Grand cœur, gros mots et coups de gueule forment un mélange détonnant d'où émerge un visage débonnaire, couronné de boucles blanches et démenti, aussitôt, par un sourire sarcastique. Enfant chéri du public de Rien à cirer, compère inséparable de Philippe Val, rugueux à l'extérieur, tendre à l'intérieur, Patrick Font nous découvre quelques pans de sa carrière et de sa personnalité.
Interview réalisée en 1994.
JE CHANTE l — Comment avez-vous rejoint l'équipe de Rien à cirer ?
PATRICK FONT.-— Il y a trois ans, Laurent Ruquier m'a demandé de participer à une émission qui devait être créée à la rentrée. J'ai eu assez peur au début, d'une part, parce que j'avais déjà une petite expérience des médias, en ce sens que la censure m'a toujours effrayé. D'autre part, parce que, avec Philippe Val, on s'est toujours battus contre toute contrainte. J'ai demandé un mois de réflexion. Puis, j'en ai discuté avec des amis. Laurent m'a garanti une totale liberté. Une totale liberté à la radio, comme à la télévision, ça paraît bizarre ! Mais je savais que Pierre Bouteiller était le patron de l'émission, en quelque sorte. Il a été le premier homme de radio à parler de Font et Val, à France Inter, dans les années 70. Alors, Pierre Bouteiller, les copains de France Inter comme José Artur et Jean-Louis Foulquier qui étaient favorables à cette nouvelle émission... Tout ça a fait que j'y suis allé, mais toujours avec une certaine appréhension. Et j'ai rapidement constaté, d'ailleurs dès la première émission, qu'effectivement, il était permis de s'exprimer librement, sans aucun frein, sans aucune limite.
Si on ne vous impose pas de limites, est-ce que vous, vous vous en imposez ?
Je m'en impose dans la mesure où si j'estime qu'un sujet peut être mal traité par moi, je ne le traite pas. Parce que je n'ai pas le talent de savoir parler de tout. Lorsqu'il se produit une catastrophe dans le monde, j'ai du mal à en parler. Dès qu'il y a des morts, dès qu'il y a du sang, ça m'est difficile. Si la mort est occasionnée par quelque chose de ridicule, et de scandaleux, comme par exemple, le drame de Furiani en Corse ou les problèmes de la Formule 1, évidemment, ça prête plus à rigoler que les tragiques événements que l'on connaît actuellement en ex-Yougoslavie ou au Rwanda où, alors là, je suis complètement incapable de dire quoi que ce soit d'humoristique. Il y en a qui savent le faire, moi, je ne sais pas, alors je m'abstiens.
Est-ce qu'on peut rire de tout ?
C'est une question qui est souvent posée, mais il ne faut pas la poser comme ça. Il ne faut pas dire : est-ce qu'on peut rire de tout ? Parce que « on », c'est qui ? Il faut dire : est-ce que vous pouvez rire de tout ? Alors, ma réponse est non.
Est-ce qu'on peut faire rire de tout ?
Il y a peut-être des gens qui ont le talent de le faire. En tout cas, moi, je ne l'ai pas. Il faut connaître ses limites. Je sais que je suis capable d'être outrancier, violent, d'aller loin dans certains domaines, surtout dans ceux qui me chatouillent le plus, c’est-à-dire la religion et l'armée, ces deux choses dont on n'a pas le droit de parler à la télévision...
Le sexe, aussi ?
Ça, ça ne me gêne pas, parce que je suis français et latin, et tous les auteurs latins et français ont traité de la pornographie, de l'érotisme... Quand je lis un chapitre du Marquis de Sade, vraiment, je me prends pour un enfant de chœur !
Vous commencez à être une vedette au niveau du grand public. Ça vous plaît, ça vous gêne ?
Il arrive que les gens commencent à se retourner un peu dans la rue, à me demander des autographes. Ça fait partie du métier. En ce qui me concerne, c'est très agréable parce que, pour dix personnes qui me font des sourires, il y en a une qui me fait la gueule.
Si on dit : « Font récupéré », qu'est-ce que vous dites ? Vous rigolez ?
