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Entretien avec Marc Ogeret (1992)

Portrait par Colette Fillon

En 1993, Marc Ogeret faisait la couverture du n° 10 de JE CHANTE. Il était interviewé par Jacques Roussel, animateur à Radio Aligre. Ce numéro étant épuisé, nous publions l'intégralité de cet entretien, au moment où apprenons la disparition, le 4 juin 2018, de ce grand interprète la chanson française qu'était Marc Ogeret.

Une partie de sa discographie est aujourd'hui réédité par Sony et EPM.

 

JE CHANTE.- Marc, est-ce que tu peux me dire comment t’est venue la vocation de chanteur ?

MARC OGERET.- A la suite d’un échec commercial dans le théâtre : une jeune compagnie qui fait faillite. J’avais une guitare, un autre copain avait une mandoline, alors on s’est mis aux terrasses des cafés et on a chanté. Voilà comment c’est venu.

Tu est né à Paris entre Montparnasse et Saint-Germain. Tu étais déjà de cette rive avant de devenir un chanteur rive-gauche.

Oui, mais je ne pensais pas que le fait d’être né rue de l’Abbé Grégoire me conduirait à chanter la Révolution cinquante ans après !

Comment t’est venue l’envie de chanter ? Tes débuts dans la chanson, c’était quand et qui t’a mis le pied à l’étrier ?

Après cette période de manche, où j’ai sévi sur la Côte d’Azur et dans la région parisienne, j’ai fait la rencontre d’un poète, Marc Alyn, et de Roger Piault. Piault était secrétaire général des éditions Seghers et il a, ensuite, dirigé une collection de disques. Il m’a donné une chanson de Seghers à déchiffrer et m’a engagé.

Et ton aventure chez Pierre Prévert, à La Fontaine des Quatre Saisons ?

Alors ça, c’était la fin de la manche. C’était aussi un pied à l’étrier. Quand on fait la manche, on rencontre des gens qui vous disent : « Ah mais c’est bien ce que vous faites ! Vous devriez chanter à l’Olympia, vous devriez être à l’Opéra ! » Et là, j’ai rencontré un gars qui me dit : « Ecoutez, je n’y connais pas grand chose, mais je trouve que c’est bien ce que vous faites. Allez voir mon ami Pierre Prévert à Paris. » Je suis allé voir Pierre Prévert qui dirigeait La Fontaine des Quatre Saisons et il m’a engagé le soir même, ou presque, puisque j’ai commencé deux jours après. C’était mon premier cabaret.

La manche, c’est quand même dur, mais c’est aussi une bonne école. Comme les cabarets. Plus peut-être que certaines écoles de la chanson de nos jours ?

La manche, ça aguerrit et ce n’est pas une mauvaise école. D’abord on chante peu de chansons à la fois, et c’est une autre manière d’aborder le problème. Ce n’est pas vraiment dur parce qu’il y a une absence totale de responsabilité. On chante pour des gens qui, en principe, s’en foutent. Alors si on arrive à les accrocher, c’est bien, mais si on ne les accroche pas, ce n’est pas grave. On fait la quête et puis on s’en va avec son pognon. Tandis que quand on monte sur une scène, c’est pas du tout pareil ! Les gens sont venus pour ça. Moi, je fais une très grande différence entre la manche et le spectacle. Mais pour répondre à ta question, les écoles ont un intérêt technique, on y apprend une technique. Ce n’est pas du tout la même chose. Moi, au début, j’ai souffert d’arriver sur des plateaux de télé et dans des studios sans rien connaître, sans savoir ce qu’était un micro, une caméra, ni comment on se tient devant ces outils. Il y a une grande partie technique qu’on apprend dans les écoles. Mais ce qu’elles ne nous apprennent pas, c’est le fond des choses. Elles ne nous apprennent pas à chanter, elles nous apprennent une technique de chant, une technique de spectacle, de rapport avec les gens. J’espérais beaucoup des écoles. Je connais le Studio des Variétés, j’ai connu aussi l’Ecole des Amandiers, mais je ne suis pas sûr que les méthodes empiriques comme la manche ne soient pas les meilleures.

 

Marc Ogeret chante "Passe-moi ma guitare", une chanson de Michel Bazire (1972).

