Spécialiste de Boris Vian de longue date, on lui doit la conception du coffret « Vian et ses interprètes », paru chez Polygram en 1991. A la fin de l'année dernière, il récidivait avec un deuxième coffret, « Prévert et ses interprètes ». Deux compilations-anthologies extrêmement soignées, d'un concept nouveau (voir les livrets qui mêlent érudition, humour et générosité). Georges Unglik, qui ne renie pas le terme de « compilateur », se considère comme un « amateur »... à qui on a donné carte blanche. Et il explique. Quels sont les problèmes rencontrés pour la recherche des chansons ? Comment retrouver les héritiers des artistes disparus ? Les éditeurs donnent-ils facilement les autorisations nécessaires ? Les maisons de disques possèdent-elles toujours les masters... et les contrats ? Enquêtes, coups de fil, mise à contribution des relations, astuces : le « compilateur » se mue en détective ou en avocat... Unglik répond à toutes ces questions et à d'autres. Bref, tout ce que vous avez voulu savoir sur les compilations sans avoir jamais osé le demander...
« Si on veut travailler dans la passion, il faut virer les professionnels
et mettre les amateurs au boulot ! »
GEORGES UNGLIK.- A deux ou trois reprises, durant les années 70, j’étais intervenu auprès de certaines gens de chez Philips pour qu’ils rééditent l’œuvre de Boris Vian par ses interprètes, puisqu’une grande partie de ce répertoire appartient à leur groupe. C’était toujours la même réponse : « Ça n’est pas commercial, ça n’intéresse personne. » Il y a deux ans, je suis tombé sur le CD Vian dans la collection Expression. Cette collection étant signée Bob Boutringain – que je ne connaissais pas –, je lui ai téléphoné et je lui ai dit : « Vous pourriez faire quelque chose de plus intéressant sur Vian, vous devriez vous orienter totalement sur l’auteur. » Très aimablement, il m’a demandé de lui adresser un concept détaillé et un projet écrit. Ce que j’ai fait. Dans ma lettre, je lui parlais également de deux ou trois autres projets – dont Prévert – d’interprètes chantant un même auteur. C’était en mai 1990. Je devais le rappeler quinze jours après. Je ne l’ai pas fait. Exactement un an plus tard, c’est lui qui m’a rappelé. On a pris rendez-vous pour le lendemain avec Matthieu Lauriot-Prévost, le directeur de Polygram Distribution. Et on s’est mis au travail tout de suite.
Dans le coffret sur Vian, il y a, relativement, des manques importants : Salvador, par exemple.
Parmi les contraintes fixées, nous étions limités à 6 CD. Ce qui excluait de réaliser une Intégrale qui en aurait nécessité 10 ou 12 ! J’ai donc essayé de rassembler un répertoire aussi large que possible mais évitant au maximum de doublonner avec ce qui était déjà disponible dans le commerce. Les albums Canetti par exemple. Mais on ne pouvait pas ne pas reprendre au moins un Higelin... J’ai aussi écarté tout ce qui était diction. En ce qui concerne Henri Salvador, ce champion toutes catégories qui a enregistré pas loin de soixante chansons de Vian, il était naturellement très difficile de le représenter « à la proportionnelle ». Cela dit, il n’est pas exclu que l’on fasse un jour prochain une véritable intégrale « Salvador chante Vian ».
Comment justifiez-vous la répartition des chansons sur chaque CD ?
On sait que les deux EP et le 25 cm de Vian sortis en 1956 étaient titrés « Chansons Possibles et Impossibles ». C’est Ursula Vian, la veuve de Boris, qui a eu l’idée de surtitrer « chansons pas possibles » ses chansons les plus folles. Le rock and roll tenant la place que l’on sait dans son œuvre, on a décidé d’en faire aussi une catégorie. Mais la répartition des chansons à l’intérieur de ces quatre catégories est toujours un peu arbitraire. Rien de plus normal, d’ailleurs ! Vian est inclassable et ses chansons, c’est pareil. La seule solution réaliste aurait été de classer les chansons dans l’ordre alphabétique de leurs titres. Je veux dire dans l’ordre alphabétique nouveau fixé par le Collège de 'Pataphysique ! Mais Bob Boutringain m'aurait certainement assommé si je lui avais fait pareille proposition. Pour le coffret Prévert, nous avons été, il me semble, beaucoup plus rigoureux dans la mesure où nous avons retenu un ordre chronologique qui respecte, pour autant que les informations dont on dispose soient fiables, les dates où Prévert a écrit ou publié ses textes. Nous n’avons fait exception que pour les redites des Feuilles mortes qui reviennent un peu en leitmotiv.
