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Juliette Gréco

Aussi étonnant que cela puisse paraître, Juliette Gréco a été célèbre avant de chanter ! Ses déambulations aux terrasses du Flore et des Deux Magots, immortalisées par les photos de presse et les actualités, ont précédé ses apparitions sur scène.

« J’étais un personnage physique très étrange. J’étais habillé comme un lévite. J’avais un copain dont le grand-père avait une usine de vêtements de travail. Pas follement chicos mais pratiques. De temps en temps, il piquait un truc à son grand-père et me l'apportait. De ce fait, j’avais des pantalons trop longs pour moi et que je roulais, parce que l’idée de couper le bas et de faire un ourlet ne me serait pas venue à l’esprit. Je roulais aussi les manches des vestes. C’était des vêtements d’homme. Après la guerre, je sortais de prison, j’étais dans une pension de famille. Comme je n’avais rien à me mettre, les garçons me donnaient leurs vieux vêtements. Si bien que lorsque je m’asseyais, on entendait parfois un "crac"... tellement c’était usé ! Mais moi je me trouvais très élégante. »

Ce refus de la mode – au moment où Christian Dior, en 1947, lance le New Look –, elle va, sans le vouloir, en faire une mode, largement imitée. « Je me souviens d’un été sur la Côte d’Azur où toutes les petites filles et les femmes de milliardaires avaient une frange, des cheveux longs et des vêtements noirs. Je leur pouffais à la gueule! J’étais très insolente, mais il y avait de quoi ! »

« Insolente ». Le mot revient souvent dans la bouche de Juliette et plus qu'un « look », c'est sa personnalité affirmée qui a fait d'elle ce qu'elle est devenue. « Je fais comme je sens, je fais ce que je crois devoir faire, je sers qui je crois devoir servir. Je choisis qui j’aime, qui me trouble ou me bouleverse, ou qui me fait rire... Pourquoi est-ce que je changerais? Il est trop tard. Il a toujours été trop tard pour moi... Je suis incapable de faire un effort pour être "dans le coup". J’avais trente ans d’avance... Maintenant je suis à l’heure !... Sinon que je suis encore bien plus insolente que bien des gens qui pensent l’être... »

Servir, un autre mot que Juliette affectionne. Les premiers auteurs qu'elle chante ont pour nom Sartre, Prévert, Queneau, Desnos, Mauriac... Accéder directement à des écrivains et poètes contemporains n'est pas donné à tout le monde !

Paris en pleine ébullition

À la Libération, Juliette retrouve sa mère et sa sœur à l'hôtel Lutétia parmi les déportés qui commencent à rentrer de captivité... Les salons de ce grand hôtel de la rive gauche réquisitionné en 1945 sont demeurés pour elle un « lieu sacré ». C'est là qu'elle donne ses interviews.

« J’ai eu beaucoup de mal à revenir ici la première fois, j’ai eu une très grande douleur, j’ai revu tous ces fantômes, debout, en robes rayées. Mais c’est fini, j’ai exorcisé un peu la chose et j’y reviens avec beaucoup de plaisir. Quand je viens habiter dans cet hôtel, j’ouvre les fenêtres, je regarde et j’écoute Paris la nuit. Je viens en vacances, ici. »

C'est après des débuts incertains dans le théâtre que Juliette découvre le monde des nuits germanopratines. Elle rencontre sa « sœur jumelle » Anne-Marie Cazalis, s'attable avec les poètes et les écrivains, participe à la création et à la légende du Tabou avec Boris Vian et ses frères. « Les folles nuits de Saint-Germain » font la une des journaux à scandales, le Paris artistique est en pleine évolution, en pleine ébullition... Réalise-t-elle qu'elle vit un moment magique dont seront nostalgiques tous ceux qui ne l'ont pas vécu ? « J’avais surtout conscience de vivre une vie exceptionnelle, une vie rêvée... Et c’était vrai, je vivais une chose exceptionnellement riche et belle... et pécuniairement très difficile. Mais avec une chaleur humaine fantastique, des amis forts, et des gens géniaux ! Pouvoir passer des heures avec Boris Vian, pouvoir aller déjeuner ou dîner avec Sartre, et l'écouter parler, être aimée de Raymond Queneau et recevoir des lettres de lui comme celles que j’ai reçues, ce n’est pas imaginable... Et tout ce que je n’aurais jamais imaginé dans ma vie m’est arrivé. »