 

Tu as obtenu de nombreux prix dont plusieurs de l’Académie Charles-Cros. Quel est celui qui t’a fait le plus plaisir et quelles en ont été les retombées concernant ta carrière ?

C’est vrai que j’ai eu pas mal de prix au cours de cette carrière. C’était intéressant quand même parce que ça permettait d’avoir les disques chez les disquaires et dans les bacs. C’est le seul intérêt pratique que j’ai vu à ces prix, parce que les Charles-Cros, c’était toujours un peu noyé dans la multitude, mais enfin, c’était toujours un avantage sur les copains. Avec un prix Charles-Cros, les disquaires sortaient le disque ! Donc c’est une bonne chose. Celui qui m’a fait le plus plaisir, ce n’est peut-être pas le plus important que j’ai eu, et ce n’était pas dans les premiers. C’est un prix que j’ai eu pour mon double album Aragon par l’Académie du Disque Français. Dalida l’avait obtenu, aussi. C'est Louis Amade, qui vient de nous quitter, qui m’avait remis ce prix, et c'est ce qui m’a fait beaucoup de plaisir.

Les tournées en France et à l’étranger, ça doit être excitant. On doit se créer des liens d’amitié même si les conditions techniques ne sont pas toujours merveilleuses.

Les conditions techniques... Moi, au début, j’ai beaucoup tourné avec ma sono, parce que c’était épouvantable ce qui nous arrivait. Dès qu’on sortait de Paris, c’était un peu la catastrophe. Les sonos Bouyer, que beaucoup ont connues, c’était vraiment terrible. Moi, je m’étais donc équipé, avec mes faibles moyens, et j’ai tourné comme ça pas mal de temps jusqu’à ce qu’un matériel d’une relative qualité arrive sur le terrain. Maintenant, où qu’on aille, on a de quoi chanter, on a de quoi travailler.

Brassens t’a pris en première partie d’un de ses spectacles à Bobino ? Si tu nous parlais un peu de Georges et de cette expérience avec lui sur scène.

L’expérience avec lui sur scène, ce n’est pas à Bobino que je l’ai eue. J’ai fait Bobino parce que j’avais eu une expérience intéressante avec lui sur scène au cours des jam-sessions qu’organisait Luc Bérimont à la Maison de la Radio. En fin de parcours, Bérimont avait réussi à organiser ces jam-sessions à la Maison de la Radio avec des gens de l’équipe de base dont je faisais partie et en invitant des gens de très grande notoriété comme Brassens. Je l’ai faite aussi avec Gainsbourg et Béart. Chaque fois, il invitait une vedette de l’époque. Je connaissais déjà Brassens parce que je l’avais rencontré chez lui quand il avait signé son bouquin. J’avais été le voir avec Roger Piault, on trimbalait les bouquins. Donc il me connaissait déjà et il m’avait dit : « Viens donc à côté de moi et dis-moi ce que je dois faire, parce que je n’y connais rien, à cette histoire de jam-sessions. » J’avais trouvé génial que Brassens me dise « Dis-moi ce que je dois faire » ! Ça n’a pas duré longtemps, d’ailleurs, parce qu’il a très vite compris. Ce n’était pas compliqué, il fallait sentir les choses, et il les a senties très vite et il a foncé. Mais c’est vrai que les deux ou trois premières interventions, c’est moi qui les lui ai soufflées.

C’est le jour où il t’a demandé de le prendre par la main ?

Oui, c’est ça ! Donc, c’est à cause de ça qu’il avait demandé à ce que je participe à son spectacle de Bobino. A cette occasion, il m’a raconté une très belle histoire. Lorsque je l’ai remercié, il m’a répondu : « Oh, Marc, tu sais, c’est vrai, j’ai demandé pour toi. Mais j’ai demandé aussi pour un très bon copain à moi, eh bien, ils n’ont pris que toi ! » Il n’avait pas réussi à imposer son copain, Roger Riffard. C’est dire les limites qu’ont les vedettes pour faire quelque chose pour leur entourage et leurs amis. Ce n’est pas toujours simple.

En 1967, tu avais monté un spectacle Aragon aux Trois-Baudets. C’était ton premier récital ?

