« Pour en finir avec travail » : un 30 cm sorti en 1974 avec des chansons « détournées » régulièrement utilisées pour illustrer les « événements » de Mai 68... À l’occasion d’une nouvelle réédition (EPM), nous avons rencontré le maître d’œuvre de ce disque culte, Jacques Le Glou.
JACQUES LE GLOU.— Lorsque je me suis mis à écrire des chansons en 1968, c’était un peu par rapport à Jules Jouy qui, pendant la Commune de Paris, avait réussi à écrire une chanson par jour... Évidemment, tout n’est pas de la même qualité, certaines chansons sont magnifiques et d’autres plutôt « nazes » ! Ce qui me semble plutôt normal lorsqu’on écrit une chanson par jour... Jules Jouy écrivait essentiellement des chansons « détournées ».
Le principe existait déjà ?
Ah oui, depuis les Canuts : « Nous sommes les Canuts / Nous marchons tout nus... », c’est un chant religieux détourné par les Canuts de Lyon. Cette méthode me plaisait. Des gens ont trouvé de belles mélodies, pourquoi ne pas mettre de beaux textes dessus ?
En faisant mes recherches, j’ai découvert que le détournement de chansons se pratiquait souvent dans une optique contestataire ou révolutionnaire. Je me suis dit que si d’autres personnes l’avaient fait avant moi, c’est que la piste était bonne. Et pendant les trois semaines de mai-juin 1968, qui ont été les plus insurrectionnelles, j’ai écrit 70 à 80 chansons...
... qui n’ont pas toutes été éditées.
Non, il y en a juste neuf sur le disque. En 1969, lorsque j’ai commencé à voir ce que je pouvais faire avec ces textes, je me suis aperçu qu’il y avait un problème de droits : on ne pouvait pas éditer ou produire des chansons avec des musiques déjà déposées à la Sacem sans l’autorisation de leurs auteurs, compositeurs et éditeurs. Je suis donc parti dans une série de démarches auprès des éditeurs, des compositeurs et des auteurs, pour les quelques vingt-cinq chansons que j’avais sélectionnées.
Résultat ?
En gros, tous les grands éditeurs ont refusé car le principe ne leur plaisait pas. Certains m’ont demandé à voir les textes mais lorsque je les leur ai envoyés, ça a été les cris d’effroi ! Trenet, par exemple. J’avais détourné une de ses chansons sous le titre Papa s’pique et mère boit l’coup ! Nous avons eu une conversation d’un quart d’heure au téléphone, il était complètement sidéré... Comment pouvez-vous écrire des choses pareilles, mon cher ami ? Donc, Trenet a refusé.
En ce qui concerne Brassens – je l’ai su après –, il y avait autour de lui une espèce de clan protecteur et il n’a donc jamais eu accès directement à mes textes. J’ai eu un retour voilé et j’ai abandonné.
Léo Ferré, que j’avais connu à la Fédération Anarchiste, m’a fait le coup de l’artiste bafoué... Je tiens à rappeler que lorsqu’on faisait des concerts à la Mutualité, Brassens ne se faisait pas payer, Ferré si... Par principe. Les anars payaient les concerts de Léo mais pas ceux de Brassens ou de Nougaro. C’est intéressant, non ?
Avec Prévert, ça a été très simple. Lorsqu’il a écouté Les bureaucrates se ramassent à la pelle (d’après Les Feuilles mortes), il a rigolé comme un fou et m’a dit : « Je te donne mon accord. » Avec cette lettre, je suis allé voir l’éditeur Enoch qui m’a donné l’autorisation d’utiliser la musique des Feuilles mortes.
Pareil pour Il est cinq heures, Paris s’éveille. Lanzmann et Dutronc se sont marrés à la lecture de mon texte et m’ont donné leur accord. Quant à La mitraillette (sur l’air de La bicyclette), Pierre Barouh a fait le nécessaire pour avoir les accords.
Et en ce qui concerne les autres chansons du disque ?
En faisant des recherches sur les chansons anti-cléricales, je suis tombé sur Le bon Dieu dans la merde, une chanson magnifique qui avait été oubliée. J’ai retrouvé le texte intégral avec le couplet que chantait Ravachol en montant sur l’échafaud et qui avait été supprimé.
La chanson est créditée comme anonyme...