La bande du Tabou émigre bientôt à la Rose Rouge. On retrouve aussi Juliette sur la scène du Bœuf sur le toit. Elle est paralysée par la peur et fait ce qu'elle appelle de la « danse immobile ». « Ce n’est que petit à petit que j’ai retrouvé l’usage de mes membres supérieurs... Dans les premières soirées à la Rose Rouge, j’avais les bras derrière le dos. La toute première soirée au Bœuf sur le toit, non, je bougeais un peu parce que j’étais complètement inconsciente. J’étais venue chanter comme je chante dans ma salle de bain. Et tout d’un coup, j’ai pris conscience de cette chose terrible qu’est le public et de cette chose terrible qu’est la responsabilité d’ouvrir la bouche et de chanter. J’ai fait mes débuts avec Jean Wiener. C’est un pur esprit musical et un homme bouleversant. J’ai fait mes premiers pas la main dans la main de gens qui m’ont soutenue d’une manière magique. J’ai appris avec des maîtres généreux et attentifs... et aimants. »

Des poèmes pour une voix

Si tu t'imagines, de Raymond Queneau, est un des poèmes que Gréco choisit parmi ceux que Jean-Paul Sartre met à sa disposition. Sa nouvelle pièce, Huis clos, présentée en mai 1944 au théâtre du Vieux Colombier, comporte une chanson : La rue des Blancs-Manteaux. Il l'offre à Juliette et, dans une lettre datée du juillet 1950, s'engage à lui écrire d'autres textes. « On fait des pièces pour certains acteurs, pourquoi ne ferait-on pas de poèmes pour une voix ? », explique-t-il. Deux autres chansons de Jean-Paul Sartre, destinées à Juliette Gréco, voient le jour (La perle de Passy et Ne faites pas suer le marin), mais elles sont considérées comme perdues !

Chanson féroce qui relate rien moins qu'une exécution capitale, La rue des Blancs-Manteaux (qui sera reprise plus tard par les Frères Jacques) est typique du répertoire de Juliette Gréco : textes signés par des auteurs à la forte personnalité, thèmes forts « qui disent quelque chose », traitement original, mélodies élégantes... Elle figure sur son tout premier 78 tours Columbia (1950) avec Si tu t'imagines et La fourmi, toutes trois mises en musique par Joseph Kosma. « La mélodie apporte le succès, reconnaît Gréco, elle est indissociable de la parole et de l’idée. C’est le plus beau des véhicules pour la poésie. Mais ce qui me touche d'abord, ce qui me prend, ce sont les mots. »

Ce premier 78 tours passera inaperçu et c'est quelques mois plus tard que Juliette Gréco entame sa longue carrière discographique. En 1951, son premier 78 tours Philips (références 72 000) est le tout premier édité par cette nouvelle firme hollandaise qui s'installe en France et dont le catalogue, sous l'impulsion de Jacques Canetti, va constituer l'une des plus belles affiches de la chanson française de l'après-guerre...

En 1951, Gréco enregistre l'un des premiers titres connus d'Aznavour, Je hais les dimanches. Cette chanson qui prend le contrepied d'une opinion largement admise, ne plaît pas à tout le monde : « Si elle boulonnait un peu, elle saurait ce que c'est ! Elle aimerait les dimanches ! », écrira un journaliste hostile aux « existentialistes », à la faune de Saint-Germain-des-Prés et à sa « muse » la plus célèbre. Gréco enregistre aussi beaucoup de titres de Jacques Prévert : À la belle étoile, Les enfants qui s'aiment, Les feuilles mortes, Embrasse-moi et Je suis comme je suis, chanson carte de visite, qui semble répondre aux critiques dont elle fait l'objet dans la presse « bourgeoise » :

