top of page

L’itinéraire discographique de Marc Ogeret


Marc Ogeret enregistre ses tout premiers disques, à la fin des années 50, pour G.E.M., la Guilde Européenne du Microsillon, sise 25, boulevard Magenta à Paris.

« Ça devait se situer en 1958. A l’époque, je faisais la manche. J’ai rencontré le directeur artistique dans un bistrot et il m’a dit de lui téléphoner. Je croyais que c’était une blague. » Le responsable de G.E.M. proposait à des artistes débutants de reprendre les succès du moment ou du répertoire. A Marc Ogeret, par exemple, il fait enregistrer Bruant, Guy Béart, Léo Ferré, du folklore, à Michel Frenc, Brassens. « Il avait une collection qui couvrait tous les gens de cette époque. Il ne vendait pas les disques un par un mais par collection, par exemple par deux cents. La particularité, c’est que ces disques étaient vendus chez les marchands d’électroménager et non pas chez les disquaires, puisqu’il était en concurrence avec eux. Et ils coûtaient moitié prix. »

Au verso de la pochette des 45 tours G.E.M., Marc Ogeret est présenté comme suit : « Depuis le jour où, sur les pavés du port de Cassis, il “fit” son premier tour de chant, l’étoile de Marc Ogeret monte irresistiblement au firmament de la chanson. Chanson populaire, ballade ou “goualante”, tous les genres conviennent à ce spirituel trouvère, pourvu que la chanson soit bonne ! Le public d’Agnès Capri et de La Fontaine des 4 Saisons n'a pas oublié Marc Ogeret, chanteur, guitariste, et de surcroît intelligent. »

G.E.M. ne possède pas de studio et les séances d’enregistrement ont lieu place de Rennes, au-dessus de l’ancien Chez Dupont. « Là, il y avait un petit studio qui était tout à fait correct. On travaillait dans des conditions professionnelles mais on était payés au cachet, au 45 tours, et c’était correctement payé à l’époque pour des gens qu’on prenait quasiment dans la rue. Le patron de G.E.M. nous disait : “Voilà, moi, je voudrais avoir ça dans ma collection, qu’est-ce qui vous va bien là-dedans ?” J’ai donc fait sept super 45 tours. Pour certains, je m’accompagnais à la guitare et pour d’autres, il y avait une petite formation et des guitaristes. Je crois qu’on a même fait des trucs avec Barthélémy Rosso et des copains à lui. G.E.M. travaillait avec des professionnels. Il a fait plein de choses, finalement. »

Lorsque les grandes compagnies se mettent à faire des collections à prix réduit (la collection « Mode » chez Vogue, par exemple), G.E.M. cesse de produire des disques. « Le responsable a complètement disparu de la circulation et a fait autre chose. J’ai retrouvé en Belgique son directeur musical, un homme de radio. Voilà l’histoire des disques G.E.M. A cette époque-là, à la fin des années 50, il était le seul. Il n’y avait que la Guilde du Disque qui faisait des prix et G.E.M., c’était une sous-Guilde, en quelque sorte. Seulement, moi, ça m’a donné un atout formidable. Quand j’ai fait mon premier disque chez Pacific, il s’est mieux vendu que les autres parce que j’avais déjà une petite clientèle. »

Comme beaucoup d’autres petits labels indépendants, le catalogue G.E.M. est racheté. Vers le milieu des années 60, Musidisc reprend, sur un 30 cm, les deux 45 tours de chansons traditionnelles. Sur « Marc Ogeret interprète des ballades d’autrefois », on retrouve les onze titres plus deux autres restés inédits, Cassandre et L’amour de moy. À la même époque, sur le label de grande diffusion Vivadisc, Musidisc réédite, sur deux super 45 tours, quatre des chansons de Bruant et cinq « trad ». Le 45 tours Bruant connaîtra aussi une diffusion gratuite par... Antar.

Après l’expérience des disques G.E.M., Marc Ogeret enregistre, pour les disques S.M., trois super 45 tours consacrés à François Villon, Marc Alyn et Max-Pol Fouchet dans la collection « Poésie et Chanson ». « Claude Corail et Bernard Bonaldi qui travaillaient à France-Musique aimaient bien la chanson et la poésie. Ils avaient une idée qui s’est avérée mauvaise, il faut bien le dire. Ils ont créé une collection, Poésie et chanson. L’idée était d’associer un chanteur et un comédien à un poète. Il y a eu Reggiani pour Marc Alyn, Claude Laydu pour Villon. Hélène Martin en avait fait un aussi. Or, il s’est avéré que ce n’était pas, commercialement, une bonne idée. Personne n’était content : ni les gens qui recherchaient la diction ni ceux qui aimaient la chanson. Il y a eu une série de disques, mais ça n’a pas accroché vraiment. »