Oui, on n’a pas pu savoir qui avait écrit le texte... Le deuxième titre, La java des Bons-Enfants, est une vieille chanson qu’avait écrite Guy Debord. Sur la première édition – le 30 cm de 1974 –, j’avais volontairement caché son nom, et dans les notes qui accompagnaient le disque, j’émettais l’hypothèse qu’il pouvait s’agir de Raymond Caillemain, le fameux Raymond La Science de la Bande à Bonnot... Évidemment, tous les journalistes sont tombés dans le piège !
Guy Debord avait écrit cette chanson au début des années 60. La musique est de Francis Lemonnier, un saxophoniste anar un peu paumé – il s’est suicidé quelques années plus –, mais un mec formidable et un véritable artiste. C’est lui qui a eu l’idée de faire du texte de Debord une java. Le résultat a beaucoup plu à Guy. La vie s’écoule, la vie s’enfuit est un texte de Raoul Vaneigem, également mis en musique par Francis Lemonnier. Je connaissais Debord et Vaneigem depuis déjà quelques années.
Je ne savais pas qu’ils écrivaient des chansons !
Moi non plus ! C’est lorsque je leur ai parlé de mon projet de disque que j’ai découvert qu’ils avaient tous les deux un goût immodéré pour la chanson.
Et La Makhnovtchina ?
Étienne Roda-Gil l’avait écrite vers 1966, je crois, deux ans avant qu’il ne se fasse connaître comme le parolier de Julien Clerc. À l’époque, il était dans la mouvance libertaire espagnole. Roda fréquentait la Fédération Ibérique des Jeunesses Libertaires et moi, la Fédération Anarchiste. C’est à ce moment-là qu’on s’est rencontrés et qu’on a commencé à nouer de bonnes relations. C’était quelqu’un de bouillonnant.
Il y a deux ans, une réalisatrice, Charlotte Silvera, avait un projet de film sur la vie d’Étienne Roda-Gil. Lui était d’accord mais il tenait à ce que ce portrait soit fait sous forme de conversation entre lui et moi. Nous sommes partis déjeuner dans une brasserie derrière le Panthéon avec deux caméramen et la réalisatrice. Un déjeuner au whisky, comme d’habitude – en cinq heures, on a dû « descendre » deux bouteilles... Roda était bien allumé mais déjà fatigué... Il me parlait d’un projet énorme qu’il avait pratiquement terminé : une comédie musicale sur la Commune.
Le nom de Roda-Gil ne figure pas, non plus, sur l’édition de 1974.
Je l’avais « caché » aussi. À l’époque, on ne se voyait plus beaucoup car il avait dit des choses pas très sympathiques sur le mouvement révolutionnaire...
La voix féminine du disque est une certaine Vanessa Hachloum. En 1998, au moment de la première réédition en CD, on apprend, dans un article de Libération signé Hélène Hazéra, qu’il s’agit de... Jacqueline Danno ! Comment est-elle arrivée sur le projet ?
Au départ, je pensais à Pia Colombo et à Catherine Ribeiro. J’avais vu Pia au TNT lorsqu’elle chantait Brecht dans une mise en scène de Vilar. Elle était fantastique, pathétique. On s’est rencontrés, on a beaucoup parlé, elle me racontait sa vie... Et puis la maladie est venue. Catherine Ribeiro, je l’avais trouvée un peu trop militante. Avec elle, il n’y aurait pas eu la distance nécessaire par rapport aux textes.
Et puis, un jour, je suis allé voir Noces de sang, un spectacle de Garcia Lorca, avec Jacqueline Danno comme comédienne et chanteuse. Elle avait une voix qui me plaisait beaucoup. Je lui montre mes textes. Par rapport à son répertoire, ça lui paraissait difficile à assumer. Je lui propose alors de prendre un pseudonyme et elle accepte. Vanessa était un prénom à la mode, c’était celui des mannequins et des poupées Barbie. Et Hachloum, c’était la version dure du mot HLM... Vanessa Hachloum, Jacqueline Danno a dit oui.
Et Jacques Marchais ?
Lui, je l’avais entendu chanter à La Méthode et je le connaissais déjà par un album magnifique, « On a chanté les voyous ». Avec Jacques Marchais, j’avais aussi ma voix masculine.
Vous auriez pu aussi faire appel à quelqu’un comme Marc Ogeret ?
Oui, mais Ogeret était trop connu, alors que Jacques Marchais était plutôt anonyme et il méritait d’être connu car il s’est toujours fait devancer par Ogeret, déjà en place. Ils avaient à peu près le même répertoire. J’aimais les deux, mais je voulais donner sa chance à Marchais, qui avait une voix magnifique.
