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Qu'est devenu Jean Bourbon ?


Personnage quelque peu énigmatique, artiste à éclipses, découvert par Jacques Canetti en 1978, Jean Bourbon publie en 1995 son septième disque. Un retour remarqué avec « Coronaire », un album remarquable, d'où se dégage une magnifique chanson, Ça vous marque [en écoute plus bas].

Interprète doué d'un sens peu commun de la scène, Jean Bourbon ne revendique aucune autre passion : « Je ne fais que chanson », affirme-t-il, comme pour s'excuser. Ses modèles se nomment Aznavour, Brel, Lama, Reggiani, excusez du peu !... « Il y a eu quatre périodes, qui ont correspondu à ces quatre artistes. Ce sont des maîtres dans leur domaine. Je prends un peu chez tout le monde. »

C'est en 1951 qu'il voit le jour, dans le 15ème arrondissement parisien, à l’Hôpital des Enfants malades, précise-t-il, avant d'ajouter : « J’étais bien portant, c'est après que ça s’est dégradé. Quand on voit la société dans laquelle on vit, on se rend compte que ça va mal... » Néanmoins, son enfance se déroule normalement. Adolescent, Jean Bourbon apprend tout seul à jouer du piano. « C’est venu comme ça. J’ai tapoté, et, comme ça m’a fait plaisir, j’ai rajouté des paroles, tout en tapotant. »

C'est à la fin des années 70 que Jean Bourbon fait ses débuts dans la chanson. En 1977-78, il auditionne au Tire-Bouchon, à Montmartre, et se produit au Pied de la Butte, dont il deviendra, vite, un des artistes favoris, avec un public de fidèles. « Je chantais, dit-il aujourd'hui, des petites chansonnettes, des trucs un peu bébêtes. Mais après, on a travaillé. » Jacques Canetti, qui le découvre à ce moment-là, lui fait enregistrer son premier disque, « J'en ai marre à crever », douze textes cosignés avec Hervé Serieyx, musiques de Jean Bourbon. Sur cet album, publié en 1978, c'est Raymond Bernard, l'arrangeur des premiers succès de Gilbert Bécaud, qui dirige l'orchestre. « Un beau disque, dit aujourd'hui Jean Bourbon, qui est tombé dans l’oubli. Je suis resté un peu dans l’ombre. »

Jean Bourbon avec Sarah Boréo et Jacques Canetti. Photo : Margherita Conte.

Jacques Canetti l'engage pour un spectacle sur Boris Vian, dans lequel il partage l'affiche avec Sarah Boréo, « Le Toubib » (un véritable docteur qui sera sommé de choisir entre chanson et... médecine), Chantal Sovol, Bee Michelin... Envisageant de produire un disque, Canetti enregistre, à l'essai, Jean et Sarah au Concorde de Caen et à la Maison de la Culture de Chalons-sur-Saône, accompagnés par les pianistes Armand Gomez et Jean-Claude Passaga. Satisfait de leurs prestations, il sort, en 1981, le disque « La fête à Boris », un double abum qui obtient le Prix de l’Académie Charles Cros.

« Une voix tonique et une présence remarquable, voici ce qui classe Jean Bourbon parmi les interprètes les plus efficaces des chansons de Boris Vian », écrit Jacques Canetti dans la préface du disque. Jean Bourbon se produit alors en France et dans les pays francophones. « Quand ça marche un peu, c’est le circuit traditionnel : la Belgique et la Suisse, puis, de nouveau, la Suisse et la Belgique... Mais avec la tournée Boris Vian, on a voyagé pas mal. »

Pour Jean Bourbon, la deuxième rencontre importante s'appelle Jean-Louis Gaiddon. Il l'entend un soir dans un cabaret et lui propose de travailler avec lui. « C’était une bonne période, reconnaît Bourbon. Ça m’a permis de découvrir une autre écriture. » En 1985, un troisième album, produit par Laurent Trin, voit le jour, douze chansons enregistrées au Studio de la Comédie des Champs-Elysées, textes signés Jean-Louis Gaiddon, musiques de Jean Bourbon. Responsable des arrangements et pianiste avec Gérard Jouannest, François Rauber (tous deux ont travaillé avec Jacques Brel) préface le disque : « Il y a des gens pour lesquels on a envie de travailler parce qu'on a lu le texte, et les autres avec lesquels il ne faut surtout pas lire le texte pour travailler. »

Dans les années qui suivent, la production discographique de Jean Bourbon se poursuivra sous forme de 45 tours, toujours produits par l'ami Trin, qui soigne la production et les pochettes. Oh mère ! et Les pucelles, en 1986, Le fou des quais de gare et La solitude, en 1988, quatre chansons de Gaiddon-Bourbon arrangées par François Rauber. Changement d'orchestrateur, en 1989 : c'est Roland Romanelli, cette fois, qui assure les arrangements des deux titres, écrits, paroles et musique, par Jean Bourbon : C'est triste une gare et Petite gosse.