Justement, qu’est-ce qui vous a mené de Vian à Prévert ?
Il n’y avait qu’un palier à traverser... Ils étaient tout proches voisins, cité Véron. Prévert, c’est aussi une vieille passion. Je l’ai lu quand Paroles est sorti en livre de poche, en 1958. Mais après avoir lu Paroles, j’avais eu l’impression d’avoir fait le tour de Prévert. Vian est beaucoup plus multiple. Prévert est quelqu’un qui compte beaucoup pour moi mais sa voix est unique, monolithique. C’est peut-être idiot, mais j’ai le sentiment qu’on a fait plus vite le tour de Prévert.
Qu’il est plus accessible ?
Pas forcément. Sa tournure d’esprit n’est pas celle de quelqu’un de simple, non plus.
Dans l’organisation du coffret Prévert, vous avez choisi les années de création des poèmes et non pas les dates d’enregistrement des chansons. Pourquoi ce choix ?
Délibérément, je privilégie d’abord l’auteur; ensuite seulement l’interprète. Ma première passion, dans la chanson, ça a été Brassens. Au début de cette passion, je pensais sincèrement que l’auteur Brassens me touchait plus que le compositeur Brassens ou l’interprète Brassens. Avec Vian, j’ai appris qu’un texte de chanson, c’est fait « pour être chanté et non lu ». Aujourd’hui, je suis bien moins sûr de ce qui me touche le plus. Mais pour en revenir au coffret Prévert, c’est naturellement l’auteur Jacques Prévert qui en est le centre. Sans les textes de Prévert, pas d’interprètes de Prévert... Si malgré tout j’avais retenu les dates d’enregistrement des chansons pour organiser ce coffret, nous aurions obtenu de gros blocs homogènes au niveau des interprètes : douze titres des Frères Jacques d’affilée, par exemple. Ça, je ne le voulais absolument pas.
A partir du moment où un tel projet est accepté, combien de temps se passe-t-il avant sa commercialisation, et quelles en sont les étapes, les difficultés, et – aussi – les joies ?
Tout ça va ensemble. Ce sont les plus grosses difficultés qui apportent, quand elles sont surmontées, les plus grandes joies. Pour ce qui concerne le timing, nous avons commencé à travailler sur le Vian en mai 91 et il est sorti en novembre de la même année. Nous avons aussitôt enchaîné avec Prévert, mais là, ça nous a pris exactement une année. Mais mon travail a été différent d’un coffret à l’autre : je connaissais le répertoire Vian par cœur et j’avais tout le matériel. Il ne m’a fallu que quelques jours pour lister ce que je souhaitais y voir figurer puis on a pu passer aux demandes d’autorisation de publier. Là, ce n’est pas tout simple. Une fois les autorisations reçues, il reste la détermination de l’ordre des chansons, le montage. Puis l’écriture des textes de présentation, le choix des documents qui vont illustrer le livret... Pour le Vian, tout s’est passé assez simplement.
Pour le coffret Prévert, j’ai commencé par répertorier tous ses textes publiés, puis tous les enregistrements existants en privilégiant naturellement le « chanté » par rapport au « dit ». J’ai rencontré des spécialistes de l’œuvre de Prévert, des collectionneurs, j’ai parlé avec certains de ses interprètes, j’ai lu et écouté tout ce qui existait sur le sujet... Et le hasard de la promotion du Vian m’a fait rencontrer Alain Poulanges qui m’a fait copier ses émissions Prévert de France-Inter (août 91). Après assimilation et digestion, j’ai établi la liste de ce que je voulais. Là, j’ai essayé de déterminer le répertoire couvrant le plus largement possible l’œuvre de Prévert, quitte à prendre des interprètes inconnus ou oubliés.
Par exemple ?
Christian Génicot, probablement le plus inconnus des inconnus du coffret, qui est le seul à avoir mis en musique et enregistré En été comme en hiver si on fait abstraction de Chanson Plus Bifluorée qui l’avaient fait pour Poulanges mais que Fnac Music a refusé de nous laisser reprendre. Ils ne nous ont autorisé que Chanson de la Seine dans la version disque alors que j’aurai préféré la version France-Inter, bien plus sobre, moins violoneuse... Bref, on est passé à la phase demandes d’autorisations.
Justement, c’est quelque chose de facile à obtenir ?
C’est relativement facile de multinationales à multinationales en ce qui concerne le répertoire récent. Ça se complique dès qu’on sort de ce schéma. Et si vous tombez sur le cas d’un artiste qui est en procès avec sa maison de disque et que vous tenez absolument à obtenir ce que vous avez demandé, vous êtes obligé de vous mêler de leurs affaires, de jouer les intermédiaires de façon à ce qu’on laisse le conflit de côté et que chacun touche, au moins sur ce nouveau disque, ce qu’il estime devoir toucher.