C’était quelqu’un d’une très grande générosité qui, les dernières années, gagnait sa vie en prêtant sa voix à des films ou à des messages publicitaires – il a été la voix française du Capitaine Igloo. Il est mort il y a quelques années.
Et pour ce qui est des musiciens ?
Je les ai trouvés grâce à Pierre Dutour, que j’avais connu sur le tournage du film Sweet Movie, où j’avais écrit des chansons. Lorsque je lui fais part de mon projet, Pierre Dutour, Premier trompettiste à l’Opéra de Paris, me dit : « Je vais te trouver des musiciens qui soient tous de haut niveau. » C’est Dutour qui m’a fait tout le casting musical. Les arrangeurs étaient Michel Devy et Jean Morlier. À la flûte, nous avions eu deux musiciens du groupe Pachamac...
« Pour en finir avec le travail » est un disque qui a été réalisé avec beaucoup de moyens, contrairement à beaucoup d’autres productions « révolutionnaires » de l’époque... Au studio, au moment de l’enregistrement, Michel Devy, avait proposé de chanter le refrain de La Makhnovtchina en duo avec Jacques Marchais, et il a eu une très bonne idée puisque le résultat est magnifique.
C’est vous qui l’aviez produit ?
Oui, ça m’a coûté dix briques de l’époque. Je venais de faire une bonne affaire et j’ai tout investi sur ce disque. Pendant un moment, nous étions bien avancés avec Musidisc pour la distribution mais à la dernière minute Musidisc s’est retiré. Grâce à une copine qui connaissait un directeur artistique du nom de Bob Socquet, je suis alors allé frapper chez RCA, dirigée par François Dacla.
J’ai fait la maquette de l’album, avec les textes à l’intérieur et les notules explicatives. On m’a laissé tout faire et le disque est sorti avec un tirage de 3500 exemplaires.
Et le choix du titre ?
« Pour en finir avec le travail », c’était en accord avec mes idées et avec la philosophie de Mai 68. Pour moi, la critique la plus importante était celle du travail.
Le disque est très bien accueilli, on a une presse dythirambique ! Une demi-page dans Hara-Kiri, avec un article de Delfeil de Ton qui disait : « On ne peut pas se lever le matin sans écouter Il est cinq heures... ». Un quart de page dans Le Monde. Une semaine après sa sortie, le disque est chouchou de la FNAC qui le place en évidence à l’entrée – une pyramide de 33 tours ! – et le passe en permanence... Le disque a dû plaire à un chef de rayon qui a décidé d’en faire la promotion. En deux mois, les 3500 exemplaires étaient tous vendus ! Je n’étais pas rentré dans mes frais mais je m’en foutais, je n’étais pas là pour gagner de l’argent.
Je vais voir RCA pour discuter d’une réédition et là, je vois qu’il y a un problème... Entretemps, des membres du conseil d’administration avaient écouté le disque... « Le Bon Dieu dans la merde... Les flics tombent morts au coin des rues... Vous vous rendez compte de ce que vous publiez ? On arrête ça. » Donc la vie de ce disque s’est arrêtée deux mois après sa sortie et, pendant vingt-cinq ans, il n’a plus été question de le rééditer !
Qu’avez-vous fait alors ?
Entre temps, je quitte la France pour quelque années et j’oublie ce disque. Quelques années plus tard, je reprends contact avec RCA et leur fais cette proposition : « Ou bien vous me rendez la bande ou bien je vous rentre dedans, et ça va vous coûter cher... » On me rend la bande et c’est à ce moment-là que j’envisage une réédition en CD. Je tombe par hasard sur l’Anthologie de la chanson française éditée par EPM. J’appelle la maison de disques et j’ai la grande surprise de tomber sur François Dacla, l’ancien président de RCA. « Allô François, j’arrive ! »
On s’est revus et on a signé dans les 24 heures. Cette réédition en CD de 1998, intégrée à l’Anthologie de la Chanson Française, a très bien marché aussi. Il y a eu deux tirages.
Pour cette nouvelle réédition de 2008, dans un nouveau format, j’ai revu la jaquette et j’y ai inclus un document « historique » en bonus : la reproduction en grand format de la première affiche conçue par le CMDO après l’occupation de la Sorbonne.
