Pour accompagner la sortie de son nouvel album, Georges Chelon se produisait à l'Olympia, le 15 septembre 2019.
Composer un tour de chant quand on a un répertoire de plusieurs centaines de chansons, ce n'est pas un peu casse-tête ?
Bien sûr que ce n'est pas évident, mais je tenais à ce qu'il y ait déjà les chansons du dernier disque que j'ai presque toutes chantées, et aussi quelques-unes de l'avant-dernier. J'ai choisi celles qui étaient de circonstance. Et comme nous étions un peu pressés par le temps, j'ai pris les musiciens qui avaient participé au disque, ils connaissaient bien les morceaux. De vos toutes premières chansons, vous n'avez repris que Prélude et Père prodigue, celle-là dans une nouvelle orchestration étonnante... En fait, j'en avais un peu marre de chanter Père prodigue de la même façon, ce n'était plus de mon âge ! L'histoire de cette nouvelle orchestration est étonnante... J'étais chez des copains au Maroc. Une nuit, j'ai rêvé que je chantais sur une scène – ça m'arrive souvent à l'approche d'une date importante – et dans le rêve, un groupe de chanteurs sud-américains avait surgi et s'était mis à m'accompagner sur cette chanson. J'ai trouvé ça super... et je me suis réveillé ! J'ai sauté sur mon iPhone et j'ai essayé de mémoriser cet accompagnement... On dit que la nuit porte conseil : j'en ai eu la preuve ! Notre-Dame, qui figure sur votre nouvel album, a été une des chansons les plus applaudies à l'Olympia. Mais vous n'avez pas chanté Le monde a peur ou La Belle endormie... Elles étaient prévues, mais j'y ai renoncé parce que des chansons comme celles-là ne se justifient qu'au moment de l'événement. Chanter La Belle endormie, c'était se replonger dans l'ambiance d'il y a quatre ans... Je pense que même Notre-Dame n'aura plus la même force dans un an. Vous avez écrit Notre-Dame tout de suite après l'incendie ? Oui, sur le coup et ce qui est venu très vite, c'est le début : « On trouvera les pierres et les arbres géants... ». Mais je sentais qu'il manquait quelque chose.... Et c'est une interview de... Zidane qui m'a aiguillé ! Il avait dit : « En tous cas, il n'y a pas de mort d'hommes. » Et c'est vrai que s'il y avait eu des morts, la perception de la catastrophe aurait été tout à fait autre. Psychologiquement, ça a changé la vision de cet incendie. Saint-Pierre est une chanson d'humour « à la Brassens »... Brassens a écrit de nombreuses chansons avec des histoires invraisemblables qui font penser à des fables. Mais il ne suffit pas d'avoir une idée. Une chanson doit être construite et il faut que les mots tombent bien. Pour Saint-Pierre, autant l'idée m'est venue facilement, autant il a fallu bosser après. J'en ai écrit des couplets que j'ai barrés !... Et vous ça vous fait rire ! fait partie de votre veine écologique qui remonte aux années 70. Même avant ! À la fin des années 60, j'avais écrit une chanson, Pastorale, dans laquelle je faisais allusion aux odeurs que dégageait l'usine Péchiney-Progil, du côté de Grenoble où j'habitais... Par la suite, j'ai écrit d'autres chansons sur ces thèmes.
Les cabines téléphoniques ? Il y a trois ans, après avoir terminé le disque avec La Belle endormie, je m'étais dit que, pour le prochain, j'essayerais de faire des chansons faciles à chanter, qui ne « prennent pas la tête ». Les cabines téléphoniques et Porte de Clignancourt sont dans cet esprit-là . Vous écrivez facilement ? Les idées vous viennent vite ? Quand elles viennent, oui. J'utilise toujours cette image du poste de radio : si on ne l'allume pas, on ne peut pas capter les émissions... Il faut donc se mettre en éveil. Comme pour Chez nous, chez vous ? Pendant longtemps, ma femme me suggérait de faire une chanson sur les réfugiés. Je répondais : mais que pourrais-je dire de plus ? C'est vrai que je suis plutôt casanier, mais je bouge quand même, et le fait de bouger a élargi mon inspiration. Si je n'étais pas allé en Amérique du Sud, je n'aurai pas écrit Comme des vitrines, si je n'étais pas allé en Syrie, je n'aurai pas écrit non plus Chez nous, chez vous. C'est d'un voyage à Haïti qu'est née la chanson Haïti, enregistrée en 1977. D'une certaine manière, je suis un reporter et mes chansons sont un peu des chroniques... Je crois que vous auriez aimé être journaliste... À un moment j'avais effectivement pensé être journaliste... Mais il se trouve que je n'étais pas fait pour ça. Un jour, j'ai eu une guitare entre les mains et ma carrière est partie de là. Je n'étais pas très bon en orthographe et en dissertation, mais j'ai toujours eu des idées et je les ai toujours exprimées et affirmées car je tenais absolument à ce que l'on connaisse mon point de vue ! Vous n'avez jamais pensé à un disque hommage, un « tribute à Georges Chelon », avec de jeunes artistes qui reprennent vos chansons ? J'aimerais bien. Il y en a quelques-uns qui me chantent, mais ils le font à ma manière et je ne trouve pas ça intéressant. J'ai eu une chanson, Nous, on s'aime, qui a cartonné en Amérique du Sud et en Europe centrale. J'ai reçu un grand nombre de versions étrangères de cette chanson qui est une chanson facile, avec une jolie mélodie, moitié parlée, moitié chantée et interprétée en duo. Vous produisez beaucoup : un album tous les dix-huit mois en moyenne alors que d'autres mettent parfois cinq, sept, voire dix ans à sortir un nouvel album ! C'est ma façon d'exister, c'est une thérapie. Quand je ne ferai plus de chansons, c'est que plus rien ne me touche ou que je me foutrai de tout. Cela arrivera sans doute car on ne peut pas refaire toujours les mêmes choses. Mais jusqu'à maintenant, j'ai toujours essayé de chanter des choses qui me touchent, en rapport avec mon âge... Mon chant du cygne, la dernière chanson que vous avez chantée en rappels à l'Olympia, est inédite ? Oui, car c'est le fantasme de tous les chanteurs de faire leurs adieux sur la scène de l'Olympia... Je ferai mes adieux dans toutes les villes de France, ça me laisse donc de la marge... Et comme je n'ai pas beaucoup de galas, j'ai le temps de voir venir ! [rires]
Propos recueillis par R. B.
• « Essayez Dieu », CD EPM. En vente sur le site d'EPM.
Entretien paru dans JE CHANTE MAGAZINE n° 16 (2019), disponible.