On est loin de la chanson...
On est en plein dans l’industrie de la chanson. Pour un professionnel du disque, ce genre de situation est sans issue et il ne tentera rien. Avec ma naïveté d’amateur – je dois dire que je supporte assez mal l’idée de retirer du coffret trois grands titres de Prévert parce que Jean Guidoni et Malambo ont des problèmes de sous – j’arrive quand même à des résultats. C’est assez magique parce que la chanson reprend ses droits sur le fric... Parfois, on n’arrive à rien. Et je ne dis rien des inimitiés, des haines, qui traversent le cercle des anciens proches de Prévert... Je n’ai jamais senti ça autour de Boris Vian.
Cette aventure Prévert, ça a été plus difficile que vous ne l’auriez cru ?
Oui, si je ne me base que sur l’aventure Vian. Mais c’est l’aventure Vian, qui pour moi dure depuis 30 ans, qui est l’exception, et l’aventure Prévert, avec ses traversées de jungles, qui est la règle.
Et vos joies, quand même ?
Attendez, encore une belle jungle : le cinéma. Nous avons publié quelques chansons extraites de bandes originales de films. Il y en a beaucoup d’autres que nous avons identifiées dans des films que j’ai visionnés aux Archives du Cinéma. Et que nous n’avons pas pu utiliser parce qu’on n’a pas pu retrouver les actuels propriétaires des films. Le plus bel exemple, c’est La Chanson de l’homme que chante Jean Gabin dans le film Le Messager de Raymond Rouleau. Et que dire des vampires qui sont disposés à vous vendre les droits de reproduction d’un fragment de bande-son au prix où ils négocient l’image et le son à une chaîne de télévision ?
Alors, pas de joies ?
Comme je vous le disais tout à l’heure, elles sont liées aux difficultés. La plus belle histoire : celle d’un 25 cm Decca de 1953 sur lequel Prévert dit des textes et où Germaine Montero et Fabien Loris chantent quelques très belles chansons mises en musique par Christiane Verger. Nous demandons les droits à Musidisc qui a jadis racheté Decca-France. Refus ! Pourquoi ? Ils répondent qu’ils n’ont ni contrats ni bandes. Sur la foi d’informations sur lesquelles je brode allègrement, on oriente les recherches vers Decca-Belgique et vers Decca-Londres. Rien non plus. Germaine Montero qui est une vieille dame charmante et aussi têtue que moi m’aide du mieux qu’elle peut. Elle me met en rapport avec Maurice Grosjean (ex-Sélection du Reader’s Digest) qui est lié à la direction de Musidisc. A sa demande, je lui adresse une copie du catalogue Decca de l’époque où figure ce disque. Après quelques heures passées dans les archives Musidisc, Grosjean trouve une piste : il faut chercher dans le répertoire Poésie et pas dans le répertoire Chanson ! Au bout de la piste, une boîte où dormait la bande tant convoitée et l’accord de publication. Ouf ! L’histoire avait traîné plus de trois mois. Quand on sait que Jacques Canetti a publié les titres que dit Prévert sur ce 25 cm sans l’autorisation de personne et en étant distribué par Musidisc, on rigole doucement, jaune !
Une autre grande joie, malheureusement, on est passés à côté, se rapporte au tout premier enregistrement d’une chanson de Prévert. Embrasse-moi, gravée par Florelle en 1934 sur Polydor, quelques mois avant la version de Marianne Oswald. Malgré des heures de recherche et des dizaines de coups de téléphone, on n’a jamais réussi à en retrouver une copie.
Vous êtes partis des masters ou des disques ?
Des masters, à deux ou trois exceptions près. Et qui concernent des enregistrements Chant du Monde. Cette firme a une histoire récente assez difficile et leurs archives sont en mauvais état, il me semble. C’est au Chant du Monde que Les Feuilles mortes a été enregistrée pour la toute première fois, par Cora Vaucaire accompagnée au piano par M. Philippe-Gérard. Nous avons repiqué cette version, qui n’avait jamais été reprise, sur un 78 tours qui avait appartenu à mon père. C’est amusant si on sait que je n’ai jamais vécu avec mon père qui était retourné vivre en Pologne en 1947 et que j’ai donc rapporté ce 78 tours de Varsovie l’été dernier.
Un des « plus » du Prévert, c’est la présence de nombreux inédits : 35 sur le coffret.