Non, mais je pose la question : par qui ? et par quoi ? et comment ? Parce que, jusqu'à présent, j'ai la nette sensation de m'exprimer vraiment en toute liberté, même sur France 2, dans la version télévisée de Rien à cirer qui me faisait très peur aussi. Et il se trouve que ce que je fais actuellement à la télévision, je l'ai fait en Font et Val sur scène et aussi à la radio. C'est plus dur, parce que la télévision, c'est un métier que je ne connais pas. Je le fais maladroitement, je parle mal, je n'ai pas le sens de l'image, et pourtant, je suis passionné de cinéma – j’en ferai certainement plus tard. Disons j'apprends un nouveau métier.
Les tours de chant avec Philippe Val se poursuivent ? Ils sont peut-être un peu plus espacés ?
On a réalisé un planning qui nous permet de travailler, lui à Charlie Hebdo – c'est un gros travail parce qu'il est rédacteur en chef et il est souvent pris – et moi, dans mes activités de radio et de télévision, et surtout dans mes activités de théâtre avec des adolescents depuis dix-sept ans. J'ai écrit vingt-quatre pièces et chaque année, on en joue deux ou trois en tournée. On a dernièrement joué au Canada avec dix-huit enfants d'une école primaire. Ça me prend beaucoup de temps, mais c'est passionnant.
Vous vous occupez aussi de la Compagnie du Chalet.
La Compagnie du Chalet est un ensemble de jeunes qui travaillent avec moi dans le domaine du spectacle, que ce soit la comédie, la chanson, la musique ou la régie. Quand ils sont venus chez moi, c'était des adolescents, et maintenant, ils volent de leurs propres ailes, ce qui ne nous empêche pas de travailler ensemble, le plus souvent possible. Parmi eux, il y a deux chanteurs qui font partie d'un groupe débutant qui s'appelle Blue Jean's Society. Ils sont également régisseurs de Font et Val. Et il y a des filles qui, tout en continuant à faire du théâtre à Paris, sont devenues secrétaires de notre agence. Parce que devenir comédien confirmé avant trente ans, c'est difficile. Il faut apprendre son métier. Maintenant, je travaille avec des petits, des élèves d'une école primaire en Haute-Savoie. Je répète deux-trois heures par semaine avec eux et on joue depuis quatre ans, un peu partout en France et même à Paris. Et à la rentrée, je vais ouvrir une école primaire, avec deux institutrices...
Une école de théâtre ?
Non, une vraie, avec des dictées et des punitions... C'est un cours primaire du CE 2 au CM 2, qui ne comptera pas plus de onze élèves pour commencer. Avec scolarité le matin et matières artistiques l'après-midi. Et puis, évidemment, tout ce qui concerne l'étude du milieu montagnard, puisque l'école se trouve en montagne.
Vous étiez instituteur avant de monter sur les planches et, paraît-il, vous aviez été encouragé à chanter par votre directeur.
J'ai été instituteur de 1961 à 1968. Nous avions un directeur qui était fou de chansons et qui, lorsqu'il entendait chanter les élèves, venait nous écouter en classe. Il y a fait venir l'inspecteur d'Académie, la première année. Ils ont été notre premier public ! L'inspecteur aussi adorait entendre chanter les enfants. J'ai vraiment été encouragé... On a fait des spectacles dans la banlieue Nord de Paris, des mini-tournées avec la complicité des parents. On a même enregistré deux disques chez un petit producteur.
Sur quel label ?
Ça s'appelait les disques Déva. La maison se trouvait boulevard de l'Hôpital et le directeur s'appelait Fassenacht, c'était peut-être un Allemand. Déva faisait des disques pour les écoles. Un jour, un représentant est venu nous en vendre. Je lui ai dit : « C est gentil, mais nous, on chante. » « Est-ce que je peux entendre ? » Alors, j'ai dit aux gosses : « On va chanter pour ce monsieur qui est représentant d'une maison de disques. » Il a écouté quatre chansons et nous a dit : « Venez jeudi prochain, on fait le disque. »
C'était des chansons d'enfants ?
Oui, que j'écrivais exprès pour les enfants, sur des rythmes western. C'était le temps d'Hugues Aufray, les ballades, ça plaisait bien.
Et vos véritables débuts dans la chanson ?
