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Giani Esposito raconté par Pascale Petit


Pascale Petit et Giani Espositio en 1960 dans leur maison de la Vallée de Chevreuse.

Photo : Collection personnelle Pascale Petit/Lecœuvre.

Auteur-compositeur-interprète, Giani Esposito est né le 22 août 1930 à Etterbeeck (Belgique). Comédien au « physique intéressant », il est sollicité par le cinéma, tourne dans de nombreux films au cours des années 50 (French Cancan, Les Misérables). Parallèlement, il se dirige vers la chanson et se produit dans les cabarets en vogue (La Rose rouge, L'Écluse). En février 1959, paraît chez Polydor son premier disque, un 25 cm avec neuf titres dont Les clowns (rebaptisé Le clown par la suite), sa chanson-carte de visite, souvent reprise (notamment par Christine Sèvres et Jeanne-Marie Sens). « Pour la première fois, précise l'éditeur, il va chanter dans votre maison. Il s'installera à côté de vos rêves et de vos inquiétudes parce qu'il sait frapper d'une main familière aux portes de la solitude. Il ne procède d'aucun de ceux qui en rappellent d'autres. Il est le seul qui peut les faire oublier tous. »

En 1967, Giani Esposito signe avec la maison de disques Pathé-Marconi pour laquelle il enregistrera trois albums aux arrangements très dépouillés (Un noble rossignol à l'époque Ming, 1967) et quelques 45 tours (Petite marche sur les pieds des voisins, Deux colombes). Deux ans plus tard, il participe au concept-album de Gérard Manset, « La mort d'Orion » (aujourd'hui réédité en CD).

En 1972, il enregistre son dernier album pour Polydor sous la direction artistique de Jacques Bedos, et la direction musicale de Jean Musy, mélange de reprises et de nouveaux titres (Les croisés, Paris le désert), et repart une dernière fois au devant du public. Giani Esposito nous quitte le 1er janvier 1974 à Neuilly-sur-Seine. « Une conception aristocratique de la chanson, mais une voix unique », écriront les auteurs de Cent ans de chanson française (Le Seuil).

Paru fin 1996, un double CD publié par Rym Musique permet de retrouver l'essentiel de l'œuvre de Giani Esposito. Entretien avec Pascale Petit, sa première compagne.

 

JE CHANTE ! —Vous êtes à l'origine de cette compilation de Giani Esposito ?

PASCALE PETIT.— Oui, mais pas tout à fait seule : la même semaine, mes deux filles et moi avons eu la même idée. Plus de vingt ans après le départ de Giani, on a trouvé que c'était un signe... Avec l'aide de Fabien Lecœuvre, on a mis au point cette compilation qui, avec une quarantaine de titres, représente la presque totalité de son œuvre.

Pathé-EMI et Polydor, ses deux maisons de disques, n'y avaient pas pensé ?

Manifestement, non. C'est d'ailleurs étrange, parce qu'il y avait quand même une demande. Ponctuellement, des gens me disaient qu'ils aimeraient bien trouver un compact de Giani Esposito. Je suis ravie qu'ils aient pu être satisfaits et j'espère aussi que des jeunes vont le découvrir, parce que ses textes sont très profonds et peuvent leur apporter un message intéressant.

Le clown est une chanson que beaucoup d'interprètes reprennent.

C'est son tube, si l'on peut dire, au point que beaucoup de gens, même du métier, sont surpris de voir que Giani avait enregistré des dizaines de chansons. De son vivant, seuls Le clown et Un noble rossignol à l'époque Ming passaient en radio, alors que son œuvre est beaucoup plus importante. On y trouve des chansons plus difficiles d'accès mais aussi d'autres tout aussi « faciles » que Le clown, comme Même à celui qui meurt, une chanson très simple, ou Paris le désert. J'aime aussi tous ses textes d'inspiration mystique, mais des chansons comme Paris le désert devraient plaire à ceux qui ne sont pas branchés spiritualité.

C'est curieux que personne n'ait été tenté par Paris le désert, par exemple, que je trouve absolument superbe. Mais ça va peut-être venir et faire une deuxième carrière. C'est dommage que toutes ces belles chansons dorment pour toujours. J'aime beaucoup Le temps des fiançailles ou Amoureux et savants, Le désert, Les quatre éléments... Mais ça, c'est mon côté mystique ! Chez Giani, j'aime moins le côté sautillant, Napolitain.