La plupart de ces inédits sont des transcriptions d’enregistrements radiophoniques. Ils proviennent de la Radio nationale (via l’INA), d’Europe 1 (pour Edith Piaf) et de la Radio Suisse Romande pour Catherine Sauvage. Pour ces enregistrements, comme pour tout ce qui n’est pas « discographique » à l’origine, nous avons dû obtenir, outre l’accord des radios, ceux des ayants droit des interprètes. Pour retrouver les héritiers de Piaf, ce fut encore une petite aventure.
Ces autorisations, vous les obtenez facilement ?
Ça se négocie au coup par coup. Encore une anecdote ? Dans le film Notre-Dame de Paris, Gina Lollobrigida chante un petit texte de Prévert a cappella. Après avoir obtenu (après un trimestre de chasse) l’accord de principe de la firme propriétaire du film, il a fallu trouver la belle Gina. Comme mon épouse travaille dans une agence photographique et que Lollobrigida est officiellement photographe, je lui ai demandé de me trouver le téléphone de son agent à Rome. J’appelle Rome; au bout de quelques secondes, je me rends compte que je ne parle pas à l’agent mais à Madame Gina Lollobrigida in person ! L’émotion de ma vie. Elle me dit : « Oui, oui, mais c’est pas cadeau, hein ! ». On s’est mis d’accord. Quelques jours après, le propriétaire du film nous refusait sèchement l’accord définitif !
On en revient aux inédits ?
Un des plus grands inédits non-radiophoniques que nous avons publié, c’est L'orgue de Barbarie gravé en 1951 par Agnès Capri, en même temps que La pêche à la baleine qu’on connaît bien puisque Philips en avait donné une version très abîmée dans le coffret « L’âge d’or de Saint-Germain-des-Près ». Je ne peux pas vous raconter toute l’histoire, mais les archives Phonogram cachaient des versions parfaitement propres de ces deux chansons. Parmi les autres beaux inédits, il y a Familiale par Gilles et Julien, une face de 1937, rejetée à l’époque, deux titres par Marianne Oswald qui proviennent des archives personnelles de la grande Marianne. Et le très rare Cosy Corner par Béatrice Arnac accompagnée par une fanfare dirigée par le compositeur Jean Wiener.
Finalement, pour réaliser un tel coffret, on se transforme en détective, en policier, en avocat... C’est ce qui est passionnant aussi ?
Oui. Et puis parfois, c’est aussi un peu désagréable. Cette impression de forcer l’intimité... Lorsque je cherchais l’Embrasse-moi de Florelle, j’ai tenté de retrouver ses éventuels héritiers. J’ai été jusqu’à téléphoner au cimetière où elle repose pour trouver le propriétaire de sa sépulture. Le propriétaire est aussi dedans. Peut-être que le disque y est également... Parfois, on découvre des choses que personne n’a jamais entendues; c’est un peu grisant. Lorsqu’on préparait le Vian, nous étions, Bob Boutringain et moi, en train d’écouter des copies de bandes de Vian lui-même. Dans une chanson, mon oreille accroche un mot. On repasse la cassette, rien à faire, ce vieux Boris chantait quelque chose qu’il n’aurait jamais dû chanter.
C’était une séance de travail ?
Non, c’était bien la séance d’enregistrement. Tout collait, sauf un mot. Il s’est avéré que Vian s’est trompé dans un mot et qu’au lieu de refaire une prise, ils ont copié la bande et monté le bon mot à la place de la faute. Mais ils ont conservé la bande fautive...
Le 25 cm original de Vian, vous l’avez ? Il est vendu 4 000 francs dans les Conventions.
Non, je l’ai... en photo. Je connais les prix qui se pratiquent. Je ne suis pas suffisamment collectionneur pour le payer une telle somme. A partir du moment où j’ai la chanson sur un support, même si ce n’est pas le support original, je ne vais pas en faire une maladie. Par contre, j’ai un des deux super 45 tours de 1956.
Pourquoi ces deux 45 tours s’intitulaient « Chansons possibles » et « Chansons impossibles » ? C’est-à-dire commerciales et non-commerciales ?
Je nuancerais un peu. Je dirais plutôt chansons comme les chansons se faisaient et chansons comme les chansons ne se faisaient pas. Si on regarde leurs titres, les chansons « impossibles », ce sont Le déserteur, Je bois, des chansons politiquement et socialement pas très convenables.
Pensez-vous que la vogue des intégrales a été rendue possible par le compact disc ?
Est-ce qu’il n’y avait pas déjà des Intégrales du temps du vinyle ? Il y a des gens qui disent qu’on perd un certain niveau de son avec le CD. Moi, j’apprécie énormément le côté pratique du compact.