Juste après, il y a les disques Pacific. « A ce moment-là, je travaillais avec Marc Alyn et Roger Piault sur la chanson. Piault s’était intéressé à la chanson à cause de moi, de Béatrice Arnac, de Michel Aubert (lui, était aussi auteur-compositeur). Roger Piault fréquentait des gens du disque et il a fini par créer une collection chez Pacific, Chansons d'Orphée. Il a pris ses poulains. »

Pacific est racheté par Vogue et les artistes remerciés. Libre de contrat, Ogeret présente un spectacle Aragon aux Trois-Baudets. Vogue lui demander d’enregistrer un disque Aragon. « Je leur ai dit : je veux bien le faire, mais dans une collection populaire. Beaucoup d’artistes avaient déjà fait des albums Aragon : Catherine Sauvage, Monique Morelli, Léo Ferré... A quoi bon ? Moi, Ogeret, pas connu, si je mets un 30 cm de plus sur le marché, il ne va pas se vendre. » En sortant des Trois-Baudets, il tombe sur une affiche des disques Vogue qui annonce : « Collection Mode : 16 F 90 ». Déclic. Nouvelle proposition. « Si vous sortez l’Aragon dans cette collection, je le fais tout de suite. Ne me parlez pas de production : il y a quatre musiciens au Trois-Baudets, on chante tous les soirs. On rentre au studio et en un après-midi on vous fait le disque. » Vogue tente le coup. « Ça a été la première et sans doute la seule production dans la collection Mode. Du coup, le disque s’est retrouvé dans les Prisunic. Mettre Aragon dans les Prisunic, c’était intéressant... Avoir un rapport avec le public populaire. Ce disque s’est très bien vendu. C’est grâce à ce succès que Vogue m’a fait un contrat et j’y suis resté vingt ans. »

L'époque est à la contestation. Bientôt, Marc Ogeret enregistre, dans la collection Florilège de la chanson populaire française, les albums Autour de la Commune et Chansons contre... « On les avait enregistrés fin 67, début 68. Leur sortie était prévue pour le mois de mai mais elle a été empêchée à cause des grèves. Ils sont donc sortis juste après, en juin-juillet 1968. Et tout le monde a dit : quel opportunisme ! Mais on ne l’avait pas fait exprès. Ces disques ont très bien marché. C’est un peu ce qui m’a fait connaître d’un public plus vaste. »

En 1975, Ogeret participe, avec Francesca Solleville et le groupe Canto General, à Chants d’exil et de lutte, l'enregistrement du spectacle « Quelle heure peut-il être à Valparaiso ? », présenté au Théâtre des Amandiers.

1978 : le coffret Bruant. « C’était une proposition d’un double album qui s’est terminée avec quatre disques. Pendant une année, on a enregistré des Bruant. Romi nous fournissait des nouveaux textes et on s’est retrouvés avec 60 titres. »

L'après-Vogue

En 1984, Marc Ogeret enregistre son dernier disque pour Vogue : la deuxième version du Condamné à mort de Genet. Deux ans plus tard, sur le label Granit, il publie « Berger de paroles ». « C’est un disque que j’aime beaucoup parce qu’il y a de très belles chansons de Gougaud, que je n’avais pas chanté vraiment avant, et de Jacques-Emile Deschamps. Il y a aussi une chanson de Gilbert Hennevic que j’avais envie de chanter depuis longtemps, Monsieur tout le monde, que Michel Valette m'avait fait écouter. J’aime beaucoup ce disque et j’aime bien ce qui a été fait comme orchestrations. J’espère qu’on pourra le sortir en CD parce que c’est un disque qui a été un peu enterré. »

En 1987, Ogeret enregistre « Nous ferons se lever le jour » à l'occasion du cinquantième anniversaire de la mort de Paul Vaillant-Couturier. « C’était une commande des Amis de Paul Vaillant-Couturier. Ils voulaient faire un 45 tours. Je leur ai dit que c’était ridicule. On n'avait que quatre chansons mais on avait plein de poèmes. On a donc fait un 33 tours qui existe toujours. Là aussi, il faudrait le rééditer en CD. Ce disque a été l’occasion de rencontrer Patrice Peyrieras qui est devenu l’orchestrateur des disques suivants. Ensemble, on a fait la Révolution. »

