top of page

Jean Bériac, créateur du label Expression Spontanée


Catalogué « fantaisiste » ou « humoriste », Jean Bériac passe à l’Olympia en 1960, en complément de programme d’Amalia Rodriguez. Il enre­gistre ses premiers disques chez Decca au moment de la vague yéyé et trois EP plus tard, il se retrouve chez Bel Air. « À part la chanson Le petit vélo, ces premiers disques n’ont pas marché... », reconnaît-il.

En 1967, Jean Bériac écrit les paroles de Mikélaï, enre­gistrée par Éva. Et l’année suivante, il se retrouve sur les barricades avec Dominique Grange et fonde le label Expression Spontanée...

Jean Bériac © Raoul Bellaïche

Quelle était la singularité du label Expression Spontanée ?

C’était une collection de disques dont la diffusion était assurée par les artistes et dans les festivals. Nous étions distribués par les disques DOM et nous avions aussi une boutique au 11, rue Bernard Palissy puis au 3, rue Sainte-Croix de la Bretonnerie. On enre­gistrait dans des studios mais on ne payait pas une fortune...

Vos tout premiers disques ont été les 45 tours de Dominique Grange et des Barricadiers...

Les Barricadiers étaient le groupe du Petit Gavroche, un restaurant-bar du la rue Sainte-Croix de la Bretonnerie. Ils s’étaient réunis pour chanter des chansons de lutte. Les Barricadiers ont enre­gistré huit chansons sur un double 45 tours avec pochette ouvrante. Ils chantaient bien et y cro­yaient. C’était bien écrit et... spontané ! D’où le nom du label.

J’ai aussi publié le 33 tours « Pour des chansons de femmes », enre­gistré par un collectif de femmes de Marseille qui se réclamait du MLF, avec des titres comme Le viol, Avortement d’État, Le blues du chômage ou Si je veux, quand je veux... Un beau disque qui a bien marché. Leur démarche était cohérente, même si elles avaient un discours carica­tural et une haine des bons hommes ! Il ne fallait pas trop s’approcher d’elles – de fort jolies femmes pourtant ! –, ni employer le mot « père » par opposition à « matrice » pour le pressage du disque...

J’ai fait un 45 tours avec Bulle Ogier, sur lequel elle chantait les chansons originales du film de Jean Marbeuf, Bel Ordure.

En une quinzaine d’années, j’ai sorti 70 disques sur ce label. En free-jazz, on a publié un 30 cm qui ne s’est pas beaucoup vendu mais c’était extraordinaire comme expérience... Mais je me demande aujourd’hui quel public pouvait être intéressé par un disque avec les chants révolutionnaires du Sultanat d’Oman !

C’était de l’idéalisme ?

Oui, et aussi parce que la production ne coûtait pas cher du tout, Beaucoup de ces disques étaient publiés à compte d’auteur par des gens qui avaient des choses à défendre. Ils en pressaient 500 exemplaires, les payaient quasiment à prix coûtant et se faisaient un plaisir de les revendre dans leurs circuits...

On a fait quatre ou cinq albums sur le Chili, d’autres sur l’Espagne, le Portugal, la Guyanne, le Cap-Vert, la Palestine... Des enre­gistrements de fêtes politiques, comme il y en avait beaucoup dans ces années-là (La Fête de Politique-Hebdo), et de festivals, « en partenariat » avec le journal L’Escargot : Lambesc, Malataverne, Pons... Des festivals où les gens venaient écouter de la musique en plein air et où ils donnaient ce qu’ils voulaient. C’était formidable et ça ne peut plus exister. Il y a eu aussi le disque sur le Larzac...

Expression Spontanée a aussi produit un disque de chants traditionnels du Morvan et, avec Gérard Dôle, pas mal de disques de folk et de musique cajun – bien avant tout le monde. On disait aux artistes : il faut répéter, comme des professionnels. Ce n’est pas parce que vous êtes de gauche que ça doit être merdique !

Les bandes vous appartiennent toujours ?

Je les ai vendues pour une bouchée de pain aux disques DOM... Pour l’anniversaire de Mai 68, DOM a ressorti en CD le double album « Mai 68 » avec les reportages de Jacques Ferlander et la participation de Patrick Pesnot, André Senik et Romain Bouteille. C’était du collectage, en fait. Un peu plus tard, j’avais fait un disque sur le chute de Saïgon.

Comment vous retrouvez-vous, en Mai 68, avec la chanson À bas l’État policier, enre­gistrée par Dominique Grange ?

Je participais au mouvement et trouvais formidable de pouvoir se libérer comme ça... Cette chanson, écrite avec Dominique, m’a valu quelques ennuis : « ils » sont venus à 6 heures du matin saisir tout le matériel et mettre des scellés...

Des images de Mai 68 ?

L’hôpital Beaujon, les bagarres dans la rue... Je me souviens d’Ivry Gitlis venant jouer du violon en plein milieu de la nuit à la fac de Médecine... Chacun cherchait à exister. Pour moi, Mai 68, c’était l’expectoration de la société qui voulait que ça change... C’est arrivé d’un coup, mais ça bougeait déjà un peu partout, on sentait que ça craquait... À vrai dire, il y avait beaucoup de « bourgeois », et pas beaucoup d’ouvriers. Ce n’était pas la Commune...

La jonction entre étudiants et ouvriers a failli se faire...

Oui, mais « chacun est rentré chez son automobile », comme l’a chanté Nougaro...

Propos recueillis par R. B., le 28 mars 2008 à Paris.

Article du jour
bottom of page