Oui, un demi, puisqu’il y avait une première partie avec Francis Livon, Josette Berguen et quelqu’un d’autre... je ne me souviens plus. C’était Livon qui avait organisé ce truc-là et qui m’avait demandé d’assurer la deuxième partie.

Comment s’est passée ta rencontre avec Aragon et Ferré ? Et ne trouves-tu pas étrange cette amitié entre un communiste et un anar ?

Ferré, je l’ai connu plus tard, à l’occasion d’émissions de télé ou de choses comme ça. Il me connaissait, il savait qui j’étais, et moi, bien sûr, je le connaissais et je l’aimais beaucoup. Ferré et Aragon, je ne les ai jamais rencontrés ensemble. Pour répondre à ta question, je te dirais qu'avant d’être communiste, Aragon est poète. Pareil pour Léo qui est poète avant d’être anar. Donc, ces gens-là se rencontrent parce qu’ils sont poètes. Ils peuvent à la limite se disputer, se haïr, se battre et s’adorer quand même. Ça ne pose aucun problème, pour moi.

Pour toi, le texte est primordial. Comment choisis-tu tes chansons et tes paroliers ?

Alors ça, c’est l’éternelle histoire, ce sont des rencontres, des coups de foudre, une succession de coups de foudre. Je choisis des textes, bien sûr, mais je choisis les musiques avec autant de rigueur. J’ai refusé de très beaux textes de très grands poètes parce que les musiques ne me convenaient pas. Il ne faut pas dire : le texte d’abord, et puis la musique elle est là pour... non ! C’est ce genre de raisonnement qui a foutu la rive gauche en l’air.

Toi qui chantes les poètes, tu n’as jamais eu envie d’écrire et de t’interpréter toi-même ?

J’ai un peu essayé au début, mais comme j’étais attiré par les grands textes, les grands poètes, c’était très difficile. Je me confrontais à beaucoup plus fort que moi. Je n’ai pas eu la persévérance, je me suis dis que je faisais de la merde, et il y avait tellement de choses que j’avais envie de chanter, qui m’intéressaient, que je n’ai pas eu la discipline de m’obliger à continuer à écrire, donc ça ne s’est pas fait.

Mais tu as écrit, toi, des textes ?

Oui, quelques textes. Je ne m’en rappelle même plus. J’avais aussi le même problème avec la musique. Non, les textes et même les musiques, j’ai complètement oublié. J’avais fait une chanson avec Marc Alyn, un truc avec Seghers, avec Bérimont, mais pour moi, ce n’était pas bon. C’était aussi nul que ce que je reprochais à un certain nombre de mes petits copains. Mais peut-être qu’il aurait fallu continuer, certains l’ont fait et ont bien fait de continuer à écrire. Je n’ai pas de regrets parce que j’ai fait pas mal de choses, pas mal de disques et interprété pas mal de gens et il y a encore plein de choses que j’ai envie de faire, et je sens bien que je n’arriverai pas à les faire toutes.

Un jour, si tu arrêtes de chanter, peut-être que tu vas écrire des textes, ou alors un livre ?

Non, je n’éprouve pas suffisamment le besoin d’écrire pour le faire. En fait, on n’écrit pas pour toucher des droits d’auteur en plus des royalties. Pour moi, ce n’est pas une motivation suffisante. Quand on écrit, c’est qu’on ne peut pas faire autrement. Or, il se trouve que, moi, je peux faire autrement, je n’ai pas ce besoin absolu d’écriture.

Non seulement tu as chanté des poètes ou auteurs connus, mais tu as également contribué à faire connaître des auteurs comme Jacques-Emile Deschamps. Ses chansons, que tu interprètes, sont aussi une réussite, non ?

J’ai rencontré Deschamps chez Vogue. Il m’a plu comme chanteur, comme poète, parce que c’est un poète, et il m’a proposé des chansons, c’était fabuleux. J’ai tout de suite couru !

Combien de spectacles différents as-tu montés et interprétés ? Tu es un des rares interprètes à en avoir tant fait. Un jour Aragon, un jour Bruant, un jour Vasca, un jour la Commune et la Révolution, un jour Jacques-Emile Deschamps, et j’en passe...! N’est-ce pas difficile de changer tout le temps ? Il faut avoir un répertoire énorme, une mémoire phénoménale.

