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Tout Caradec en 5 CD

Né le 20 septembre 1946 à Morlaix, dans le Finistère, Jean-Michel Caradec a trouvé la mort le 29 juillet 1981 à Rambouillet (Yvelines) dans un accident de la route. Son œuvre enregistrée, résumée en huit albums et quelques 45 tours, est aujourd'hui enfin disponible dans son intégralité.

En 1968, il a déjà écrit quelques chansons et il les chante en s'accompagnant à la guitare dans un restaurant de Brest. Le comédien Pierre Brasseur, en tournage dans cette ville, assiste à l'une de ses prestations et, séduit par ses textes, il l'invite à venir à Paris. Brasseur le met alors en relation avec Serge Reggiani, qui entame une grande carrière dans le music-hall. Caradec propose à l'interprète de Sarah et du Petit garçon une des chansons qu'il vient d'écrire « à chaud » : Mai 68. Reggiani ne se voit pas l'interpréter mais, désireux de l'aider, lui ouvre les portes de la maison de disques Polydor. Caradec y enregistre un premier disque en 1969 (Qui, Aquarelle), quatre autres 45 tours suivront, jusqu'en mai 1972. Dix chansons qui n'attirent pas l'attention sur lui.

La maison de disques Polydor est située rue Cavalotti, toute proche du lycée Chaptal que fréquente un jeune lycéen nommé Didier Barbelivien. Il raconte : « Un jour, j'y suis allé avec ma guitare – je ne doutais de rien ! – pour passer une audition. À l'époque il y en avait, et on m'a demandé de prendre rendez-vous avec Jean-Michel Caradec, l'un des directeurs artistiques de la maison. Je trouvais ça étonnant parce que, dans ma tête, on ne pouvait pas être chanteur et directeur artistique... C'est comme ça que j'ai connu Jean-Michel Caradec et qu'il m'a encouragé à écrire et à continuer d'amener mes maquettes... C'est là que j'ai connu Maxime Le Forestier, Jean-Pierre Kernoa, Georges Moustaki et Serge Reggiani qui étaient les vedettes Polydor. À l'époque où Jacques Bedos chapeautait tout ça, c'était une famille. »

L'oncle de Guy Bedos est le grand Manitou chez Polydor où, à coup d'albums bien pensés et « classieux », il a relancé l'intérêt pour la chanson à texte. « J'ai adoré tout de suite, rappelle-t-il. Jean-Michel Caradec possédait une vraie personnalité vocale et c'était évident qu'il pouvait décoller. Comme il préférait travailler avec de jeunes directeurs artistiques, je lui en avais affectés. Mais il fallait l'aider, il était vulnérable... »

Dejacques et Musy

Supervisé par Jean-Luc Pourquier, le premier album de Jean-Michel Caradec, pochette en noir et blanc, sort en avril 1973. Il ne contient pas de chansons vraiment marquantes, sinon peut-être Mords la vie, Petite fille des rivières et Épitaphe pour Brian Jones. En cause : peut-être des arrangements impersonnels et une interprétation un peu anonyme ? La même année, Marie Laforêt – elle aussi artiste Polydor – enregistre une chanson signée Jean-Michel Caradec, Le coup de la panne.

La notoriété arrivera en 1974, avec un deuxième album entièrement orchestré par Jean Musy : « Dès que l'on s'est rencontrés, il y a eu un courant de sympathie et une amitié latente. Il m'a donné les chansons nues, à la guitare, il m'a laissé travailler et il a découvert les playbacks en studio au moment de chanter dessus. On n'a pas eu le moindre heurt et on est sortis de cet album heureux comme des gosses. »

Plusieurs des chansons de cet album, plus abouties, joyeuses et très mélodiques, seront des succès radiophoniques : Ma petite fille de rêve (« Je suis un saltimbanque / Qui se moque des banques... »), La colline aux coralines, Colombine, Mélusine et cie... Dans un autre registre, il y a Mai 68, une chanson de colère créée l'année précédente sur scène à l'Olympia par Maxime Le Forestier : « La branche a cru dompter ses feuilles / Mais elle en portera le deuil / Et l'emportera au tombeau / L'automne fera pas de cadeau / Au royaume de France... » Ou De votre âge, un très joli texte de Jean-Pierre Kernoa (sur une musique de Caradec) que Kernoa enregistrera à son tour sur son premier album Polydor en 1975.