Le disque est sorti en 1974 mais les chanson ont été écrites quand ?
Entre 68 et 69. Le disque est sorti six ans après 68 parce que j’attendais d’avoir l’argent pour le produire. Je ne voulais pas sortir un disque « bricolé », je voulais que ce soit fait dans de bonnes conditions. Puis je me suis mis à travailler l’écriture des notules avec Guy Debord. Après le premier tirage de 1974, le disque a vite été introuvable. Et c’est au moment où je me suis rendu compte qu’il était devenu un « collector », car c’était aussi un bel objet, que je me suis décidé à le rééditer en CD.
Sur la pochette du 33 tours, il est écrit « volume 1 ». Un deuxième était donc prévu ?
Oui, j’avais effectivement d’autres chansons, certaines magnifiques que j’ai mises de côté (des chansons du Congo, du Portugal, de Pologne...). Manque de temps, manque d’argent, un peu de paresse, ça ne s’est pas fait. ■
« Je pensais que ça n’allait pas durer très longtemps et que,
par conséquent, il fallait en profiter... »
Après un court passage par la Fédération Anarchiste, Jacques Le Glou rejoint l’Internationale Anarchiste. En 1967, il découvre les Situationnistes et l’année suivante, on le retrouve avec les Enragés à Nanterre... « Ensuite, ça s’est accéléré avec le Mouvement. J’étais un agitateur, un pétroleur... Je suis en train d’écrire sur cette période qui devrait sortir à la rentrée. Ce sera une partie de mes Mémoires. »
Sans entrer dans les détails, quelle était l’idéologie des Situationnistes ?
Chez les anars, on était dans l’idéologie (Ni Dieu ni Maître), le discours était terminé, alors que les Situationnistes, eux, étaient contre l’idéologie. Les Situationnistes, eux, avaient un discours critique sur l’urbanisme, la vie quotidienne, la société spectactulaire et marchande... C’était dans les textes de Guy Debord. Et c’était révolutionnaire. Quand j’ai
commencé à lire les textes de l’Internationale situationniste, je me suis dit : « Là, on est dans le sillon de la révolution. » C’est un peu ardu, on n’est plus dans le premier degré, dans le militantisme, ça va plus loin.
Quel était votre état d’esprit en mai 68 ? Vous pensiez que « le Grand Soir » était arrivé ?
Je pensais que ça n’allait pas durer très longtemps et que, par conséquent, il fallait en profiter. J’étais un joyeux flambeur très actif à la Sorbonne, au niveau du premier comité d’occupation. J’étais sur les barricades, j’ai été blessé, je me suis retrouvé à l’hôpital. Je me suis bagarré régulièrement avec les flics, je n’étais pas du genre gentil... Pendant ces journées de Mai 68, il y avait une ambiance survoltée, avec des rêveurs formidables... C’étaient des journées magnifiques. On n’avait pas assez de 24 heures...
Mais vous pensiez que le « rêve » allait devoir s’arrêter à un moment ?
Oui, et il fallait donc que ça dure le plus longtemps possible... Les patrons s’étaient mis au vert, tout le monde paniquait, il n’y avait plus de ministres. Ne restaient que les
syndicats qui essayaient de contrôler et manipuler les grèves sauvages. Ils étaient contre les occupations d’usines, et si le conflit persistait et durcissait, ils allaient perdre les pédales. Ça s’est joué entre Pompidou et la CGT, à une ou deux semaines près. Si ça avait basculé du côté des grévistes, ils n’auraient pas pu rattraper. Alors, après, allez savoir...
Vous pensez qu’il y a eu un pacte entre le gouvernement et les syndicats ?
Je suis en train de relire les correspondances, les appels, les communiqués d’époque... Avec des copains techniciens, on avait réussi à intercepter les appels de la police et je savais donc ce qu’ils faisaient, où ils allaient. J’entendais les communications entre les policiers et leurs supérieurs : « Chef, on tire ? » Et les responsables refusaient de leur en donner l’ordre. Et heureusement, car ça aurait pu être une tragédie. Quand De Gaulle est allé voir Massu à Baden-Baden, c’était pour savoir si la troupe pouvait tirer sur les étudiants et Massu lui a dit non. De Gaulle était paumé. Les seuls à avoir gardé la tête froide ont été Pompidou et le préfet de police de Paris Maurice Grimaud. Il a bien maîtrisé la situation, il avait un bon oeil. Son livre paru 1978, En Mai fais ce qu’il te plaît, est très intéressant à ce sujet.