Ça a été long, très long. J'ai commencé à écrire à l'âge de quatorze ans. Je suis passé, comme tout le monde, par les fêtes des pompiers, les fêtes des mères, les 15 août, les fêtes commerciales, les patronages et les colonies de vacances... Je faisais toujours chanter les enfants : j'ai toujours eu besoin de travailler avec des gens, j'avais du mal à travailler seul. De fil en aiguille, j'ai connu le directeur du Caveau de la République, qui m'a engagé en 1966. Après, ça a été le Théâtre des Dix Heures. J'étais orienté vers les Chansonniers parce que j'avais des chansons principalement satiriques. Faut vous dire que j'ai été refusé dans tous les cabarets qui faisaient, à l'époque, de la chanson dite intellectuelle...
L'Écluse ?
Non, je n'ai pas passé d'audition à l'Ecluse, mais dans les autres cabarets, je n'étais pas bien reçu. Je passais pour un rigolo, on ne me regardait pas très sérieusement. La chanson, à cette époque, c'était quand même un peu le style Nouvel Obs. Ces gens-là se prenaient un petit peu la tête, pour la plupart... Oh l il y avait des gens de talent mais, enfin, c'était un peu l'Académie Française de la Chanson et ils me regardaient de très haut... J'étais un peu un clown. C'est vrai que, souvent, ça faisait rire, et puis, j'en remettais, je chargeais, je n'y allais pas dans la nuance. Je n'étais pas retranché derrière ma guitare comme quelqu'un qui pense beaucoup !
Vous êtes passé au Port du salut, par exemple ?
Non plus. C'est lorsque j'ai fait le Théâtre de Dix Heures que ça s'est ouvert sur les cabarets comme L'Échelle de Jacob, Chez ma cousine, le Caveau de la Bolée, L'École Buissonnière... Maurice Horgues et Charles Bernard m'ont présenté aux directeurs de ces cabarets qui m'ont pris parce que j'étais recommandé par des Chansonniers. C'est amusant, d'ailleurs... Je me suis alors retrouvé avec des auteurs-compositeurs avec qui je me suis très bien entendu. Ils n'ont pas tous percé dans le métier.
Des noms ?
Je pourrais vous citer Claude Fonfrède, Michel Murty, Christian Dente, Michèle Maury, José Féron... C'était des artistes qui se produisaient surtout au Théâtre Mouffetard, alors dirigé par Christian Dente qui avait monté une troupe qui s'appelait « Nouvelle Chanson ». C'était quand même un peu sérieux, faut dire... L'ensemble était austère et manquait de fantaisie. Le seul fantaisiste était Henri Dès. Il ne chantait pas encore pour les enfants, mais déjà, on sentait quelque chose de ce côté-là. Il avait une présence extraordinaire, une bonne gueule. Il y avait aussi Jean Sommer et Monique Morelli qui venaient de temps en temps terminer le tour de chant. C'était bien chanté, tout ça n'était pas d'une gaîté folle, mais leur talent me séduisait.
Ensuite, il y a eu votre rencontre avec Philippe Val ?
Ça a été évidemment le grand tournant. En 1970, j'étais au Théâtre de Dix Heures où je chantais en lever de rideau. Philippe Val est venu et on a très vite sympathisé. On rigolait, on jouait au ping-pong tout en discutant. Et un jour, Philippe me dit : « Et si on faisait un spectacle ? » On en a parlé au directeur du théâtre qui nous a dit : « Je vous prête l’horaire de 20 heures... qui n’existe pas. On va créer un horaire et vous faites ce que vous voulez. » C'est en février 1973 qu'on a créé notre premier spectacle : « En ce temps-la, les gens mouraient... ». Il y avait des diapositives, des sketches et des chansons. On chantait mais il y avait aussi des choses qu'on ne pouvait pas exprimer en chansons : des sketches satiriques, des fausses publicités – maintenant, ça se fait partout. On était aussi inspirés par le Charlie Hebdo de l'époque et par les conseils de Coluche, un copain qui venait nous voir pour critiquer.
Vos influences, c'était qui ?