« Je suis faite pour plaire

Et n'y puis rien changer

Mes lèvres sont trop rouges

Mes dents trop bien rangées

Mon teint beaucoup trop clair

Mes cheveux trop foncés

Et puis après

Qu'est-ce que ça peut vous faire

Je suis comme je suis

Je plais à qui je plais... »

Célèbre en France, Gréco l'est aussi à l'étranger. Le Brésil la demande. Les États-Unis la réclament. En 1952, au Waldorf Astoria de New York, elle partage l'affiche du spectacle « April in Paris » avec les Frères Jacques et Jean Sablon. De retour en France, après une tournée un peu décevante avec Robert Lamoureux, elle voit sa notoriété grandir.

Gréco élargit sa palette d'auteurs, elle chante les thèmes de l'Opéra de Quat'sous (La fiancée du pirate, La chanson de Barbara), emprunte un titre à Bécaud (Les croix), à Brassens (Chanson pour l'Auvergnat). En 1954, sur un coin de table, Trenet lui écrit... Coin de rue, une délicieuse valse comme seul le grand Charles savait les faire, chanson nostalgique sur l'enfance qui prend aussi acte, avec regret, des transformations que connaît la France des années 50 :

« Mondes neufs

Constructions et démolitions

Vous m'donnez des visions... »

La valse des auteurs

À la même époque, elle fait la connaissance de Jacques Brel, qui va devenir un de ses auteur de prédilection. « Quand Brel est venu me voir en 1954, il était inconnu et le peu de gens qui le connaissaient le trouvaient moche. Il est venu à la maison et il m’a chanté plein de choses dont Ça va (Le diable). Je suis restée scotchée contre le piano. Je lui ai dit : "Écoutez, vous chantez très très bien ça vous-même. Je suis un peu connue et vous pas du tout, donc je vais prendre la plus difficile, celle que vous ne chanterez pas facilement, et je vais essayer de la défendre." Et j’ai pris Ça va (Le diable). » Ce qu'elle fait lors de son premier passage à l'Olympia, en juin 1954.

En avril de l'année suivante, à nouveau sur la scène de l'Olympia (en même temps que Jean Constantin), elle interprète La rue et Dieu est nègre, deux titres de Léo Ferré. Auréolé du succès populaire de Paris canaille, cet auteur-compositeur-interprète qui, pour certains, sent le souffre, commence à se faire un nom dans le grand public (Juliette chantera d'autres titres de Léo). L'année suivante, elle consacre tout un super 45 tours aux textes de Françoise Sagan mis en musique par Michel Magne (Sans vous aimer, Vous mon cœur).

En 1957, un nouvel ACI entre dans l'écurie Jacques Canetti : Guy Béart. Auteur original et mélodiste exemplaire, mais interprète difficile à imposer, il devient vite la coqueluche des artistes Philips qui se disputent ses compositions : Philippe Clay, Patachou, Zizi Jeannmaire et... Juliette Gréco. En 1957, elle enregistre quatre de ses chansons qui seront « interdites aux moins de seize ans » ! Notamment Chandernagor, qui met en parallèle les fameux Comptoirs de l'Inde et le corps de la femme, et La complainte de Raymond Queneau, parce qu'y revient, en leitmotiv, le mot... con !

La même année, pour l'album collectif « Chansons 1900 » de la collection Philips-Réalités, Gréco enregistre deux titres du répertoire : Madame Arthur et La valse brune. Toujours en 1957, elle rend hommage à la grande couturière Elsa Schiaparelli avec une étonnante « chanson » d'Henri Sauguet, qui ne comporte qu'un seul mot, repris sur toute la gamme (La valse des si). « La maison Schiaparelli lançait un nouveau parfum qui s'appelait Si et voulait une cantatrice ! Mais Madame Schiaparelli m'aimait beaucoup et l'on m'a fait rencontrer le compositeur Henri Sauguet. La musique facile à apprendre me paraissait inchantable avec tous ces si et j'ai décidé d'en faire une chanson dans ma tête, avec un petit scénario pour moi toute seule. Avec une signification propre pour chaque si, quasi sexuelle à un moment donné. C'était audacieux, drôle, et ça a surpris, amusé. La chanson a été interdite en Amérique... parce qu'elle heurtait la morale et la décence ! »