Toute la « canaille syndicaliste » paniquait, Georges Séguy en tête. Ils savaient qu’il fallait vite signer les accords bidon de Grenelle pour arrêter le mouvement. Donc, ils ont menti, triché, manipulé. Aux assemblées générales, ils arrivaient avec de fausses informations : « Nos camarades de Sud-Aviation ont repris le travail... » Or, c’était faux ! C’était pour
affaiblir le mouvement. Ils ont fait feu de tout bois.
Selon vous, qui a gagné, qui a perdu ?
Personne... À la limite, les gagnants ont été les gauchistes, les bobos de l’époque, ceux qui lisent Libé... Ils parlent de 68 comme s’ils y étaient, or ils n’y étaient pas et ils ont en tiré tous les fruits. Ce qu’il y a eu comme réformes dans les moeurs vient de là et a été récupéré par la bourgeoisie moderne. Tout comme en 1789 où c’est la bourgeoisie de l’époque qui a récupéré les acquis de la Révolution française. C’est un schéma qui se répète, avec des variantes, mais c’est toujours la classe ouvrière qui se fait avoir.
Les patrons s’en sont bien tirés, finalement, alors qu’ils avaient tout lâché... Ils vidaient les supermarchés et avaient fait des réserves pour un an ou un an et demi ! Marcellin, le ministre de l’Intérieur, déclarait : « C’est Cuba qui manipule les gauchos ». Sartre était un pur imbécile : quand il venait à la Sorbonne, il ne comprenait rien... « Ça » se passait ailleurs. La force du mouvement, ce sont les occupations d’usines. C’est ça qui paralyse un pays. Si demain ça devait revenir, il faudrait que ça commence par là.
Et puis il y a eu une étonnante libération de la parole : « les gens se sont mis à parler », comme le dit une chanson écrite plus tard... Je dirais que les gens ont retrouvé la parole... Ciné Classic et Ciné Culte, deux chaînes du câble, m’ont donné carte blanche pour un hommage à l’esprit de mai à travers le cinéma. Tout au long du mois de mai 2008, j’y ai présenté quinze films, des films tournés avant ou après Mai 68 mais qui en ont l’esprit de révolte et de poésie. Mai 68 a été un moment très poétique, il ne faut pas l’oublier... « Il est interdit d’interdire », « L’imagination au pouvoir », « Sous les pavés, la plage », « Repeignons la ville en bleu »... Les gens ont tendance à oublier ce qui s’y est dit et ce qui s’y est fait. On était revenus à un peu plus d’humanité, d’une façon naturelle, tout à fait inspirée... Des gens qui ne se connaissaient pas écrivaient les mêmes choses, qui correspondaient à nos idées. C’est ça qui était magnifique : il n’y avait pas de mots d’ordre à suivre, c’était chacun selon son inspiration, et l’inspiration était très créatrice.
Et 40 ans après, quel est votre état d’esprit ?
40 ans après, ce n’est pas brillant. L’analyse que l’on pouvait faire de la société spectaculaire et marchande n’a pu que se renforcer... On nous fait bouffer de la merde, on joue avec notre santé... Mais ce n’est pas pour autant qu’il faut baisser les bras ! Cela fait tout de même déjà deux générations qu’il ne s’est rien passé. Mais peut-être que dans vingt ans, il y aura un ressaisissement...
En 68, vous fréquentiez des chanteurs ?
Non. On n’avait pas le temps. Nous étions pour une révolution plus globale. On prenait les textes de Lautréamont ou de Rimbaud. Nous avons été quand même très radicaux et nous nous sommes fait entendre. Quand j’intervenais çà et là, je sais que j’étais entendu. Nous étions une des voix de Mai... qui ne s’est jamais rendue.
Après, quand il a fallu dégager, je suis parti très longtemps vivre au Mexique. Un peu comme aventurier, j’avais décroché de tout le reste. C’est à mon retour que j’ai commencé à travailler dans le cinéma (j’ai été vice-président d’Unifrance). Ce qui m’a toujours préservé, c’est ma solitude. J’ai toujours préféré rester seul que mal accompagné. Je me suis organisé pour vivre seul, politiquement parlant. ■
Propos recueillis par Raoul Bellaïche
le 7 mars 2008
• CD EPM. Réédité chez EPM
Jacques Le Glou est décédé en 2010.