En chansons, je n'hésiterai pas une seconde : Brassens, en premier lieu. D'ailleurs, ça se sent toujours, et tant mieux ! Brassens, Guy Béart et Félix Leclerc étaient mes trois préférés. Et puis, il y avait aussi Anne Sylvestre. Pour résumer, tous ceux qu'on a connus dans les années 50-60 dans la chanson française qui étaient très brillants, Léo Ferré, etc. Mais celui qui m'a vraiment procuré des insomnies, c'était Brassens.
Vous l'avez connu ?
Oui, à l'âge de vingt ans. Quand j'en avais quatorze, je me chantais La chasse aux papillons au milieu de la nuit. C'était terrible, ça me hantait complètement, c'était fou ! On n'avait pas de tourne-disques à la maison mais quand j'allais chez des amis et qu'il y avait un 78 tours, je passais l'après-midi à écouter les deux faces ! C'est comme ça que mes parents ont fini par m'acheter une guitare. J'étais fasciné par Brassens. En 1956, il y avait aussi Marie-Josée Neuville.
Toujours la guitare !
Elle écrivait vraiment dans le style de Brassens et ça me plaisait beaucoup. Je chantais des chansons de Marie-Josée Neuville devant les copains qui se foutaient de ma gueule parce que tout était au féminin ! Gentil camarade... J'étais une cigale au cœur plein de
chansons...
C'est vrai que vous aimiez aussi Guétary et Mariano ?
À douze ans, mon idole était Luis Mariano. J'aimais la voix, les mélodies de Francis Lopez qui étaient très riches. Je chantais toute la journée Rossignol de mes amours et Mexico... que je chante toujours, d'ailleurs. Et, avec Guétary, La route fleurie. C'était des airs qui me plaisaient beaucoup. Aujourd'hui, quand je fais des spectacles de variétés avec des copains, je chante des extraits de ce répertoire. C'est un peu de la dérision, mais il y a quand même un petit côté sérieux.
Chaque fois que Guétary est venu à l'émission, j'ai évidemment chanté La route fleurie avec lui. Comme disait Paul Castanier, les variétés, c'est un peu louche, parce qu'il y a des choses qu'on aime et on ne sait pas trop pourquoi. On ne sait pas bien l'expliquer, c'est un truc qui vous tape dans le ventre. Par exemple, certaines chansons de Tino Rossi. Jean-Claude Pascal est quelqu'un que j'aimais beaucoup aussi. J'adorais sa voix. En plus, il avait de très bonnes chansons. Mais chaque fois que je disais à mes copains que j'osais écouter Luis Mariano, ça les choquait. Oh ! c'est aussi un peu de snobisme. C'est comme les gens qui, autrefois, n'osaient pas dire qu'ils allaient voir des westerns alors que maintenant, si vous n'avez pas vu un western, vous êtes un con l En 1953, on n'osait pas dire qu'on lisait Tintin et Spirou. Aujourd'hui, si vous n'avez pas un Tintin dans votre chambre, vous êtes inculte l Quand on allait à l'école avec Tintin dans notre cartable, on était punis, maintenant, si on ne l'a pas, on est punis aussi ! Ça s'appelait des illustrés et pas des « bédés » !
Vous pensez qu'il y a des « castes » dans la chanson ?
Partout ! Il y en a dans tous les domaines. Dans les années 60-65, il y avait des auteurs-compositeurs de la « rive gauche » qui formaient des clans. Ils avaient monté des espèces de syndicats. Je sais que nous, Font et Val, on a été méprisés par ces gens-là. On nous regardait vraiment de loin, comme des gugusses, des clowns qui disent des grossièretés. « Ça ne durera pas trois mois »... Je crois que ça a été un peu l'inverse, quand même ! Des castes et des sectes, il y en a partout. Il y a toujours quelque part un petit chef qui prétend avoir raison et qui monte une société. Et comme dit Cavanna, toute société est vouée à l'échec. Je crois qu'il faut mettre son nez partout, quand on écrit. C'est ce que dit, très justement, Nilda Fernandez : « On dit sans arrêt que je suis Espagnol, que j'ai des racines... Mais je vais partout et j’apprends partout. Dans le monde entier, je trouve de quoi alimenter mon inspiration... » Je suis tout à fait d'accord avec lui. D'ailleurs, Brassens a fait une très belle chanson là-dessus : « Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part... » Voilà quelqu'un qui vivait à l'écart de toutes les modes, de toutes les sectes, de toutes les castes ! On ne l'a jamais vu à la tête de quoi que ce soit.