Toujours sous la direction artistique de Claude Dejacques et la direction musicale de Jean Musy, Jean-Michel Caradec a écrit, paroles et musique, la totalité des 13 titres du 33 tours suivant, sorti en 1975. Île, La ballade de Mc Donald et le très dylanien Pas en France en sont les chansons marquantes.

Aladin et Portsall

Après avoir, avec l'aide du parolier Pierre Grosz, consacré tout un album à des chansons « pour enfants » (Quand l'école est finie), Caradec marque une pause. Il quitte Polydor et signe avec le label Decca, toujours conseillé par Claude Dejacques, où deux très beaux albums vont voir le jour. Porté par le titre Ma Bretagne quand il pleut, le premier, sorti en 1977, contient d'autres réussites comme Aladin, une magnifique chanson toute en sensibilité (« C'était le temps des fleurs / Et du psychédélique / Je m'endormais sur vous / En caressant vos seins... »). Ou, dans une autre veine, J'aime les petites filles.

Jean-Michel Caradec chante "Aladin" (version disque)

La catastrophe écologique de l'Amoco Cadiz, survenue le 16 mars 1978 sur les côtes bretonnes, lui inspirera Portsall, une autre chanson de colère contenue, écrite – dit-on – en dix minutes : « Des îles vierges aux noms bibliques / D'la baie des anges à Saint-Malo / Ils ont souillé tout l'Atlantique / La Manche et jusqu'au fond de l'eau... »

Le 7 mai 1978, sur le plateau de l'émission "Musique and music", Antenne 2,

Jean-Michel Caradec chante "Portsall".

Parle-moi

Changement d'univers avec l'album suivant, sorti en 1979. Avec Parle-moi, Caradec se « dylanise », son phrasé s'américanise ostensiblement. Plus classiques sont des chansons comme Elle a peur de prendre l'avion ou Dix ans de plus que moi.

Jean-Michel Caradec disparaît alors que son dernier disque, dont il avait assuré les arrangements, était sur le point de paraître. « Il venait juste de terminer le mixage. Il venait juste de faire les photos. Il venait juste de concevoir la pochette. Il avait décidé d'intituler son album “Dernier avis“ », précise son épouse Patricia en préface de ce huitième et ultime album. Sur la pochette intérieure, les textes des chansons figurent avec la date de leur écriture. Avec des titres que, rétrospectivement, l'on peut trouver troublants : Dernier avis, Je pars ou Passeport pour la mort : « T'as autre chose à faire que d'écouter / Tous ceux qui parlent sans penser / Ceux qui pensent sans rêver / Qui croient que demain sera comme hier... »

10 chansons de Jean-Michel Caradec sur le site de l'INA, interprétées au cours d'émissions de télévision : "Aquarelle", "Mille sarabandes", "Mords la vie", "Ma petite fille de rêve", "Ile",

"Le montreur d'ours", "Ma Bretagne quand elle pleut", "Portsall", "Elle m'a dit non",

"Le fil du funambule"

Plusieurs compilations avaient déjà été publiées précédemment (Polydor, Adès...), mais ce sont 117 titres que l'on retrouve ici, pour la première fois rassemblés : les cinq 45 tours des débuts, les huit 33 tours dans leur intégralité, les participations (la comédie musicale Rêve de mai en 1978, la BO du film Le Pion et le générique du téléfilm Monde d'amour) et plusieurs versions alternatives des chansons de l'album de 1973. Et deux titres inédits, deux démos enregistrées en 1980 : Les enfants de l'espoir et Ne la réveillez pas.

L'intérêt de ce coffret tient aussi à son livret illustré de 32 pages, avec un texte très documenté signé Rémi de Kersauson. « On a vu en lui un auteur léger, voire mièvre. Pourtant, il suffit de tendre l'oreille à ses chansons ou de lire ses textes avec l'attention qu'ils méritent pour y voir une similitude certaine avec Rimbaud, l'auteur de Poésies, son livre de chevet. »

Madeline Caradec, la fille du chanteur, a préfacé l'intégrale de celui qui aimait parfois se présenter comme « l'enfant supranaturel de Charles Trenet et de Bob Dylan » : « Ce coffret est l'acccomplissement d'un rêve, celui de voir vivre mon père à travers ses chansons qui demeurent pour moi intemporelles. Je suis extrêmement fière qu'il puisse être entre vos mains. »

R. B.

• Coffret 5 CD (EPM).

• Site : www.jeanmichelcaradec.com

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