« Juliette new style »

En 1958, Gréco fait peau neuve. Son cinquième 25 cm la présente sous un nouveau « look » : « Juliette new style ». Une nouveauté à son répertoire : Bonjour tristesse, du film homonyme. En 1959, elle fête ses dix ans de chansons et à cette occasion, elle réenregistre en stéréo une dizaine de ses titres, réorchestrés cette fois par Alain Goraguer et André Popp. Pour un disque hommage à Francis Carco, disparu en mai 1958, elle enregistre Le doux caboulot.

Renouvellement du répertoire à partir de 1960 avec la rencontre de Serge Gainsbourg dont elle reprend quatre chansons (Les amours perdues). La nouvelle décennie commence bien, les succès se suivent – tous des standards, aujourd'hui – et ne se ressemblent pas : Béart, à nouveau, avec Il n'y a plus d'après, Ferré, toujours, avec Paname et Jolie môme, encore Gainsbourg avec La javanaise, Brel avec On n'oublie rien et Jean Dréjac avec un petit bijou d'écriture, regard ironique sur l'époque, une java spirituelle de moins de deux minutes (La cuisine) :

« Les cell's qui faisaient Florès

En rob' de Dior et sac d'Hermès

Rangées dans l'musée Grévin

Du ciné-club ou de Sam Levin... »

Les années yéyé ne semblent pas avoir prise sur Juliette Gréco. Elle ne change pas ses orchestrations, ne songe pas à « rajeunir » artificiellement son répertoire, ne cherche pas des thèmes « à la mode », elle continue de chanter ceux qu'elle aime : Brassens (Le temps passé), Bernard Dimey (Nos chères maisons, Les petits cartons). De Dimey, elle enregistre, en 1962, avec Pierre Brasseur et Francis Lai, le première version du Bestiaire de Paris, enregistrement que l'on croyait perdu jusqu'à sa réédition, en 1995, par Michel Célie des disques Déesse. En plein règne du twist, à l'heure où guitares électriques et batterie déterminent la « couleur musicale » de l'époque, elle rend un superbe hommage au piano du pauvre (Accordéon, de Gainsbourg), fait un tube d'une java nostalgique qui évoque l'après-guerre, C'était bien ou Le petit bal perdu, superbe titre de Robert Nyel et Gaby Verlor qui renouvelle avec poésie la chanson réaliste.

« Non, je ne me souviens plus

Du nom du bal perdu

Ce dont je me souviens

C'est de ces amoureux

Qui ne regardaient rien autour d'eux... »

Moins connu : à l'occasion du lancement du paquebot France, en 1962, Gréco enregistre sur un disque publicitaire aujourd'hui introuvable une chanson d'Hubert Viger mise en musique par Serge Gainsbourg : Valse de l'au-revoir. Elle figure, avec trois instrumentaux de Georges Delerue, sur la bande originale du film de François Reichenbach, Week-end en mer.

Toujours demandée à l'étranger, Gréco revient régulièrement chanter à Paris. En 1962, elle est à l'affiche de l'A.B.C., deux ans plus tard, sur la scène de Bobino, elle crée une douzaine de nouvelles chansons dont Vieille de Jacques Brel. En 1966, l'année où elle épouse Michel Piccoli, elle chante à l'Olympia puis, avec Georges Brassens, sur la scène du T.N.P. à Chaillot, accompagnée par l'Ensemble Patterson. On peut l'entendre aussi à à la Philharmonie de Berlin. En octobre 1968, elle refait sa « rentrée parisienne » au Théâtre de la Ville, où elle inaugure le nouvel horaire de 18 h 30. « On venait me voir comme on allait aux putes ! », plaisantera-t-elle.