1988. L'approche du Bicentenaire de la Révolution incite de nombreux artistes à enregistrer des disques sur la Révolution française : Francesca Solleville, Catherine Ribeiro, Serge Kerval, Martine Sarri, Jean-Louis Caillat... « Marc Ogeret chante la Révolution, c’était une idée entièrement de moi. J’ai joué le jeu jusqu’au bout. Un jour, j’ai téléphoné à Romi avec qui j’avais déjà fait la Commune et les Chansons contre. Quatre jours après, j’avais un dossier énorme. Il était assez passionné par ça. J’ai fait un tri. J’ai commencé à travailler sur le spectacle. C'était en 1987 et on l’a réalisé début 88. J’ai donc fait le spectacle d'abord, et dans la foulée, on a fait le disque. On a travaillé à Limoges, chez Patrice Peyrieras. Il m’a accompagné dans le disque et dans le spectacle. Ça a été un truc assez formidable. »

14 juillet 1989, le défilé de Goude sur les Champs-Elysées. La fièvre commémorative tombe. C'est alors que Marc Ogeret enregistre la Résistance, « On voyait arriver le cinquantième anniversaire de la dernière guerre et - d’autres que moi l’ont fait - j’ai pensé à un spectacle sur la Résistance. On a monté un très beau spectacle, Témoignage, avec des comédiens et on a fait le disque, aidés par la Fête de l’Humanité qui l’a co-produit avec Erska productions. Or, il se trouve que l’anniversaire de la Résistance n’a pas été un sujet très porteur. Et c’est bizarre parce que c’était un très beau spectacle. Je regrette qu’il n’ait pas mieux marché. Le disque, on sait ce que c’est. Il vivra sa vie, c’est un fond de catalogue maintenant. Mais le spectacle, ça m’a vraiment fait suer parce qu’on a énormément travaillé pour le donner une trentaine de fois. »

Fin 1990 paraît « Ogeret chante Vasca », un compact publié par le Petit Véhicule, « petit » éditeur ambitieux établi à Nantes. Ogeret avait déjà interprété Vasca (Nous n’avons de châteaux), en 1979, sur le disque « En toi ». « Depuis très longtemps, je pensais faire un disque de Vasca, mais je n’avais pas réussi à l’imposer à Vogue. De même, je n’ai jamais pu faire un Ogeret chante Bérimont. J’aurais pu le faire à une époque, mais il n’y a jamais eu moyen. » A la même période, Luc Vidal, des éditions du Petit Véhicule, propose à Vasca de lui enregistrer un disque. Jean refuse, arguant qu’il avait eu bien du mal à récupérer ses premiers enregistrements et qu’il préférait être son propre producteur. Et il suggère de faire enregistrer ses chansons par Ogeret. « Vidal a été enthousiasmé. Et ce qu’on avait eu tant de mal à faire devenait extrêmement facile. On a fait ce disque qui a beaucoup de mal à vivre parce que c’est une petite maison mais enfin, Vidal est très optimiste, et nous aussi. C'est vraiment un très beau disque. On a eu un plaisir énorme à ce qu'il se fasse. »

Un nouveau disque vient de paraître : « Ogeret chante Aragon », second intermède. « On l’a fait avec de jeunes musiciens, un peu folk, et avec des nouveaux titres mis en musique par Marc Robine qui me plaisent énormément. » Réflexion de Marc Ogeret après ce compact édité par EPM : « Maintenant, en studio, je fais des disques avec un peu moins de profondeur et moins de prétention qu’on ne faisait avant. On fait des disques un peu comme on fait des photos. Saisir un instant dans la vie d’un artiste. Ça n’empêche pas de bosser dessus. »

 

Chansons paillardes

Ce coffret de chansons paillardes, on l'a enregistré entre copains. Il y avait des gens comme Jack Lantier, Jacques Serizier, Jacques-Émile Deschamps, Catherine Allégret avec une copine, la graveuse de chez Vogue, une preneuse de son, des filles qui chantaient bien et qui adoraient chanter ce genre de chansons pour se marrer... Ça s’est fait dans une ambiance assez sympathique. On a bien rigolé ! Un jour, dans un cabaret à Lausanne, un gars m’a dit : « Dis donc, Marc, j’ai entendu un disque de chansons paillardes et il y a dessus un gars qui chante, on croirait que c’est toi ! » Alors, je l’ai rassuré !

La Mer

« La Mer », de Rod Mac Kuen, c’est une aventure drôle. Chez Vogue, ils avaient la version originale Warner Bros en distribution et ils avaient l’obligation d’en faire une version française. Ils ont demandé à des gens comme Reggiani, à des comédiens, qui ont exigé une brique... André Clergeat s’est souvenu alors que j’avais fait une émission avec Loleh Bellon sur Baudelaire où j’avais dit des poèmes : « Ogeret peut très bien dire des trucs comme ça. Et en plus, il a l’habitude des musiques puisqu’il faut le faire sur la musique. On a Ogeret et on n’est même pas obligés de le payer, il est sous contrat à la maison, on lui donnera des royalties et puis voilà. » On a fait ce disque et ça a très bien marché. Malheureusement, Warner Bros a retiré la distribution à Vogue, pour la donner à Filipacchi, et on s’est retrouvés dans l’impossibilité d’exploiter cette version française que tout le monde réclamait. Alors, à force de bagarres et de discussions, on a réussi à avoir le droit de la refaire. On l’a refaite, mais malheureusement, la deuxième fois, l'engouement était passé. Quand il y a des modes...

