Auteur-compositeur-interprète, elle sort son premier disque en 1965, un super 45 tours RCA, suivi d’un second l’année suivante, tous deux arrangés par Jean Claudric. Son contrat chez RCA n’étant pas renouvelé, on la retrouve quatre plus tard sur le label Moshé-Naïm (Le cahier) puis sur une production indépendante en 1972 (Climat 68).
Puis elle enregistre plusieurs disques, seule ou en duo avec Philippe Richeux, jusqu’à son dernier album « officiel », sorti en 1986... Ces dernières années, Annie Nobel a regroupé tout son répertoire dans une intégrale de... 12 CD disponibles uniquement sur son site. En attendant de la retrouver pour évoquer toute sa carrière, elle nous raconte ici son expérience en Mai 68...
À la télévision, Annie Nobel chante Les nanas, chanson de son premier 45 tours RCA (1965)
Où étiez-vous en Mai 68 ?
À Paris, en Mai 68, j’étais à toutes les manifs, je chantais dans les usines. On était sur les barricades de Gay-Lussac et on en est partis juste avant que les CRS n’attaquent... On a fait toutes les barricades à l’envers ! Je me souviens que l’on troquait de l’essence... Nous avions une petite cousine qui était élève-infirmière. Elle n’avait pas son permis mais on l’installait au volant de la voiture pour aller chercher de l’essence car elle avait droit, en tant qu’infirmière, à s’en procurer. Et quand il n’y en a plus eu du tout, on acceptait de venir chanter dans les usines contre de l’essence. Finalement, pendant Mai 68, on a toujours roulé dans ma petite Fiat...
Vous avez occupé Bobino...
Un jour de manif, Philippe Richeux et moi étions chez Gérard Meys, l’éditeur de Jean Ferrat, en compagnie de plusieurs autres chanteurs. Le festival de Cannes venait d’être annulé, Hugues Aufray avait interrompu sa tournée... Les choses bougeaient. C’est alors que j’ai émis l’idée qu’il fallait que les chanteurs occupent, eux aussi, un lieu symbolique et j’ai suggéré de « prendre » Bobino... Nous y sommes allés dans ma voiture, Moustaki nous suivait en moto... J’ai demandé à un ami catcheur de venir avec ses « gars » faire le service d’ordre parce qu’on avait peur des « fafs » qui venaient avec leurs barres de fer pour casser la gueule aux grévistes...
Nous avons donc occupé Bobino – lieu hautement symbolique de la chanson – pour que les chanteurs puissent avoir un endroit où se retrouver et discuter. Quand je dis « prendre », je précise que l’on a quand même demandé la permission à la direction du théâtre ! Félix Leclerc, qui était alors à l’affiche, avait eu cette réaction : « Étant Québécois, je ne peux pas me mêler à vous, mais je vous laisse le théâtre... » Tout comme à l’Odéon et à la Sorbonne, Bobino s’est transformé en un vaste « laboratoire d’idées » où se mêlaient spectacles, meetings et discussions...
Annie Nobel avec Jean Édouard
Quelles étaient alors vos revendications ?
Nous n’avions pas de revendications salariales. Mai 68, pour moi, ce sont des gens qui étaient à la recherche de leur avenir et qui l’inventaient... C’était vraiment l’imagination qui se libérait. Dans les rues, tout le monde se parlait, chacun disait ses rêves et ses espoirs et comment il voulait vivre sa vie... C’était ça Mai 68, et pas autre chose. Tout ce qu’il pouvait y avoir de politique était complètement dépassé, out !
J’ai fait récemment deux spectacles pour le comité d’entreprise de la SNCF qui, tout à coup, fête Mai 68... quarante ans après, alors qu’à l’époque on se faisait traiter d’aventuristes manipulés par les Américains et la CIA ! En 68, « ils » freinaient des quatre fers et nous interdisaient souvent de prendre la parole... Après, « ils » se sont raccrochés aux wagons et sont parvenus à en tirer des avantages sociaux, mais ce n’était pas du tout le fond du mouvement... À la Sorbonne, à l’Odéon ou à Bobino, c’était le même leitmotiv : les gens disaient comment ils voulaient travailler et vivre !