De Hollywood à Belphégor

Au cours des années 50, Juliette Gréco a longtemps porté la double casquette de chanteuse et de comédienne. Sans compter les courtes apparitions depuis 1947, Juliette a tourné dans une bonne dizaine de films. Parfois, on lui propose de jouer son propre rôle : Sans laisser d’adresse de Jean-Paul Le Chanois est un des rares films où elle chante (musique de Kosma). Dans Le Gantelet vert, un film franco-américain de Rudolph Maté, elle tient le rôle d'une chanteuse et interprète Romance et L'amour est parti, deux textes d'Henri Bassis sur des musiques de Joseph Kosma. Mais c'est dans le film de Jean-Pierre Melville, Quand tu liras cette lettre, en 1953, qu'elle décroche le rôle principal, celui d'une religieuse.

Jusqu'au début des années 60, elle se partage entre chanson et cinéma. En 1956, elle tient le rôle d'une bohémienne dans Éléna et les hommes de Jean Renoir. « Superbe, cheveux dénoués au vent du soir, elle chantera autour d'un feu de bois la Complainte de Miarka, écrite pour elle par Renoir sur une musique de Joseph Kosma. ». La même année, elle est Maroussia dans La Châtelaine du Liban de Richard Pottier. On la retrouve aussi dans L’Homme et l’enfant de Raoul André, nanar de série B où Eddie Constantine et sa fille Tania chantent leur fameux duo. Juliette retrouvera Constantine sur disque pour une chanson interprétée en duo : Je prends la vie du bon côté (Barclay). Et puis, elle figure dans deux films touristico-musicaux, au milieu d'une affiche de rêve : Boum sur Paris de Maurice de Canonge (qui a pour cadre l'émission La Kermesse aux Étoiles) et C’est arrivé à 36 chandelles d’Henri Diamant-Berger.

C'est après Bonjour tristesse, adapté du roman de Françoise Sagan et réalisé par Otto Preminger (où elle interprète la chanson-titre dans une séquence de cabaret), que Juliette entame son aventure américaine.

Darryl F. Zanuck, le patron de la 20th Century Fox, lui propose un petit rôle dans Le soleil se lève aussi, film adapté du roman d'Hemingway dont l'action se déroule à Paris et en Espagne dans les années 20. Au cours du tournage, Juliette côtoie des stars : Tyrone Power, Errol Flynn, Mel Ferrer, Ava Gardner.

L'année 1958 confirme sa carrière cinématographique américaine. Amoureux de Juliette, Zanuck lui offre un grand rôle, celui de Mina dans Les Racines du ciel, adapté du roman de Romain Gary, Prix Goncourt 1956. Tourné au Cameroun et au Tchad, ce film de John Huston ne rencontre aucun succès. Juliette repart en Afrique pour La rivière des alligators, un film d'aventures de Vincent Sherman, et c'est sous la direction de Richard Fleischer qu'elle tourne ses deux derniers films américains : Drame dans un miroir, un « film de prétoire » avec Orson Welles et Bradford Dillman (1960), où elle a un double rôle, et Le Grand risque de Richard Fleischer, encore un film « africain », où elle a comme partenaire Stephen Boyd, le Messala de Ben Hur. Par contrat, il lui reste un film à tourner pour Zanuck, mais il ne se fera pas...

Juliette rentre en France et avant de se consacrer pleinement à la chanson, elle tourne Maléfices, un film policier d’Henri Decoin... « Je n'ai choisi aucun des films que j'ai tournés, mais je les ai faits consciemment, parce que je l'ai bien voulu (...). Sincèrement, je n'ai tiré aucune satisfaction de tout ça (...). Je m'ennuyais tellement de ne plus chanter... », déclarera-t-elle.

Mais mieux que le grand écran, c'est grâce au petit qu'elle va marquer une génération de téléspectateurs : avec Belphégor, le feuilleton fantastique en noir et blanc de Claude Barma, diffusé en mars 1965. « Ça a vidé les théâtres quatre semaine de suite! Il y avait une distribution extraordinaire. Le rôle de madame Sylvie était formidable », rappelle Gréco qui, dans la version cinéma avec Sophie Marceau, fait une brève apparition, un sympathique clin d'œil...