Oui, mais c’est difficile pour tout le monde. Quelqu’un qui fait du théâtre et qui doit travailler en alternance au Français, par exemple, a aussi beaucoup de textes. En fait, la mémoire, c’est un peu comme l’orthographe à l’école quand on nous disait que c’était la science des ânes. La mémoire, ce n’est pas le plus important dans notre métier. C’est bien d’en avoir, mais ça rejoint ce qu’on disait tout à l’heure, c’est une technique. Mais plus tu apprends de textes, plus ta mémoire est bonne. Ce qui est embêtant, c’est quand on s’arrête parce qu’on a - heureusement, d’ailleurs - la faculté d’oublier. Si tu me demandes une chanson, il faut que je la répète, je ne la sais plus.

Et combien de spectacles ?

Tu l’as dit tout à l’heure, il y a eu de multiples tours de chant, et dans les spectacles à thème, il y a eu la Commune, la Révolution, la Résistance, il y a eu Bruant, il y a eu les chansons de 1789 à je ne sais plus quand... Tu vois, au moins une dizaine de thèmes différents.

Et parmi tous ces spectacles, est-ce qu’il y en a un que tu préfères personnellement ?

Je serais tenté de te répondre que ce que je préfère, c'est un tour de chant qui serait un patchwork de tout ça. Ce serait d’arriver à monter toutes ces chansons. D’ailleurs, je le fais assez souvent. Ça arrive que des gens me disent : « Tu nous chantes ce que tu veux. » Alors, j’essaie de mélanger toutes ces chansons et de faire voir que ces chansons, qui ont été écrites il y a très longtemps, se chantent de la même manière que la dernière écrite par Deschamps. Je chante Villon, Bruant et tout ça comme si c'était immédiat et actuel.

Marc Ogeret chante "Le condamné à mort" de Jean Genet, musique d'Hélène Martin.

Tu es parti en 1974 en URSS, est-ce que cela a été une des meilleures tournées que tu aies faite ? Quelles impressions gardes-tu ?

A l’étranger, ça a été l’une des plus longues, en tout cas : cinq semaines. Et on est allés dans je ne sais plus combien de Républiques. Quand j’entends parler de tout ça actuellement, le Tadjikistan, Douchanbe... A cette époque, c’était rare et ce n’était pas très connu. Je me suis retrouvé au Lac Baïkal et à Irkoutsk. De ce point de vue-là, ça a été extraordinaire. La tournée s’est bien passée. Au début, on croyait que ça allait être une catastrophe et puis ça s’est mis à fonctionner formidablement, on a vécu sur un petit nuage parce qu’on faisait des salles qui variaient entre neuf cents et trois mille personnes. Neuf cents, c’est quand on allait dans les cités de savants qui avaient leur salle de spectacles. Ils n’avaient pas le temps de se déranger, alors ils faisaient venir les spectacles; c’était un peu fou, cette ambiance. Au bout de huit jours, on s’était adaptés au système de tournée et de spectacle, mais c’était assez dur. Tous les trois jours on changeait de ville, on prenait l’avion. On a eu un succès de curiosité et d’estime. De curiosité au départ, et puis on les accrochait. Il y en avait dix pour cent qui sortaient, carrément. Ils étaient juste venus pour voir le chanteur français, et les autres restaient parce que ça leur plaisait bien.

Les musiciens qui t’accompagnent sur scène sont tous de Limoges ?

J’avais des musiciens parisiens mais ils avaient de plus en plus tendance à se faire remplacer. C’est l’histoire du concierge avec le grand orchestre, et puis un jour tu te retrouves avec un orchestre de concierges et il n’y a plus une note qui sort. Alors, je n’ai pas attendu d’en être là, mais j’avais des problèmes. A ce moment-là, je passais aux Capucines, et Deschamps qui avait assuré ma première partie m’avait dit : « Ça ne peut pas durer, il faut que tu fasses quelque chose. Je vais te présenter des copains qui s’emmerdent à faire du balloche à Limoges. Ce sont des musiciens de jazz, ils vont travailler avec toi, ça va leur faire du bien, et à toi encore plus. Tu as besoin de ce genre de choses. » Et voilà comment je me suis attelé avec cette équipe. Maintenant avec les synthés, les pianos électriques et tout ça, on utilise de moins en moins de musiciens et on peut de moins en moins le faire parce que les moyens diminuent. Et je me retrouve avec Patrick Giraud qui est un fidèle de cette époque, qui continue de m’accompagner et qui habite toujours le centre de la France.