Dalida a chanté La colombe. Il lui a donné cette chanson et c'est le seul cas, à ma connaissance. Ils étaient très amis et s'appréciaient beaucoup. Raymond Devos a souvent interprété Le clown dans ses spectacles, Christine Sèvres a été une des premières à la reprendre. Hervé Vilard a aussi enregistré Le clown sur un disque en public en 1984, au Théâtre des Variétés (sur le même disque, il reprenait L'écharpe, de Fanon).

 

Giani Esposito chante Le clown

(la version du disque car il n'existe aucune version vidéo sur le net)

 

Vous vous souvenez de la naissance de la chanson Le clown ?

Quand j'ai connu Giani, Le clown existait déjà. Nous sous sommes rencontrés sur un plateau de cinéma, à Moscou. Il tournait Normandie-Niemen, une coproduction franco-russe. Moi, j'étais venue à Moscou avec un autre groupe représentant le cinéma français. Intérieurement, je savais profondément que non seulement on allait se rencontrer, mais qu'il allait se passer quelque chose d'important entre nous... Le dernier soir, à l'occasion d'une soirée à l'ambassade de France, il était placé à côté de moi, comme par hasard. Nous avons fait connaissance et immédiatement parlé de sujets qui nous touchaient particulièrement, comme la philosophie orientale, les religions, la poésie... Tout de suite, ça a été d'un très haut niveau de conversation. Je n'ai pas attendu qu'il termine le film : une fois de retour à Paris, j'ai redemandé un visa et suis allée le rejoindre à Moscou où nous avons passé huit jours ensemble.

Il avait demarré une brillante carrière de comédien...

Au cinéma, il a tourné avec Renoir, Buñuel et, la télévision a fait appel à lui pour des pièces de Cocteau, entre autres. Il a alors fait quelques déclarations d'ordre spiritualiste, mystique, moi aussi, et cela nous a valu d'être boycottés. Notre démarche a énormément surpris les gens et a été mal perçue et cela nous a coûté un peu notre carrière à tous les deux. À partir de ce moment-là, j'ai davantage tourné en Italie et Giani a été moins demandé au cinéma. C'est là qu'il s'est vraiment mis à l'écriture et à la chanson. Il aimait avant tout écrire des poésies et faire des chansons mais aussi peindre et dessiner. En fait, c'est la comédie qu'il aimait le moins. C'était un créateur, et au cinéma, on n'est pas son propre maître, c'est un travail d'équipe.

Vous ne l'aviez pas connu quand il passait dans les cabarets ?

Non, à l'époque où il passait à La Rose Rouge ou à L'Écluse, vers 1954, j'étais toute môme et même pensionnaire ! Je ne sortais pas. Giani avait dix ans de plus que moi. En revanche, je l'avais vu au cinéma, et j'avais été complètement subjuguée par son côté romantique...

Tourmenté, aussi ?

Je ne sais pas si le mot « tourmenté » convient bien, mais c'est quelqu'un qui menait une recherche désespérée, ça c'est sûr. Il dégageait aussi une grande sérénité. C'est au cinéma que je l'ai découvert et c'est à partir de ce moment que je me suis dit qu'un jour on se rencontrerait et qu'il se passerait quelque chose entre nous.

Giani a une voix mélancolique, un physique romantique, mais je ne le trouve absolument pas désespéré. Si vous écoutez attentivement ses paroles, il y a toujours quelque chose qui va vers la lumière. Ses textes sont des constats sur la méchanceté ou le matérialisme des hommes, mais il y a toujours des paroles d'espoir. Léo Ferré, par exemple, était beaucoup plus désespéré, je pense. Vous savez, il y a des gens qui trouvent que la musique classique est triste ! Dès que l'on sort de la chanson populaire, gaie et sautillante, on dit tout de suite que c'est sombre et mélancolique. Le fait de devoir réfléchir un peu aux paroles des chansons n'en fait pas quelque chose de triste pour autant.