Il disait : « Quand on aime la chanson, on aime toutes les chansons. »
C'est vrai, je crois qu'il avait raison. Maintenant, grâce aux rééditions, je découvre tous les jours des choses d'avant-guerre. On va monter un spectacle sur les années 50 avec des chansons comme Le Bois de Chaville. Dernièrement, j'ai appris La java bleue, La complainte de la Butte... J'ai aussi des chansons de Trenet et de Brassens, mais avec lui, ça va tout seul. Faut dire qu'on doit ça aussi à Pascal Sevran : grâce à lui, j'ai entendu des chanteurs qu'on n'entend plus du tout et j'ai découvert des chansons. C'est utile. À mon avis, c'est la seule émission de variétés qui soit encore valable. Il n'y a que là qu'on entend des chansons du début jusqu'à la fin... Quand quelqu'un chante chez Sevran, on ne filme pas ses pieds, le plafond, les verres qui sont sur la table... On filme la personne en train de chanter sa chanson. Je trouve ça très bien, c'est très simple, c'est bien fait, bien conçu. Et puis, on sent qu'il aime ça ! Je l'ai vu l'autre jour au concert de Francis Lemarque. C'est là qu'on a fait connaissance.
Vous lui avez rendu un petit hommage...
Il en a été étonné. Je lui ai dit : « J'aime bien ce que tu fais. D’ailleurs, je vais venir chez toi chanter La petite diligence et Le Bois de Chaville. » Alors, j'y vais à la rentrée I
Font chez Sevran, ça ne va pas faire jaser ?...
Ah ! mais j'espère que si !
Votre premier disque, c'est bien La grande Jaja, en 1975, une chanson écrite par Minou Drouet ?
Oui, on a été mariés pendant sept ans. Ce disque s'est fait grâce à Line Renaud. Un jour, à l’émission Le Luron du dimanche, Thierry, qui savait que je chantais, m'a demandé de remplacer au pied levé un chanteur qui était malade. J'avais un trac monstrueux. La semaine d'après, Line Renaud m'a dit : « C'est quoi cette chanson que j'ai entendue la semaine dernière ? C'est de vous ? Où peut-on la trouver ? » J’ai dit : nulle part, ou alors chez moi ! « Alors, m’a-t-elle lancé, il faut faire un disque ! Rendez-vous dans quelques jours au Studio Loulou Gasté, vous chanterez ce que vous voulez... » Ça a été comme une espèce de conte de fées... Je suis arrivé au studio, Philippe Val m'accompagnait à la guitare. J'ai enregistré pendant à peu près six mois. Chaque fois, Loulou Gasté me disait : « Tu nous fixes les dates et je repousse les rendez-vous avec les autres. Tu viens quand tu veux. » J'ai trouvé ça incroyable... Philippe Val a fait venir Roland Romanelli, l'accompagnateur de Barbara, et Capolongo, un excellent bassiste, et à nous quatre, on a fait le disque.
C'est un disque qui a obtenu le prix de l'Académie Charles-Cros.
Oui et il y a là une anecdote drôle. La chanson La grande Jaja a été, dans un premier temps, interdite à France Inter parce que la patronne s'appelait Jacqueline Baudrier et que tout le monde l'appelait « la grande Jaja »... Des techniciens zélés ont cru que je m'étais foutu de sa gueule en chantant La grande jaja, alors que je ne la connaissais même pas ! Et à la remise du prix, le présentateur a dit : « Je vous signale, mesdames et messieurs, que cette chanson n'a aucun rapport avec la directrice d'une station de radio... » Ce qui a fait rire tout le monde !
Après, ça a été le premier disque avec Philippe Val, en public.
Oui, enregistré en 1978, à la M.J.C. des Mureaux et, en partie, au Théâtre des Dix Heures. Il a été produit par des Suisses. Il n'y avait que des Suisses qui nous faisaient confiance, les autres s'en foutaient complètement. Avec Philippe, on a toujours entendu ce leitmotiv : « Ça ne durera pas trois mois ! ». Comme un brûlot de café-théâtre qui ne devait pas durer. On a entendu ça pendant quinze ans, maintenant, ça va un peu mieux... D'ailleurs, les journaux qui écrivaient ça n'existent plus aujourd'hui...