Il y a combien de temps que tu n’as plus joué de la guitare ?

Oh là là ! Il y a au moins vingt ans que je n’ai pas joué de la guitare.

Tu avais commencé en t’accompagnant ?

J’avais commencé en m’accompagnant et j’étais le plus mauvais guitariste de la rive gauche.

Venons-en à ta discographie : le nombre des disques de Marc Ogeret chez Vogue, c’est quelque chose d’énorme ! Combien de disques as-tu enregistrés dans cette maison, et est-ce que ça a été ta première maison de disques ?

Non, ma toute première maison de Disques, c’est Studio SM. Et avant, j’avais enregistré pour La Guilde Européenne du Microsillon. Il y a des disques qui se sont vendus dans la nature comme ça. C’était une maison qui était en dehors des maisons de disques normales. Ensuite, j’ai fait des disques Villon, Marc Alyn et Max-Pol Fouchet chez SM. Puis je me suis retrouvé chez Pacific. C’est là où Roger Piault, en dehors de ses fonctions chez Seghers, avait pris la direction d’une collection qui s’appelait Chansons d’Orphée. Il y avait Michel Aubert, Béatrice Arnac, Laura Betti et Marc Ogeret, et les quatre disques ont eu le prix Charles-Cros. A cette époque, on faisait des super 45 tours, avec quatre titres. Pacific a été racheté quelques années après par Vogue, et on a tous été virés. Je suis rentré chez Vogue en même temps que Béatrice Arnac, et j’y suis resté vingt ans. Là, j’ai fait vingt ou plus 30 cm. Après ça se découpe, c’est très compliqué.

Marc Ogeret chante "Merde à Vauban" de Pierre Seghers, musique de Léo Ferré.

Comme beaucoup d’autres artistes aujourd’hui, tu es dans l’auto-production. Comment vis-tu cela ?

Je ne suis pas tout à fait dans l’auto-production. J’ai trouvé des petits producteurs mais moi, je ne me suis jamais vraiment produit. Il y a Le Petit Véhicule, Granit qui sont des petits labels qui travaillent un peu en copains mais qui font un très bon boulot. Faire des disques, c’est pas trop trop difficile, mais ce qui est difficile, c’est de les distribuer.

En 1970, tu as fait une brève apparition au cinéma dans un film de René Gilson, L'Escadron Volapuk. Pourquoi cette escapade, sans lendemain, dans le cinéma ?

Comme ça. C’était amusant. Moi, ça me plaisait de faire ce truc avec Gilson. Ça n’a pas eu de suite parce que, d’abord, lui n’a pas beaucoup continué. Il a fait un ou deux autres films. Il a voulu me refaire travailler une fois mais j’étais en tournée au moment du tournage. Ensuite, je n’ai pas beaucoup cherché, pourtant ça m’aurait bien plu, j’aurais bien aimé faire un peu de cinéma. Enfin, ça ne s’est pas trouvé, je n’ai pas eu les accroches.

Qu’est-ce que c’était que ce film ?

C’était un film contre l’armée, bien sûr !

Et à la télévision, est-ce qu’on a fait souvent appel à toi ?

Oui, à une époque, raisonnablement. Et maintenant, on ne fait pas appel à moi... déraisonnablement.

Et le théâtre ne t’a jamais tenté ?

Non, pas trop. J’ai travaillé dans des montages, dans des sketches, des trucs comme ça. Mais quand on se retrouve embarqué comme je l’ai été dans la chanson, c’est fini. Le théâtre, non, mais le cinéma, ça aurait été plus facile.

Tu es quelqu’un qui a fait une carrière quelque peu différente de celles d’autres artistes, en marge du star-system, et tu t’es toujours maintenu, malgré tout.

Ben oui, mais je ne sais pas pourquoi exactement. Je suis en marge parce que j’ai refusé de jouer le jeu du star-system tout en en étant proche, puisque chez Vogue, j’étais dans une boîte qui pratiquait tout à fait ce genre de discipline. En fait, moi, j’ai fait toute ma vie ce que j’avais envie de faire. Je fais ce qui me plaît, donc ça ne met pas forcément au premier plan, ça. Mais si tu gères bien ton plaisir, ça va !