Après les coffrets Vian et Prévert, quels sont vos projets ? Brassens et ses interprètes, Gainsbourg et ses interprètes ?
Gainsbourg faisait partie de ce que j’avais proposé en mai 1990. Mais je crois que Jean-Yves Billet est sur le coup. En ce qui concerne Brassens, Brel, Ferré - les plus grands -, croyez-vous que le public soit intéressé par leurs chansons par d’autres interprètes alors qu’il en dispose déjà par les auteurs-créateurs ? Le concept que j’ai avancé pour Vian et Prévert ne vaut que pour des auteurs qui ne sont pas vraiment des interprètes. Pour Brassens et Brel, les Intégrales existent, même si on estime qu’elles sont mal faites. Ce que j’estime... Quant à rassembler les chansons que Brassens a écrites et jamais enregistrées, que voulez-vous faire avec Le bricoleur par Patachou ? Il fallait l’inclure dans l’Intégrale. Pour les grands auteurs-interprètes dont on parle, il reste le créneau des Tributes to comme le « Chantons Brassens » de chez Flarenasch; à condition d’avoir des gens qui apportent un « plus » évident. Pour un Cabrel qui justifie le déplacement, combien de plages qu’il vaut mieux réécouter par Brassens lui-même. Et puis ça coûte cher les heures de studio. Alors que ce dont nous parlions est déjà amorti et réamorti cent fois.
Pour d’autres auteurs, Bernard Dimey, par exemple ?
Excellente idée, mais je ne me vois pas travailler sur Dimey que je connais peu et auquel je n’accroche pas trop. C’est à Michel Célie (disques Déesse) de faire ça. Si on veut travailler dans la passion, il faut virer les professionnels et mettre les amateurs au boulot. Comme je n’ai pas vocation à devenir un pro de la passion... J’aimerais travailler sur Jean Yanne, mais ça intéresse qui, Jean Yanne aujourd’hui ?
Que vous a apporté la conception de ces deux coffrets ?
Le plaisir de faire, et de faire partager des choses que j’aime. Et puis la petite équipe que nous avons formée, très efficace...
Il y a eu des pressions sur vous ?
Venant des gens de Polygram ? Non, jamais. J’ai travaillé dans la plus grande liberté. A propos de plaisir, toujours, je dois avouer qu’avoir contribué à ressortir les chansons de Vian, ça m’a, un certain temps, chatouillé agréablement l’ego. Et puis ces deux expériences sont assez enrichissantes. Si je devais refaire le Vian aujourd’hui, le résultat serait certainement différent. Malheureusement pour moi, avec ces deux coups d’essai, je crois que j’ai frappé aux sommets. Si je dois refaire quelque chose, ce sera sur quelqu’un de moindre valeur dans mon Panthéon personnel. Encore qu’il me reste Raymond Queneau ! Mais il existe assez peu de chansons...
Et une anthologie style « Chansons de poètes », avec des raretés, ça vous intéresserait ?
Bien sûr. Mais il faut savoir que pour qu’une maison de disque se mouille, il faut que projet soit porteur. Et le thème que vous évoquez a de quoi faire peur à tout le monde. Ça m’intéresserait aussi de faire quelque chose sur les cabarets des années 50. C’est là que sont nés les Jean Yanne, Suc et Serre, Boby Lapointe, Roger Riffard, Anne Sylvestre... Une chanson « à texte », souvent pleine d’humour, qui n’existe plus aujourd’hui. C’est aussi un peu la période Canetti, le monde sur lequel Canetti régnait. Le premier contact que j’ai eu avec ce monde, c’était en 1959, au moment de la sortie du premier 25 cm de Gainsbourg. A l’époque, j’étais un lecteur assidu du Canard Enchaîné. Un jour, le chroniqueur chanson du Canard – c’était Clément Ledoux, je crois – a balancé une bonne vacherie sur Gainsbourg et Canetti. Pour moi, Canetti, c’était le père de mes idoles, dont Gainsbourg. Alors j’ai écrit je ne sais plus quoi à Ledoux. Et il m’a répondu dans les colonnes du journal, quinze jours plus tard. Quelque chose comme « Il y a un jeune crétin qui m’a écrit, il prend Canetti pour un mec honnête, mais on lui pardonne. »
Il avait cette réputation ?
Bien sûr. Très redoutable. Et il tenait la chaîne entière : disque, édition, cabaret, tournées. Plus du charme.
N’empêche qu’il faisait son boulot. Il a longtemps soutenu des artistes qui n’ont « marché » que plus tard.
