why must I be alone), succès des Shepherd Sisters, que Dalida (encore elle) chantera sous le titre Je pars.


Le 15 octobre 1957, à Paris, Petula chante à l'Olympia dans le cadre des Musicorama organisés par Europe n° 1 (un enregistrement public paraîtra l'année suivante). Le lendemain, elle fait la connaissance de Léon Cabat, le patron de Vogue, qui lui propose d'enregistrer en français. C'est à cette occasion qu'elle rencontre Claude Wolff, l'attaché de presse de la maison de disques, dont elle deviendra l'épouse quelques années plus tard. Pierre Delanoë lui écrira une chanson de circonstances : La Seine et la Tamise. Le premier disque en français de Petula Clark est un 45 tours Vogue publié en 1958. Elle y reprend un titre de Jacques Plante, Tout ce que veut Lola, une adaptation de Whatever Lola Wants, un air de la comédie musicale Damn Yankees. Tout en poursuivant sa carrière anglaise, elle enregistre régulièrement en France, alternant adaptations (Java pour Petula, écrite par Boris Vian ; Ne joue pas ; Marin ; Roméo ; Ya ya twist) et créations (À London, Les Bougainvillées...). Mais sa notoriété française ne décollera qu'à partir de 1962, avec Chariot, chanson au climat western, son véritable premier succès français, alors que sortent sur les écrans des films comme La Conquête de l'Ouest et L'Homme qui tua Liberty Valance... Une intro tout de suite mémorisable, un départ accrocheur (« Si tu veux de moi... ») et ce refrain lancinant :


« La plaine, la plaine, la plaine

N'aura plus de frontières

La terre, la terre sera notre domaine

Que j'aime, que j'aime

Ce vieux chariot qui tangue... »


L'auteur de la chanson, Jacques Plante, est crédité au dos de la pochette aux côtés des compositeurs, J. W. Stole et Del Roma. Deux parfaits inconnus dans le monde de la musique. Et pour cause... puisque derrière ces deux noms se cachent deux musiciens français réputés : Frank Pourcel et Paul Mauriat ! Pourquoi ces pseudonymes ?


En 1962, le yéyé bat son plein et, dans les maisons de disques, les postulants au statut d'idoles des jeunes ne veulent pas enregistrer de chansons françaises mais des adaptations de succès étrangers. Alors, comme dirait Renato Carosone, c'est pour « fa' l'americano » ! Comme Michel Legrand, Henri Salvador et Boris Vian six ans auparavant, Pourcel et Mauriat se choisissent donc des noms « exotiques ». Quant à Raymond Lefèvre, l'arrangeur du morceau – qui n'a pas encore de texte –, il signe F. Burt. Interviewé par Serge Elhaïk, Paul Mauriat raconte : « Proposer Chariot à un chanteur ou une chanteuse français(e) s'avérait une démarche inutile, voire humiliante. Après quelques jours de réflexion, Franck, Raymond et moi trouvions la solution par l'intermédiaire d'un stratagème judicieux : signer avec des pseudonymes... J. W. Stole pour Frank, je suis devenu Del Roma et Raymond a choisi celui de F. Burt. Cela sonnait américain ou émigré italien aux États-Unis.


Étape suivante : s'adresser à un parolier également éditeur afin de réduire les risques de fuite ; le secret ne serait donc connu que de nous quatre. Après avoir accepté notre proposition, Jacques Plante s'est alors mis au travail et a rapidement terminé le texte de Chariot. Quelques semaines plus tard, Petula Clark, une chanteuse anglaise grande vedette en France, enregistrait notre chanson. Chariot fut rapidement l'un des plus gros succès de l'année 1962. Nous étions n° 1 parmi les chansons “étrangères“ à la radio dans l'émission La Bourse aux Chansons animée par André Salvet. Un jour, je téléphone à André Salvet et je lui dévoile la vérité : “André, Chariot a en fait été composée par Franck Pourcel et moi !“ Cela a mis la révolution partout !


Malgré l'amitié qui nous liait à lui, Lucien Morisse, directeur d'Europe n° 1, fut très dépité par notre réussite. Il aurait bien voulu que cela arrive à l'un de ses artistes préférés, ceux que l'on entendait dans l'émission Salut les Copains. Sa déception l'a amené à me dire textuellement quelques mois après : “Il est impossible que des compositeurs français puissent écrire une telle chanson, c'est un plagiat, j'en trouverai l'original.“ Il n'a jamais trouvé... » (1)


La même équipe – Plante, « Stole et Del Roma » – concoctera une chanson un peu dans le même esprit mais beaucoup moins inspirée. La longue marche sera enregistrée en 1963 par Eddy Mitchell, Les Compagnons de la Chanson et Rika Zaraï.



La même année, une version anglaise de Chariot voit le jour, sous la plume de Norman Gimbel – l'auteur des paroles anglaises de The girl from Ipanema, de Bluesette, de Killing me softly with his song et de deux thèmes des Parapluies de Cherbourg – et par Arthur Altman qui adapte la musique. Elle sera créée par la jeune américaine Little Peggy March (elle n'a que quinze ans), sous le titre I will follow him, qui en fait un succès international. Puis reprise par Petula Clark.


Trente ans plus tard, en 1992, I will follow him figurera dans la bande originale du film musical Sister Act, dans une version chorale interprétée par Deloris (Whoopi Goldberg) & The Sisters.


Raoul Bellaïche




(1) Extrait de : Serge Elhaïk : Paul Mauriat, une vie en bleu, édité par Serge Elhaïk, 2002.



• Article publié dans JE CHANTE MAGAZINE n° 14.

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