Vous étiez soutenu par qui ?
Avant d'être le directeur du Printemps de Bourges, Daniel Colling, avec des copains, avait monté une agence qui s'appelait Écoute s'il pleut. Il y avait 80 artistes : Higelin, Renaud, Mama Béa, et plein d'inconnus, dont nous. C'était en septembre 1976, je me souviendrai toujours. Il y a eu trois jours à Vichy où on a bien rigolé, bien bouffé, parce qu'on allait au restaurant et on arrivait toujours en fin de réunion pour dire : oui, oui, d'accord... Chacun disait son sentiment sur l'état du spectacle et de la chanson. Higelin s'était fortement bien distingué en engueulant les organisateurs : « Au lieu de faire des discours sur la chanson, leur a-t-il balancé, vous feriez mieux d abord de nous accueillir quand on vient chez vous, de sorte qu 'on puisse se garer facilement et qu'on ne soit pas accueilli comme des chiens ou comme des rats... » Il a sorti une gueulante, c'était très bien.
Vous faites des spectacles tous les deux ans ?
Oui, à peu près. Le dernier en date, c'est « Égalité, liberté, vos papiers ! » On l'a présenté au Casino de Paris. Le prochain, ce sera à partir de septembre, mais on n'en connaît pas encore le titre, on n'a d'ailleurs encore rien écrit, on ne sait absolument pas de quoi on va parler ! On a des idées assez vagues mais il faut attendre que l'été passe, que l'actualité se fasse. Mais ça, on ne s'en fait pas, ça vient tout seul...
Pour vous, quel est le meilleur spectacle, ou, plutôt, celui qui a eu le meilleur accueil ?
Chaque année, il y a un peu plus de monde parce que les gens reviennent et ils amènent leurs enfants, donc, ça double la clientèle. Et les émissions de radio ont apporté à peu près quarante pour cent de clientèle en plus dans nos spectacles.
Votre public est mélangé ?
Complètement. Et encore plus depuis Rien a cirer. Maintenant, on a des personnes âgées aussi, on a des petits, des enfants, c'est vraiment de 7 à 77 ans.
Les personnes âgées apprécient cet humour qui, a priori, pourrait les choquer ?
Oui, elles font « Oh ! » et « Ah ! Ah ! Ah ! » mais c'est les « vieilles » qui rient le plus ! Dès qu'il y a une grossièreté, elles sautent au plafond ! Elles disent : ça nous rappelle notre jeunesse, les années 30, où on entendait des chansons scabreuses, toujours en demi-teintes parce qu'il n'y avait pas de mots grossiers, mais des allusions abominablement lourdes. Chaque fois que l'on tourne autour de la sexualité ou des plaisanteries de ce genre-là, elles se fendent la gueule, elles mettent la main devant la bouche ! C'est marrant, parce qu'elles sont dans les premiers rangs... Évidemment, on les met en boîte, on finit par discuter avec elles. L'autre jour, une dame de 75 ans à Arcachon, m'a dit : « Monsieur, je suis catholique pratiquante mais depuis que je vous écoute, je ne vais plus à la messe ! » Ça, ça vaut tous les compliments... Par contre, je reçois aussi pas mal d'insultes de la part des croyants, ce qui est normal, je me mets à leur place.
En même temps que le comique, il se dégage parfois de vos diatribes un certain humanisme... Ça s'apparente à des éditoriaux.
De temps en temps, il y a des choses qui me tiennent à coeur et que je n'arrive pas à exprimer de manière rigolote. Alors, je le dis d'une façon sérieuse parce que ça me touche profondément.
Il y a des choses qu'on ne peut pas exprimer par le comique, sans doute ?
Dernièrement, à la radio j'ai évoqué Berlusconi, le retour de l'ordre moral. Ce n'était pas drôle, c'était véhément. Mais ce qu'il y a de bien, c'est que le public l'accueille aussi bien. Et ça, ça fait plaisir.
Dans Rien à cirer, une de vos récentes diatribes s'apparentait à un meeting...