Il a eu en effet une « écurie » extraordinaire. Mais avec la réputation qu’il s’était faite, tous les artistes d’un certain style venaient le voir lui. Ils n’allaient pas voir Barclay, bien sûr. Le label Canetti était un label de chanson intelligente. A chaque fois que je parle avec lui, je lui dis qu’à cette époque-là, je l’adorais. Il ne s’en souvient jamais.
Vous n’êtes pas en concurrence avec Canetti ?
Non. En principe, on ne fait pas la même chose. Moi, je ne suis qu’un compilateur, je n’ai pas peur du terme. Lui refuse de faire des compilations. Mais avec son « Florilège » Prévert, il en fait quand même. Et pas brillantes. Mon vrai truc, dans ce métier, c’est Vian. Si j’avais été plus rigoureux, je me serais arrêté après le coffret Vian.
Dans le recueil de textes de chansons édité par Christian Bourgois, vous aviez répertorié près de 500 chansons de Vian.
Presque. Depuis, j’en ai retrouvé deux autres. Deux adaptations de Brecht, extraites de la pièce La bonne âme de Se-Tchouan; dans le coffret Vian, c’est Catherine Sauvage qui les chante. Ce sont des prises faites lors de la préparation d’un album Philips-Réalités consacré à Kurt Weill et qui avaient été écartées car les musiques n’étaient pas de Weill mais de Paul Dessau. Et Christiane Legrand m’a parlé d’une chanson traditionnelle japonaise que Vian lui avait adaptée. Elle doit en avoir un enregistrement quelque part...
L’accueil commercial de ces coffrets a été bon ?
Très bon, à ce qu’on me dit. Mais j’ai l’impression que le Vian correspondait plus à une attente du public. Tout le monde sait que Prévert a beaucoup été mis en chansons. On savait moins que Vian avait écrit beaucoup de chansons, tellement différentes, et que tant d’artistes différents avaient chantées.
Vian est un personnage plus « branché », peut-être ?
Plus « mythique », sûrement. Encore que Prévert... Vous savez que le disque traverse actuellement une crise grave. Surtout les produits légers. Les gosses doivent acheter moins de cassettes deux titres. Mais les gens qui ont de l’argent achètent toujours les gros coffrets. Au moment des fêtes de fin d’année 92, le coffret Prévert avançait plus vite que le coffret Vian un an avant. Mais le double CD Vian avançait bien plus vite l’an passé que le double CD Prévert cette année. Le public de destination n’a pas l’air d’être le même. Vian touche sûrement plus les jeunes. A ce propos, je dois dire que je n’aime pas beaucoup la photo de Prévert qui a été retenue pour le « facing » du coffret et du 2 CD. Photo trop pépère. Je voulais une photo plus jeune, plus voyou. C’était un dandy et un voyou, Prévert. Pas un pépé.
Vian, Prévert, vous les avez connus ?
Prévert, je l’ai vu deux fois. A l’enterrement du baron Mollet, le plus haut dignitaire du Collège de 'Pataphysique. Et place Clichy, un jour qu'il sortait de chez son coiffeur. Ses cheveux blancs étaient tout violets. Vian, je ne l’ai jamais vu. Mais j’ai vu sa guitare.
Le mot de la fin ?
Vian et Prévert habitaient à Montmartre, presque tout en haut de Paris. Maintenant, si je suis amené à refaire quelque chose, je devrais descendre. Et dans un sens, ça m’ennuie.
Pourquoi ?
En bas, c’est la Seine. J’ai horreur d’avoir les pieds mouillés.
Propos recueillis par Raoul Bellaïche à Paris, en décembre 1992.
[Paru dans le n° 11 de JE CHANTE !]
• Boris Vian et ses interprètes. Coffret 6 CD Polygram 845.911-2. Livret de 64 pages.
• Jacques Prévert et ses interprètes. Coffret 6 CD Polygram 515.772-2. Livret de 84 pages.
Détail du coffret Prévert :
CD 1 (1928/1938)
Agnès Capri : Les animaux ont des ennuis (1954, inédit) - Catherine Sauvage : Histoire du cheval (1988, inédit) - Les Frères Jacques : La pêche à la baleine (1957) - Edith Piaf : Embrasse-moi (1960, inédit) - Marianne Oswald : Embrasse-moi (1947, inédit) - Jean Guidoni : Vie de famille (1989) - Marianne Oswald : Chasse à l’enfant (vers 1947, inédit) - Catherine Sauvage : Marche ou crève (1988, inédit) - Jean Guidoni : Toute seule (1985) - Christian Génicot : En été comme en hiver (1964) - Mouloudji : Quand tu dors (1947, inédit) - Juliette Gréco : A la belle étoile (1951) - Pierre Brasseur : Chanson dans le sang (1969) - Jean Guidoni : Cœur de docker (1991, inédit) - Germaine Montero : Adrien (1953) - Mouloudji : Les bruits de la nuit (1953) - Les Frères Jacques : Le cauchemar du chauffeur de taxi (1957) - Marianne Oswald : La grasse matinée (1957) - Gilles et Julien : Familiale (1937, inédit) - Les Frères Jacques : Inventaire (1957) - Juliette Gréco : Les feuilles mortes (1951).
