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Pauline Julien, vue par Jean Dufour

Agent d'artistes québécois et français, Jean Dufour nous a quittés fin juin 2017. En 1999, il avait adressé à JE CHANTE ce témoignage sur l'une de « ses » artistes qui venait de disparaître.

À sa demande, j’ai eu l’immense privilège de partager modestement son aventure et le partage, avec Pauline, n’était pas chose facile, tant sa personnalité était affirmée. Elle disposait de tous les arguments de la séduction, de la persuasion, de l’autorité. Pourtant, sa fragilité naturelle et un intense et permanent besoin d’amour nuançaient son comportement à l’égard de ceux qui vivaient autour d’elle.

Car nous vivions autour, comme des satellites prisonniers d’une attraction lumineuse. Pauline était belle. Son abondante chevelure rousse encadrait un visage harmonieux, un regard d’une sensualité désarmante, avant de s’abandonner sur un châle aux couleurs d’Automne négligemment lové à un corps de jeune fille. Sa voix, fauve, n’était réellement pure que dans la véhémence ou la colère. En d’autres circonstances, elle épousait le flot tumultueux d’un torrent qui se joue des écueils pour s’apaiser dans la tendresse.

L’organisation du travail, la tournée, la scène et toutes le contraintes du quotidien provoquaient souvent des éclats spectaculaires. Elle n’acceptait pas la moindre concession et s’insurgeait à chaque apparition d’un importun dans son champ de vision. Elle avait des centaines de soupirants et des amis qu’elle distinguait peut-être à l’épaisseur de leur armure. Il fallait résister à cette déferlante d’une passion parfois provocatrice comme il fallait éviter le piège d’une féminité palpitante.

Et Pauline savait admirablement endiguer tous les attraits de cette féminité, si chère aux hommes, au service d’une doctrine de combat pour la reconnaissance des droits de la Femme. En d’autres termes, elle disait : « Vous m’aimez telle que vous m’imaginez, me voyez, et non telle que je suis réellement. » Cette exploitation d’une féminité de complaisance lui donnait les moyens de mener une action féministe avec un acharnement et un courage qui dépassaient le cadre de son activité professionnelle. Cette stratégie de dragées au poivre lui réussissait fort bien. Chanter la Femme sans combattre les hommes la divertissait à merveille.

Nous avons pris ensemble bien des risques : celui de traverser Paris à folle allure, passant des couloirs d’autobus au sillage des voitures de pompiers pour atteindre un avion qui n’aurait pas attendu, celui de transformer ma voiture en ambulance pour permettre à une femme brisée de fatigue de pouvoir devenir, au soir de l’étape, la flamboyante Pauline Julien en scène, celui de traduire en examen de conscience musiciens et techniciens dès le dernier rappel, avant de fêter en équipe. Mais avec l’épreuve du temps, comment regretter ces généreuses folies ?

Pendant quelques années, nous avons parcouru la France, la Belgique et la Suisse, où elle comptait beaucoup d’amis. Près de deux cents concerts et combien d’émotions, de soleils, de nuages ! Pauline était là, telle un chef de guerre et l’inspiratrice de toutes les tendresses. Elle griffonnait du regard des messages d’amour, et l’amitié faisait le reste. Dans le sac dont elle ne se séparait jamais, des pages de hiéroglyphes confondaient les adresses, les résolution et les rendez-vous. Des cadeaux aussi, une multitude de petits cadeaux enrubannés comme autant de surprises offertes à ses amis. Certains de ces cadeaux me parlent chaque jour.

Elle a connu tous les hommages et la consécration d’un public subjugué par l’authenticité de son talent. La lucarne – qui n’était pas encore otage du l’audimat – l’invitait à des heures de grande écoute sans appâter l’audience avec des voyages ou des appareils ménagers. Elle rayonnait de sa seule présence.

Dans les jours qui ont suivi le communiqué laconique des agences de presse, j’ai reçu d’une amie son livre, Il fut un temps où l’on se voyait beaucoup, dédicacé d’une main rendue malhabile par la maladie. Trop tard pour lui témoigner une dernière fois ma gratitude et ma fidèle amitié.

La nuit s’est refermée sur Pauline. Pour le Québec, elle était un drapeau, pour toutes les femmes, une espérance, pour nous, une voix, une conscience, et pour moi, le cœur serré, L’écharpe de Fanon, frémissante au vent de la mélancolie.

Jean Dufour

• Jean Dufour a été, notamment, l’agent en France de Pauline Julien et de Félix Leclerc. 

• Article paru dans JE CHANTE n° 24, toujours disponible.

 

• Sur le site Micro-Entretiens, vous pouvez écouter une interview de Jean Dufour (32'49) réalisée par Dominique Citerne au Salon de la Chanson des Livres, à Randan, le 7 avril 2013.

 

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