C'était à propos de Fun Radio, et ce n'était pas marrant du tout. C'était vraiment des coups de colère. Je n'ai jamais été autant applaudi et je n'ai jamais reçu un courrier aussi abondant, tout le monde voulait le texte... C'était fou.
ll n'y a pas de réactions, de pressions, de la part des hommes politiques, par exemple ?
Des hommes politiques ? Non. Je n'ai pas entendu parler de ça. Parfois, on me dit : attention à ne pas friser la diffamation – ce qui est normal, c'est la loi –, mais c'est tout. Il m'est arrivé de dire, à propos de deux personnages de la télévision : quand on les voit ensemble sur la photo, on dirait un con à deux têtes ! Laurent m'a dit : « Fais gaffe, parce que là, ça fait deux procès ! »
Comment est-ce que vous vous organisez en ce moment, entre radio et télé ?
C'est difficile. C'est vraiment une gymnastique. Heureusement que le mois de juillet arrive parce que la, ça commence à peser un peu l Ça va très vite. En ce qui concerne la télé, il y a des réunions le soir, pour améliorer et apprendre de nouvelles choses. Pour la radio, on est un peu plus rodés. Et puis, on se téléphone beaucoup. C'est ainsi que je me suis retrouvé à avoir le téléphone dans ma voiture. Obligatoire. Parce qu'à chaque moment de la journée, et presque de la nuit, il y a quelque chose à dire, à signaler. Quand Bérégovoy est mort, Pierre Bouteiller a dit à tout le monde : « Le cadavre est encore frais, vous serez bien gentils de n'en parler que la semaine prochaine... » Et au fond, on s'était tous dit la même chose. Voilà un cas où on a besoin de communiquer tout de suite, quand il y a quelque chose de grave qui se produit.
Qu'est-ce que vous pensez de cette vague du rire, qui se fait, depuis un certain nombre d'années, un peu au détriment de la chanson ?
Ce que je pense, c'est que la plupart de ces gens-là ont appris leur métier trop vite, sont devenus des vedettes trop vite, et sont retombés très vite. Attirer quinze cents personnes quand on a vingt-deux ans, ça me paraît totalement anormal, on n'a pas les épaules, on n'a pas le poids. Les gens viennent parce qu'il y a eu une grosse publicité, qu'ils ont vu la télévision ou lu la presse. Mais ils ne sont pas revenus l'année d'après, ou bien ils sont revenus moins nombreux. Tout le monde a passé une bonne soirée mais pas assez bonne pour revenir l'année suivante, surtout à des tarifs du genre 150 ou 180 balles ou plus que ça... Moi, j'en ai vu faire des tours de 50 minutes à 180 F la place. C'est pas pour dire du mal de Pierre Palmade, mais, en fin, c'était son cas ! C'est un peu trop. Un spectacle est considéré bon quand les gens reviennent. C'est tout, c'est le seul critère qu'on puisse avoir. Cela dit, celui qui me fait le plus rire c'est Philippe Val, c'est pourquoi on travaille ensemble.
Vous vous complétez un peu.
Un peu comme chez les clowns. Il me fait rire à table, dans la vie courante, sur scène, en coulisses. Par comparaison, les autres me semblent pénibles, évidemment. En plus de ça, c'est une expression tellement libre, tellement totale alors que les autres pensent à leur carrière : faut pas dire ceci, faut pas dire cela. On en entend de ces trucs...
« Quand on envoie un disque à un programmateur de radio, qu'est-ce qu'il fait ?
Il écoute l'intro ou une demi-chanson, mais jamais le disque. Il l'écoutera si on lui a dit de l'écouter ou si ça marche très fort. Là, il mettra la cassette dans sa voiture, pour faire comme tout le monde... »
Qu'est-ce que vous pensez du débat sur la chanson française, les quotas ? Vous soutenez un peu Sevran sur ce plan-là.