Chansons sur mesure

C’était un concours organisé par des radios de langue française (France, Belgique, Suisse et Canada). C’est Pacific qui m’avait mis sur le coup par le truchement de Jack Diéval. Je suis arrivé un peu en cours de route et j’ai gagné la finale française avec Au fond du lac. Je me suis retrouvé en catastrophe en finale à Bruxelles où je me suis fait aligner par Jean-Pierre Ferland. C’était un peu logique car il avait un métier terrible. Moi, à cette époque-là, je suis passé directement des cabarets rive gauche avec une guitare à un orchestre de soixante musiciens ! J’étais complètement largué, je tremblais... Je ne savais pas comment ça fonctionnait. J’avais répété, bien sûr, mais qu’est-ce que c’est que trois répétitions avec un orchestre quand on n’a jamais joué qu’à la guitare. Heureusement, j’étais assez doué pour chanter en mesure !

Michel Villard

Avec Michel, on s’est connus à la fin de Pacific et au début de chez Vogue. On a travaillé ensemble pendant les vingt ans que je suis resté chez Vogue. Je pense, maintenant avec le recul, que ça aurait été bien que je puisse changer d’orchestrateur. Mais on avait une complicité, une qualité, que j’aurais peut-être perdu avec quelqu’un d’autre. Maintenant, depuis que je ne suis plus chez Vogue, presque à chaque disque, je change d’orchestrateurs et de musiciens, et, même si ça fait des choses parfois moins performantes, c’est intéressant d’avoir des couleurs et des conceptions différentes. Mais j’ai un grand amour pour Michel Villard !

Vogue-BMG

Vogue a fait faillite et a été racheté par M. Detry qui a décidé de continuer à distribuer les disques du fond de catalogue mais n’a plus voulu faire de production. Donc, je suis sorti de chez Vogue en douceur et j’ai fait des disques ailleurs. Et maintenant, au bout de dix ans, Vogue vient d’être racheté - pas pour raison de faillite - par le groupe allemand BMG. Donc, mes disques sont chez BMG. Peut-être qu’ils vont avoir une politique plus dynamique mais je n’en sais rien. Le rachat de Vogue par BMG est un fait nouveau. J’ai pris contact avec eux. Pour le moment, il y a une espèce de cellule Vogue et, commercialement, ça fonctionne très bien. Maintenant, je ne sais pas ce que vont devenir les disques vinyl qui restent. Je crois qu’ils vont tout solder. En CD, pour l’instant, il y a Chansons contre et Aragon, c’est tout, mais il y a plein de CD potentiels qu’il serait intéressant de sortir : Le condamné à mort, un double Bruant, tous les Deschamps... Tout ça, ce sont des enregistrements qui ont bientôt près de vingt ans. Alors, s’ils ne font rien, je les referai ailleurs...

« Le secret instinctif de ma manière de chanter »

Instinctivement, j'ai toujours chanté les chansons historiques, politiques, de la même manière qu'une chanson d'amour. Bien sûr, je ne chante pas tout pareil, mais un poème de Villon, je vais le chanter comme s'il avait été écrit hier. C'est peut-être le secret instinctif de ma manière de chanter. Ce que je crois être la mauvaise manière, c'est de vouloir absolument replacer une chanson dans son contexte. Ce n'est pas trahir : c'est l'inverse d'une trahison. Replacer les textes dans leur contexte, c'est intéressant quand on fait un travail d'historien – là, la chanson ne t'intéresse pas. Mais quand on chante une chanson, on ne doit pas tenir compte de l'époque de sa création.

Si je chante La Semaine sanglante, je ne pense pas à la Commune, au moment où je chante. Je pense aux mecs qui sont dans une manif, dans la rue. Je la chante comme si c'était la manif de Charonne. Autrement, si tu chantes historiquement, tu fais un exposé, tu fais un cours. J'ai toujours expliqué que, malgré les textes que je chantais, je ne faisais ni un cours d'histoire, ni un discours politique, ni un cours de français. Je fais un tour de chant. C'est clair. Je suis un chanteur, et, à côté, je peux faire du syndicalisme, je peux avoir des opinions politiques, je peux être un citoyen. Je fais ce que je veux. Mais au moment où je chante, je chante, c'est tout.

Propos recueillis par Raoul Bellaïche,

le 28 novembre 1992 à Paris

Lire aussi :

Article du jour
bottom of page