Tu es aussi un des rares interprètes à chanter les autres, alors qu’aujourd’hui des artistes interprètent leurs propres chansons avec plus ou moins de talent. Comment se fait-il que ça ne soit plus pareil et qu’il n’y ait pratiquement plus d’interprètes ? Avant, il y avait même des auteurs-compositeurs qui ne chantaient pas mais qui écrivaient parfois sur commande pour les autres.

D’abord, il y a les auteurs-compositeurs qui se forcent à chanter. C’est comme si moi je me forçais à écrire... Alors c’est pour ça qu’il y a plus ou moins de bonheur. Ce n’est pas parce que tu écris bien des chansons que tu les chantes bien. Maintenant, ce que tu dis, ça existe toujours. Je te signale qu’il y a plein de nos grandes stars du showbiz, en particulier, qui sont alimentées en chansons et tout le monde s’imagine que c’est eux qui écrivent les chansons, mais ce n’est pas vrai. Si on regarde bien, ils ont leur nom au milieu de trois ou quatre autres. Une fois de temps en temps, il y a des gens qui sortent, et c’est là qu’on s’aperçoit qu’ils ont écrit pour Johnny ou pour Tartempion. Ces gens-là sont bien des tâcherons de la chanson. Et puis il y en a qui se mettent à chanter, parfois, comme par exemple Barbelivien... Et il y en a d'autres, comme Serge Gainsbourg qui écrivait aussi beaucoup pour les autres...

Que penses-tu de la chanson française d’aujourd’hui ? Au niveau de la qualité ? Est-ce qu’elle n’est pas un peu malade, par la faute de ce star-system ?

C’est sûr qu’elle est malade à cause de ça. Il y a un nivellement par la bas à cause du Top 50 avec toutes ses combines et ses systèmes qui font que c’est toujours le plus neutre qui subsiste. Dès que ça déborde d’un côté ou d’un autre, on élimine et on finit par ne vendre et par ne trouver sur le marché que le truc moyen qui ne va déranger personne et qui ne peut pas, par la force des choses, être d’une immense qualité. C’est une technique de bien faire un truc comme ça. Et même eux ne savent pas, personne ne sait comment on fait un tube, qu’on ait du talent ou qu’on n’en ait pas. Mais pour ce qui est de la chanson par elle-même, je pense qu’il y a plein de gens qui écrivent de très belles chansons, encore, et qu’il y en aura toujours parce que la chanson c’est comme la poésie : elle est plus ou moins en vue, plus ou moins à l’affiche, au premier rang, mais elle existe toujours et à un moment ou un autre, elle ressort.

Il y a dans ton entourage quelqu’un qui compte beaucoup pour toi, puisque cette personne suit de très près Marc Ogeret. On la voit notamment après tous tes spectacles en train de s’occuper de la vente de tes disques. Elle est aussi dans la régie, elle est un peu ton agent, ton pense-bête, tout en étant ta compagne. Tu peux nous en parler ?

D’abord, elle n’est pas tout à fait mon agent. Elle est plus régisseur qu’agent. C’est l’amour de ma vie, c’est ma femme, et puis voilà ! Je ne vais pas te raconter ma vie !

Marc Ogeret chante "La Canaille" d'Alexis Bouvier et Joseph Darcier.

Parlons politique. Est-ce que tu es quelqu’un d’engagé qui se bat pour des idées ? Et que penses-tu de ce qui ce passe de nos jours sur cette terre, est-ce que ce n’est pas un monde terrible, fou ?

Cet engagement et cette politique dont tu parles, je les « pratique » plus en utilisant les textes de mes chansons qu’autrement. Je n’ai jamais été un militant politique. J’ai plus été un militant syndical, je me suis plus occupé de syndicalisme. Je n’ai jamais été membre d’un parti.

Beaucoup se sont imaginés que tu étais membre du PC, à cause peut-être d’une certaine fête à laquelle tu participes.