Je le soutiens parce que j'aime bien son émission. Cela dit, l'autre jour, j'ai entendu une station qui s'appelle, je crois, Chante France. Eh bien, pendant une demi-heure, je n'ai entendu que de la merde ! J'aurais préféré entendre Chuck Berry ou Ray Charles, à ce moment-là ! Il y a des bonnes choses partout. Dans une radio, il n'est pas bon de privilégier quoi que ce soit. Mais la chanson anglo-américaine a trop envahi les ondes depuis quelques années, ça devient de la frénésie, c'est exagéré. Et il y a un manque de curiosité de la part des programmateurs au détriment des auteurs-compositeurs français. Ça, c'est sûr. Quand on envoie un disque à un programmateur de radio, qu'est-ce qu'il fait ? Il écoute l'intro ou une demi-chanson, mais jamais le disque. Il l'écoutera si on lui a dit de l'écouter ou si ça marche très fort. Là, il mettra la cassette dans sa voiture, pour faire comme tout le monde... Mais les découvreurs comme Canetti, vous pouvez les chercher ! Il n'y en a plus, des Jacques Canetti. S'il y en a un qui a rendu service à la chanson, c'est bien lui.
Vous n'aimez pas tellement les années 80, et c’est pourtant là que vous avez « éclaté ».
Avec Philippe, on n'a jamais aimé l'esprit de compétition. Compétition et émulation sont des mots que l'on n'aime pas. Quand j'étais instituteur, je n'aimais déjà pas faire les classements. C'est pour ça que j'ai écrit une chanson qui s'appelle Le premier de lu classe. J'ai toujours trouvé que c'était inutile, étant donné que les élèves qui étaient classés cancres au début de l'année se retrouvaient dans les bonnes places au bout de trois mois : il suffisait de s'en occuper. Je trouve ça complètement con : transformer les études en match de football. Et les remises de prix, le meilleur chanteur, la meilleure scripte, le meilleur balayeur... Ça, c'est un vieux système, il va falloir sortir de là, parce que c'est pénible.
Cela dit, s'ils n'avaient pas été classés cancres, vous ne vous seriez peut-être pas occupés autant d'eux...
C'est peut-être vrai mais je ne pouvais pas savoir qu'ils étaient cancres au départ. Je ne le savais pas. Je ne voyais qu'une chose, c'est qu'ils s'asseyaient au fond de la classe. Je me disais : ceux-là, ils doivent être complexés. Mais je ne voulais pas savoir ce qu'ils avaient fait avant. Et à chaque rentrée scolaire, quand je changeais de classe et d'élèves, je leur disais une chose qu'un vieil instituteur avait dite, le jour de la rentrée des classes, quand j'avais douze ans : « Je ne veux absolument pas savoir ce que vous étiez l'année dernière, les bons, les mauvais, je ne sais ce que c’est, pour moi, vous êtes tous pareils. » Eh bien, c'est un sacré encouragement ! C'est remettre tout le monde à niveau. Et ça marchait très bien. Pendant toutes mes années d'enseignement, c'est une formule que j'ai utilisée et je m'en suis très bien porté.
Vous lancez un journal qui s'appelle La Taupe qui feuge... Ça veut dire quoi ?
Oh ! la la... C'est une expression de patois qui veut dire « entrer en érection », mais c'est plus joli, plus poétique... Le vocabulaire sexuel est très laid. Il a tellement été condamné par les censeurs au cours des siècles que, fatalement, il a poussé dans la rue, comme ça, d'une façon bizarre. Brassens le chante bien, Pierre Perret le dit aussi : on n'a pas de vocabulaire de ce côté-là. Alors, j'ai trouvé ça mignon. Et ça amuse tout le monde.
Et où en est ce projet ?
On en est encore au numéro 0. Ce sera un bimestriel parce que c'est un sacré boulot l
Qu'est-ce qu'on va y trouver ?
Des chansons, des poèmes, l'histoire de Font et Val et un feuilleton que j'ai écrit, qui s'appelle Les aventures de mon cousin Bob, un truc complètement absurde... Des poèmes de lecteurs, aussi, parce que les gens écrivent des poèmes, on ne les voit nulle part, la poésie est dans un état épouvantable, lamentable... Mais des petits poèmes ou des extraits qui peuvent être lus rapidement pour donner aux gens le goût de reprendre la lecture de la poésie. Également, des informations sur ce qu'on fait avec les enfants et des espèces de maximes, de pensées...
Propos recueillis par Raoul Bellaïche et Colette Fillon,
à Paris, le 7 juin 1994.
Parue dans JE CHANTE n° 15 (toujours disponible)
"La vieille" par Patrick Font et Béatrice Darmon en 2003, au Cabaret Sauvage
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