Les années passent, et il faudra attendre six ans pour qu'un premier album, entièrement signé Bourbon, voie le jour. « N’ayant pas sorti de disque depuis 1991, je suis parti. Il fallait que je prenne de recul. C’est la deuxième fois que j’écris tout, paroles et musique, mais la première où c’est vraiment fini, arrondi dans les angles, travaillé. » Réalisé et produit par Laurent Trin, ce premier CD, « Coronaire », a bénéficié de moyens importants. « Je connais Laurent depuis dix ans. C’est un ami dans la vie, mais, comme on travaille ensemble, il faut qu’il soit un peu mon ennemi, qu’il me montre mes défauts. Ami dans la vie et ennemi au travail. Il le faut : il n’y a pas d’ami dans le travail ! Il s’est investi complètement. Cette fois, on a voulu faire quelque chose de fort, de musclé, et avoir, en même temps, différentes couleurs musicales. J’espère qu’on a réussi. C'est un disque magique. »

 

"Ça vous marque", une superbe chanson de Jean Bourbon.

Parallèlement à ce nouveau disque, Jacques Canetti sort une compilation des premières chansons de Jean Bourbon, seize titres enregistrés entre 1978 et 1986.

Raoul Bellaïche

 

« Se tromper, ça aide... »

Entretien avec Jean Bourbon

 

Jean Bourbon, qui es-tu ?

Je regarde, je mets sur papier, je chante, j’essaie de chanter juste.

Ton répertoire ?

J’ai toujours chanté mes propres chansons.

Tu es un chanteur à éclipses...

J’ai besoin de ça, sinon, on tourne en rond. Le risque de se faire oublier ? Non, je n’étais pas tellement connu avant de partir... C'est vrai que je n'écoute pas grand chose, ne vois pas grand chose, du fait que je n'habite plus Paris, mais en pleine campagne, avec les oiseaux. On a besoin de prendre un peu de recul pour écrire des choses actuelles. J'ai beaucoup de chansons qui ne sont pas finies. On écrit beaucoup pour en avoir quelques unes de bonnes, enfin, qu’on croit bonnes.

La vie d’artiste ?

C’est formidable. Je ne pense pas « en avoir bavé », comme on dit. Il faut faire son petit travail gentiment, dans son coin, ça me convient. Surtout continuer à écrire, chanter. Une carrière plus importante ? Ça aurait pu. Qu’est-ce qui s’est passé ? On ne sait pas.

On s'accorde à dire que tes chansons ne sont pas gaies...

Elles ne sont pas gaies du tout ! Si la vie mène à quelque chose, c’est dur de vivre, surtout pour tout le monde. Et plus les années passent, et plus c’est de plus en plus dur, je crois. J’ai essayé d’écrire des chansons drôles, des chansons plus gaies, mais je n’y arrive pas ! Ça ne vient pas. Des drôles, j'en ai chantées, mais de Boris Vian : Arthur, On n’est pas là pour se faire engueuler...

La solitude ?

Je suis assez solitaire, c'est vrai, j’aime bien marcher tout seul, respirer, quoi !

Timide, méfiant, secret ?

C’est possible. J’ai connu des gens, et le temps fait qu’on finit par les éviter. On les comprend différemment, on les retrouve. Pas méfiant, mais une sorte de prudence, à force de les pratiquer.

Est-il plus difficile, aujourd’hui, de se faire connaître ?

Non, je ne crois pas. C’est pareil, les époques sont les mêmes. Disons qu’il y a moins de cabarets, etc., mais, dans un sens, il y a toujours possibilité, par le disque, d’arriver. Faut du temps. Faut le temps.

Réussir ?

C’est pouvoir donner, apporter aux autres, et essayer de s’apporter à soi-même. La réussite est un partage.

Le bonheur et la réussite ?

Il ne faut pas mélanger... J’aime chanter, écrire, faire passer des choses, et travailler avec des musiciens, c’est une chose formidable. Mais « le bonheur », « heureux », tout ça, ce sont des mots que je ne connais pas bien. Ça doit exister, mais quand on regarde ce qui se passe partout, on ne parle pas du bonheur... Heureux ? Non, jamais. Heureux, un peu ? Oui, mais qui est heureux ? C’est un grand mot. Je crois qu’on s’approche au maximum du bonheur, mais qu’on n’y arrive pas vraiment. On a seulement des moments de joie.

D’autres passions que la chanson ?

Non, aucune. Je ne fais que chanson. Ni théâtre, ni cinéma, je ne connais pas, je ne sors jamais. J'aime bien Simenon pour la rue, pour Maigret, pour l'atmosphère. Je reste dans ma campagne, je me balade en forêt.

Au Croque-Notes, le restaurant-cabaret d'Éric Zimmermann. Photo : Margherita Conte.

Projets ?

Chanter ! L’avenir en chansons : chanter, trouver des salles, m’exprimer. J’espère faire de la scène, avec une petite formation. Ce n’est pas évident à trouver.

Objectif ?

Je voudrais que ce disque soit écouté, tout simplement. J’essaie d’apporter ma petite pierre, mon petit truc.J’essaie de donner aux gens matière à réfléchir, de penser, de prendre position, pour ou contre.

Si c’était à refaire ?

Je referai pareil, erreurs comprises, car elles m’ont aidé, aussi. Se tromper, ça aide...

Pourquoi ta carrière n’a-t-elle pas débouché sur une plus grande notoriété ?

Je n’étais peut-être pas prêt, tout simplement. Je crois qu’il faut le temps pour pouvoir se préparer. Mais le jour où on doit être prêt, il faut être... prêt.

Propos recueillis par Jacques Roussel

au micro de Fréquence Paris Plurielle, 106.7 FM.

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