Oui, bien sûr, les communistes sont mes amis et j’en ai beaucoup au parti. Je suis très souvent d’accord avec eux et je suis donc un de leurs compagnons. Mais je ne suis pas militant, j’ai du mal à avoir une carte ou un truc comme ça... J’ai déjà du mal à avoir une carte de syndicaliste, mais là, j’ai bien été obligé.

Tu as un côté anar !

Oui, et il y en a beaucoup qui le savent, parmi mes amis communistes.

Tu as chanté aussi bien la Commune que la Révolution, mais ne crois-tu pas qu’on a fait la part un peu trop belle à cette Révolution, alors que la Commune est quelque peu restée dans l’ombre ?

Ça, ce n’est pas le problème des chanteurs. C’est plus un problème scolaire. A l’école, à l’université, partout, qu’est-ce qu’on raconte sur la Commune ? Déjà on ne dit pas grand-chose, et on dit de travers la Révolution. On ne parle pas de la Commune, mais on parle très mal de certains volets de la Révolution. Il faudrait poser ce problème aux dirigeants. J’ai chanté la Commune dans des écoles, comme ensuite la Révolution, et un jour, après un récital sur la Commune de Paris, il y a des gosses qui sont venus me voir en disant : « Pourquoi est-ce que vous avez chanté Le Temps des cerises au milieu d’un tour de chant sur la Commune ? » Je leur ai répondu : « Alors là, mes enfants, il faut que vous alliez voir votre professeur d’histoire pour lui demander des explications. » C’est dire à quel point les gens ne font pas toujours bien leur travail. Parfois, c’est parce qu’ils ne peuvent pas le faire. Et sur la Révolution, il y a beaucoup à faire... Moi, mes tours de chant sont orientés en fonction de ce que je pense.

Quel est ton meilleur souvenir dans la chanson ?

Je n’ai pas un meilleur souvenir, mais des multitudes de bons souvenirs. C’est réduire les choses que de chercher son meilleur souvenir. Le meilleur moment, c’est une minute après être rentré en scène.

Marc Ogeret chante "Fraternité", poème d'André Salmon mis en musique par Charles Aznavour.

Il y a des gens qui t’ont aidé dans ta carrière ? Tu as rencontré des gens intéressants ?

Des gens intéressants, oui, j’en ai rencontrés beaucoup et beaucoup m’ont aidé. Mais pas comme on l’entend, pas comme Johnny Starck aidant Mireille Mathieu. Il y a des tas de gens qui m’ont aidé pas leurs conseils ou en me mettant en rapport avec l’un ou l’autre. Je te parlais tout à l’heure de ce monsieur que j’ai rencontré à une terrasse de restaurant et qui m’a envoyé, par l’intermédiaire d’une amie, voir Pierre Prévert. C’est quelqu’un qui m’a beaucoup aidé, en fait, parce que ça a cristalisé des choses. C’est ma rencontre avec Marc Alyn, qui m’a amené à Piault qui s’est mis à faire une collection de disques et qui m’a fait rentrer dans ce métier. Il y a tous ces patrons de cabarets qui nous ont accueillis à cette époque, quand on arrivait avec une guitare : Michel Valette, Bernadette, Arlette Reiner, de la Contrescarpe, Georges, rue des Canettes... Tous ces gens-là m’ont aidé, tous ceux avec qui je travaille m’aident.

Je voudrais dire quelque chose. Sous prétexte que ça te fait de la pub, il y a des gens qui refusent de te payer quand tu passes à la télévision. Pareil pour un spectacle : ça te fait connaître, donc tu vas vendre des disques. Et la personne qui te fait faire un disque te dit : je ne te paye pas mais ça va te permettre d'avoir des spectacles... Et ça se mord la queue, et tu ne gagnes jamais plus ta vie et tu travailles en amateur.

Tu as beaucoup d’amis dans ce métier ?

Je pense que j’ai beaucoup plus d’amis que je n’ai d’ennemis, en tout cas. J’ai des relations, des copains des plus variés...

Zoé, c’est une chanson, mais qui est Zoé ?

Zoé, c’est notre fille, à Anita et moi. Elle était la grande copine de Deschamps qui l’a connue à la maison. Un jour il lui a commencé une chanson et il ne l’a finie que vingt ans après. Je m’en suis emparée et je l’ai enregistrée (Chanson pour Zoé, en 1981).