CD 2 (1939/1945)
Les Frères Jacques : Compagnons des mauvais jours (1950) - Germaine Montero : Le désespoir est assis sur un banc (1963) - Les Frères Jacques : Le gardien de phare aime beaucoup trop les oiseaux (1957) - Lys Gauty : Deux escargots s’en vont à l’enterrement (1941) - Marlène Dietrich : Déjeuner du matin (1962) - Arthur H : Il faut passer le temps (1992, inédit) - Yves Montand : Dans ma maison (1981) - Marianne Oswald : Cet amour (1947, inédit) - Les Frères Jacques : L’orgue de barbarie (1957) - Yves Montand : Page d’écriture (1962) - Les Frères Jacques : Chanson de l’oiseleur (1957) - Michèle Arnaud : Démons et merveilles (1953) - Cora Vaucaire : Le tendre et dangereux visage de l’amour (1954) - Germaine Montero : Et puis après (1948) - Serge Reggiani : Et la fête continue (1974) - Jacques Prévert : Complainte de Vincent (1954) - Dimanche (1954) - Le jardin (1954) - Simone Signoret : Le jardin (1955, inédit) - Yves Montand : Le jardin (1981) - Cora Vaucaire : Paris at night (1965) - Les Frères Jacques : Quelqu’un (1955) - Juliette Gréco : La belle saison (1977, inédit) - Serge Reggiani : Pater noster (1974) - L’effort humain (1974) - Cora Vaucaire : Fille d’acier (1965) - Catherine Sauvage : Les oiseaux du souci (1991) - Jacques Prévert : L’école des Beaux-Arts (1954) - Les Frères Jacques : La fête (1957) - Marianne Oswald : Les feuilles mortes (vers 1947, inédit).
CD 3 (1945/1949)
Les Frères Jacques : Le miroir brisé (1957) - Eric Amado : Immense et rouge (1953) - Yves Montand : Chanson (1962) - Cora Vaucaire : Chanson du geôlier (1952) - Marianne Oswald : Barbara (1947, inédit) - Jacques Prévert : Barbara (1954) - Il ne faut pas (1954) - Cortège (1954) - Chanson Plus Bifluorée : Chanson de la Seine (1992) - Jacques Prévert : Comme par miracle (1953) - Les Frères Jacques : Chanson pour les enfants l’hiver (1956) - Yves Montand : En sortant de l’école (1962) - Chorale des Amis de la nature : En sortant de l’école (1957) - Jacques Prévert : Le temps perdu (1954) - Le combat avec l’ange (1954) - Place du carrousel (1954) - Juliette Gréco : Les enfants qui s’aiment (1951) - Germaine Montero : Le ruisseau (1953) - Roger Blin : Rien à craindre (1974) - Fabien Loris et Léo Noël : L’addition (1953) - Yves Montand : Les cireurs de souliers de Broadway (1981) - Germaine Montero : On frappe (1953) - Marianne Oswald : Le fusillé (1947, inédit) - Cora Vaucaire : Les feuilles mortes (1948) - Renée Lebas : Les feuilles mortes (vers 1949, inédit) - Clémentine Célarié : Le strict superflu (1991, inédit) - Cora Vaucaire : Un beau matin (1965) - Jacques Prévert : Le balayeur (1953) - Le fils du grand réseau (1953) - Yves Montand : Sanguine (1981) - Edith Piaf : Autumn leaves (Les feuilles mortes) (1950).