Pour vous, quels ont été les acquis de Mai 68 ?
Après 1789, il a fallu cent ans pour instaurer la démocratie et la République... Pour ce qui est de Mai 68, les choses sont, finalement, allées très vite ! À partir de 68, on a parlé d’écologie, de retour à la terre, de liberté, de crêches, de l’égalité des femmes... La société était en train de se poser les questions essentielles. Mais cet aspect a été occulté car on a voulu donner l’impression, après Mai 68, qu’il ne s’était rien passé. Ce n’est pas vrai du tout, il a seulement fallu que les idées fassent leur chemin. Et elles ont fini par le faire !
Prenez le cas des familles mono-parentales ou recomposées... Lorsque je vivais avec Philippe Richeux, sa sœur me disait : « Quand est-ce que tu régularises ? » – « Mais régulariser quoi ? » J’ai eu des enfants avec deux pères différents, mais je ne me suis jamais mariée. On ne vit pas pour les autres ou pour la société, il faut réinventer... Si l’on veut changer quelque chose, c’est d’abord en soi qu’il faut changer. Voilà ce qu’on a dit en 68. C’est un discours qui ne venait pas d’en haut car on avait démoli tous les partis.
Vous avez écrit plusieurs chansons sur Mai 68...
Après le « retour à la normale », nous étions déconcertés et un peu tristes. Surtout qu’au mois d’août 68 on s’était tapé l’invasion de la Tchécoslovaquie par les Soviétiques et la fin du Printemps de Prague... Début septembre, j’ai écrit Climat 68, une belle chanson nostalgique qui illustre bien l’état d’esprit dans lequel on se trouvait après cette déception... Elle se termine par : « Attention, Paris se maquille... » Cela veut dire que tout n’était pas perdu, que ça allait se réveiller un jour...
Le cahier est une chanson que Philippe Richeux avait commencée et que j’ai terminée. Elle parle de Mai 68 d’une manière beaucoup plus soft. J’ai également écrit Li Liberté, une jolie bossa.
Mais la plus représentative de mes quatre chansons sur ces événements demeure Mai 68, écrite pour le dixième anniversaire et enregistrée en 1987 sur l’album « noir » chez Moshé-Naïm. J’avais entendu quelqu’un dire à la radio : « En Mai 68, finalement, il ne s’est pas passé grand-chose... » Il est vrai qu’en 1978 on n’en parlait presque plus, même entre nous, c’était plutôt assez mal vu de le faire... On avait mis le capuchon dessus. Et là, j’ai pris ma plume et ma guitare et j’ai écrit cette chanson dans la journée ! Je crois n’avoir fait que trois ratures !
Ce n’est pas des partis politiques que viendra un changement. Il ne viendra pas d’en haut mais d’en dessous... Tous les créatifs sont souterrains, chacun fait son truc de son côté. De plus en plus, les gens font des choses chez eux, entre eux, autour d’eux, avec leurs voisins, avec leurs amis... Ils bougent et ils essaiment de nouvelles idées et de nouvelles façons de voir...
Propos recueillis par R. B.,
le 10 juin 2008
• Site : http://www.annienobel.com
• Page Facebook : www.facebook.com/annie.nobel?ref=br_rs
J’ai retrouvé un tas de bandes enregistrées, et pour pouvoir les lire et numériser ce qu’il y avait dessus, un ami a racheté un ancien magnétophone sur eBay. J’ai fait le tri, sélectionné toutes les chansons et j’ai donc 4 CD avec ces chansons originales... dont certaines datent de 1960 ! Je n’ai pas cherché à récupérer mes bandes, c’est trop compliqué, je me suis servi de mes disques vinyles d’époque... J’ai donc converti toute ma production en CD et à peu près sauvé toutes mes chansons. Entre les 4 CD où je chante en m’accompagnant à la guitare et tout ce qui a été enregistré, j’en arrive à avoir 12 CD !
Sur mon site, tous les textes anciens sont à la rubrique textes, les « chansons engagées » mais aussi les autres.