En dehors de la chanson, qu’est-ce que tu aimes dans la vie ? Quels sont tes goûts, tes envies, tes passions ?

Plein de choses. J’aime faire du bateau à voile. C’est peut-être ma grande passion. Le seul regret de ma vie, c’est de ne pas avoir fait de croisières. J’ai une maison à la campagne qui m’a un peu retiré du bord de mer parce qu’avant, j’allais passer toutes mes vacances au bord de la mer, dans des villages de vacances, pour faire du bateau. A part ça, j’aime lire. A la campagne, je lis, je me promène dans la forêt, je rêve, je travaille. J’aime faire du tennis aussi, faire du sport. De toute façon, il faut que j’ai des activités physiques, sinon, je m’endors.

Quelles sont les qualités que tu te connais et les défauts que tu te reconnais ?

Les qualités, je ne sais pas, mais pour les défauts, je suis flemmard, j’aime bien «bader», comme ils disent dans le midi. J’aime bien perdre du temps, flemmarder, je crois que c’est ça mon principal défaut.

Peut-être que si on avait demandé ça à Anita, elle aurait dit plus de choses que toi !

Oh oui, sûrement ! On va lui demander. Anita, viens parler de mes défauts !

Anita : Je pense qu’il est d’une certaine mauvaise foi. Mais pour ce qui est des qualités, c’est un homme de cœur, qui a horreur de la vulgarité, qui est d’une grande sensibilité. C’est un humaniste. C’est quelqu’un de bien, voilà.

Si tu n’avais pas été chanteur, qu’aurais-tu aimé faire dans la vie ?

Alors là, je n’ai aucune idée ! Ah si, depuis que j’ai lu le livre d’Attali sur les Warburg, j’aurais voulu faire de la haute banque. J’ai trouvé que c’était très poétique, finalement... Enfin, la manière dont il en parle, là. Il y a une espèce de folie complète !

Et si c’était à refaire ?

« Je referai ce chemin ».

Tu n’as aucun regret, aujourd’hui ?

Non, je ne crois pas ? Tu sais, je suis un peu comme Edith Piaf, ces chanteurs qui viennent de la rue... « Non, rien de rien, non, je ne regrette rien »...

Tu es satisfait de la carrière que tu as faite jusqu’à maintenant ?

Oui... Moi, tu sais, je me satisfais des choses relativement facilement. On peut toujours faire beaucoup mieux. J’aurais dû être plus ambitieux, j’aurais dû être plus travailleur, mais ce ne sont pas des regrets. J’essaie de vivre ma vie, et j’ai tout de même réussi ce que je voulais faire dans la mesure où mon but n’étais pas de devenir une star mais de passer ma vie en chantant, parce que, quand même, je chante depuis 1955. Normalement je devais aller dans des directions tout à fait différentes mais je me suis taillé tout le temps pour faire ce que je voulais faire.

Tu aurais pensé un jour en arriver là ?

Est-ce que tu pensais que j’en arriverai là, quand on s’est connus ? Moi, je n’en savais rien du tout. C’était des pulsions.

Marc Ogeret chante "La grille (325 000 francs)", un texte Jean-Max Brua, mis en musique

par Jean-François Gaël, inspiré du roman de Roger Vailland.

Quels sont, à ce jour, tes projets côté scène et côté disques ?

Côté scène, il y a toute une série de récitals qui vont avoir lieu dans le Nord, autour du dixième anniversaire de la mort d’Aragon. On m’a demandé pas mal de récitals sur Aragon et quelques autres tours de chant. Ensuite, EPM m’a demandé d'enregistrer un compact de chansons d'Aragon pour compléter un coffret que je partage avec Hélène Martin et Monique Morelli. Ce disque sort à la fin du mois de novembre. Je l’ai fait avec de nouvelles chansons.

Ce disque sera mieux distribué que les précédents CD ?

C’est Musidisc qui distribue EPM, je crois. On va voir si ça marche mieux que nos productions indépendantes avec les copains qui nous ont causé bien des soucis mais dont la réalisation était nécessaire.

Propos recueillis par Jacques Roussel

à Paris, le 14 octobre 1992.

Paru dans JE CHANTE n° 10 (épuisé)

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