« Un petit poisson, un petit oiseau... »

En 1964, pour la collection « Rencontres » Juliette Gréco enregistre un disque de poèmes de Pierre Mac Orlan mis en musique par Philippe-Gérard (album réédité en 2001 par Universal dans la nouvelle collection « L'esprit poète »). Et pour la collection « Les grandes chansons », elle reprend une douzaine de standards des années 30 à 50 (Parlez-moi d'amour, Mon homme, L'âme des poètes, Moulin Rouge).

Ce milieu des années 60 est une période très créatrice pour Juliette Gréco. Elle prend des chansons à Georges Moustaki, alors dans le creux de la vague (Madame), à Henri Tachan, qui commence une brillante carrière (La mort de Juju), à Leny Escudero (Je t'attends à Charonne), à Pierre Louki (Les cimetières militaires), Bernard Dimey (J'ai le cœur aussi grand)... Mais les grands succès de cette époque, elle les doit à des équipes chevronnées, comme les tandems Robert Nyel et Gaby Verlor dont elle crée Marions-les et Déshabillez-moi. À Jean-Max Rivière et Gérard Bourgeois, elle doit Un petit poisson, un petit oiseau. Encore un tube ! Des chansons qui s'éloignent des formes traditionnelles et lui permettent de renouveler son répertoire que des arrangeurs comme Alain Goraguer savent mettre en valeur.

En 1969, Juliette Gréco enregistre un albums de poèmes peu connus mis en musique par Yani Spanos. L'année suivante, sur son dernier album Philips, il y a J'arrive, cette longue chanson de Brel avec laquelle elle termine souvent son tour de chant, et La chanson des vieux amants. En 1971, elle enregistre quatre chansons de Frédéric Botton (Les pingouins).

De son premier 30 cm Barclay, en 1972, entièrement écrit par Maurice Fanon et Gérard Jouannest, son nouveau pianiste, demeure surtout l'extraordinaire Mon fils chante, une chanson de résistance à l'oppression. François Rauber, l'arrangeur, la tire vers le folklore grec...

Sur les albums suivants, Gréco se concentre souvent sur les chansons d'un même auteur, comme Henri Gougaud (C'est l'hiver) ou Pierre Seghers ou Jean-Loup Dabadie. Discrètement, elle glisse quelques-uns de ses textes... En 1982, elle réenregistre une trentaine de ses chansons pour Gérard Meys et publie un nouvel album, « Gréco 83 », avec notamment Maréchal..., un texte mordant de Georges Coulonges, musique de Jean Ferrat. Deux ans après la parution d'une (presque) intégrale chez Polygram, elle passe à l'Olympia où elle crée cinq nouvelles chansons. En 1994, Étienne Roda-Gil lui écrit un album entier (Vivre dans l'avenir). En 1998, elle collabore aux éditions Atlas en reprenant, entre autres, un titre de Cabrel et un autre Michel Berger, et on la sollicite pour le collectif « Ensemble ».

Avec son nouvel album « Un jour d'été et quelques nuits... », entièrement écrit par Jean-Claude Carrière, Gréco fait une rentrée très remarquée qui l'amène au mois de mai 1999 sur la scène du théâtre de l'Odéon.

Raoul Bellaïche

Sources :

Je chante ! n° 27, 2001 (spécial Juliette Gréco). Numéro disponible.

Chorus n° 27, 1999, dossier Juliette Gréco.

• Michel Grisolia et Françoise Mallet-Joris : Juliette Gréco, Seghers, coll. poésie et chansons n° 35, 1975.

• Juliette Gréco : Jujube, Stock, 1982.

• Françoise Piazza et Bruno Blanckeman : De Juliette à Gréco, coll. Gestes, Christian de Bartillat éditeur 1994.

Histoire du cinéma français, Pygmalion-Gérard Watelet.

• Texte rédigé pour le longbox paru en 2001 chez Universal.

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