Giani était conscient d'avoir une audience plutôt confidentielle. Il aurait aimé être moins contesté qu'il ne l'a été. Il n'est pas tellement passé dans les radios, et bien que certains aimaient beaucoup ce qu'il faisait, un maximum de gens étaient quand même assez déroutés. Je pense qu'aujourd'hui, les gens le seraient moins.

Giani Esposito au piano. Collection personnelle Pascale Petit/Lecœuvre.

Dans plusieurs de ses chansons, trois au moins, il y a le mot « clown » qui revient...

Oui, tout à fait. Il adorait les clowns. L'un de ses meilleurs amis était Dimitri, un clown très original qui avait une façon d'aborder sa discipline d'une manière très personnelle... Et avec nos filles, Giani faisait beaucoup le clown, aussi. N'oubliez pas qu'il est à moitié Napolitain et qu'il avait aussi en lui ce côté commedia dell'arte. Il avait à la fois un côté profond et un humour au second degré qui lui faisait tourner tout en dérision. Il avait un humour un peu désespéré.

Dans le milieu de la chanson de l'époque, Giani Esposito reste assez atypique.

C'est vrai, et ce qui fait sa valeur. Cela prouve sa personnalité et sa richesse d'expression. Si on devait le comparer, ce serait peut-être à quelqu'un comme Léo Ferré. J'ai réécouté une interview de lui où il témoignait de beaucoup d'espoir, disant qu'il n'était pas là pour critiquer les choses mais pour essayer de donner des solutions pour aller vers un avenir meilleur. C'était un vrai mystique.

Il était assez en avance...

Il était complètement en avance sur son temps, et c'est pour ça qu'il a eu son succès et ses adeptes, mais il n'a pas vraiment « éclaté » comme il aurait dû, il est parti trop tôt. Toutes ces idées de spiritualité étaient beaucoup moins répandues il y a vingt ou vingt-cinq ans. Maintenant, on vous parle d'astrologie, de bouddhisme, de réincarnation à tout bout de champ... À l'époque, ces thèmes-là commençaient à peine à se répandre. C'est bien de ressortir les chansons de Giani aujourd'hui, elles correspondent à une vraie demande.

Il n'avait pas beaucoup d'amis dans le show-business. C'était quelqu'un d'assez solitaire. Il avait besoin de beaucoup de silence et de recueillement pour écrire. Il aimait l'isolement, c'était un ascète.

Giani Esposito et sa fille ainée Douchka, 1967. Collection personnelle Pascale Petit/Lecœuvre.

Dans la carrière discographique de Giani, il y a un « trou » d'une dizaine d'années entre Le clown et Un rossignol à l'époque Ming...

Effectivement. Pendant ces années-là, le cinéma et la télévision l'ont beaucoup accaparé, mais aussi le dessin et la peinture. Il avait un trait absolument remarquable, à la japonaise, d'une maîtrise éblouissante, au porte-plume et au pinceau. Il dessinait d'un trait unique et n'y revenait pas. Il était doué pour beaucoup de disciplines. Dès sa jeunesse, il a ressenti le besoin d'écrire des poésies. Il a fait paraître deux recueils de poèmes, très beaux, pas toujours faciles d'accès mais magnifiques. C'est un vrai parcours initiatique.

Est-ce que Giani vous associait à ses chansons, à ses enregistrements ?

Pas du tout ! C'était quelque chose à lui. En revanche, en cours de création, il me faisait écouter ses chansons et sollicitait mon avis. Mais je n'allais pas en studio, il préférait me faire écouter le « produit » fini. Je n'ai jamais été déçue. Le premier disque était uniquement accompagné au piano. Ensuite, la maison de disques a souhaité davantage d'orchestration. Il n'était pas très chaud au départ, mais Jean Musy a fait un travail absolument remarquable, avec une sensibilité extraordinaire. Il a trouvé les instruments qui convenaient à l'ambiance des chansons, et chacune d'elle est un petit bijou. 

Propos recueillis par Raoul Bellaïche, le 31 janvier 1997.

• Entretien publié dans le JE CHANTE N° 21.

• Discographie : un double CD chez RYM Musique (enregistrements Polydor et Pathé).

• Un CD Odéon-EMI (enregistrements Pathé).

 

Bonus 1

Douchka chante Le Clown dans Les Années Bonheur de Patrick Sébastien

Bonus 2

Pascale Petit et Giani Esposito à la télévision en 1960


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