CD 4 (1950/1972)
Les Frères Jacques : Tournesol (1951) - Catherine Sauvage : Noël des ramasseurs de neige (1964) - Jo Warfield : Eteignez les lumières (1971) - Jacques Prévert : Pour rire en société (1954) - Yves Montand : Représentation (1968) - Jacques Prévert : Chant song (1954) - Marlène Jobert : L’enseignement libre (1978) - Jacques Prévert : Vainement (1954) - Fête (1954) - Au jardin des misères (1954) - Etranges étrangers (1954) - Fous de misère (1954) - Tourneur de ritournelles (1954) - Catherine Ribeiro : Câble confidentiel (1978) - Jacques Prévert : Câble confidentiel (1954) - Charmes de Londres (1954) - Catherine Sauvage : J’attends (1991) - Picolette : Chanson dans la lune (1955) - Edith Piaf : Cri du cœur (1960) - Yves Montand : Simple comme bonjour (1958) - Zizi Jeanmaire : L’amour qui m’a faite (1959) - Mouloudji: Cœur de rubis (1959) - Jo Warfield : Tu peux bien t’en aller (1971) - Catherine Ribeiro : Yaveh une fois (1978) - Stéphane Varègues : La complainte du fusillé (1966) - Zette : Ce n’est pas moi qui chante (1975) - Quand la vie est un collier (1975) - Janine (1975) - Yves Montand : Ne rêvez pas (1968) - Catherine Ribeiro : Ne rêvez pas (1978) - Zette : La romance (1975) - Catherine Ribeiro : Pour la batterie (1978) - Rain song (1978) - Richard Bohringer : Sait-on jamais ? (1991, inédit) - Yves Montand : Malgré moi (1981) - Jacques Prévert : Frontières (1981) - Serge Reggiani : Tant bien que mal (1973) - Mouloudji : Les feuilles mortes (1970).
CD 5 (1928/1959) (bis !)
Picolette : Les animaux ont des ennuis (1955) - Juliette Gréco : Embrasse-moi (1951) - Les Frères Jacques : Chasse à l’enfant (1957) - Catherine Sauvage : Chasse à l’enfant (1949, inédit) - Rosalie Dubois : Marche ou crève (1981) - Edith Piaf : Quand tu dors (1960, inédit) - Jean Guidoni : Chanson dans le sang (1988, inédit) - Fabien Loris : Cœur de docker (1953) - Agnès Capri : Adrien (1954, inédit) - Germaine Montero : Le gardien de phare aime beaucoup trop les oiseaux (1963) - Les Frères Jacques : Deux escargots s’en vont à l’enterrement (1957) - Marianne Oswald : Déjeuner du matin (1947, inédit) - Agnès Capri : L’orgue de barbarie (1951, inédit) - Les Frères Jacques : Page d’écriture (1953) - Catherine Sauvage : Fille d’acier (1949, inédit) - Juliette Gréco : Immense et rouge (1977, inédit) - Les Frères Jacques : Barbara (vers 1957, inédit) - Mouloudji : Barbara (1970) - Les Frères Jacques : En sortant de l’école (1957) - Yves Montand : Les cireurs de souliers de Broadway (1948, inédit) -Catherine Sauvage : Les feuilles mortes (1949, inédit) - Claude Nougaro : Sanguine (1974) - Les Frères Jacques : Noël des ramasseurs de neige (1954, inédit) - Béatrice Moulin : J’attends (1983, inédit) - Marie et : Le roi, la reine et le marin (... et voilà) (1989).
CD 6 (Cinéma... 1933/1966)
Agnès Capri : La pêche à la baleine (1951) - Florelle : A la belle étoile (1952, inédit) - Jacques Prévert : Chanson des sardinières (1954) - Les Compagnons de route : C’est un petit paysage de Bretagne (1948, inédit) - Mouloudji : L’enfance (1976) - Béatrice Arnac : Cosy corner (vieille chanson) (1978, inédit) - Agnès Capri : Complainte de l’ignoble Molyneux (1937) - Michel Simon : Petits pigeons (1937) - Jean Guidoni : La chanson de l’homme (1989) - Germaine Lix : Nos légionnaires (1939) - Tino Rossi : Tu étais la plus belle (1941) - Jacques Jansen : Démons et merveilles (1956) - Le tendre et dangereux visage de l’amour (1956) - Complainte de Gilles (1956) - Juliette Gréco : Je suis comme je suis (1951) - Claire Leclerc : Chanson des enfants (1950) - Fabien Loris : Les enfants qui s’aiment (1946) - Yves Montand : Les feuilles mortes (1981) - Simone Signoret : Chanson (1955, inédit) - Juliette Gréco : La belle vie (1951) - Jacqueline François : Les feuilles mortes (1963) - Serge Reggiani : Compagnons des mauvais jours (1974) - Les Frères Jacques : Et la fête continue (1957) - Yves Montand : Tournesol (1950) - Mouloudji : Chanson du mois de mai (1976) - Xavier Depraz : Enfants de la haute ville (1958) - Bob Martin : Voulez-vous danser avec moi (1959) - Marie Laforêt : Tumbleweed (1960) - Ursula Vian : Else where (1966) - Ursula Vian, Raymond Bussières et Jean Wiener : Noël des ramasseurs de neige (1966).