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Les Frères Jacques : « Quatre garçons dans le vent » d'une autre époque

« C'qu'on aimerait faire le jacques

Ah ! c'qu'on aimerait faire le jacques avec vous

Tati, Prévert

Et vous les Frères... »

(Les Jacques)

Cette chanson de Marinette Maignan (paroles) et Jean-Yves Lacombe (musique), enregistrée par le groupe vocal TSF, constituait un moment émouvant de l'hommage rendu aux Frères Jacques au Casino de Paris en janvier 1996, par quelques uns des « descendants » du plus célèbre quatuor de la chanson française. TSF, Chanson Plus Bifluorée, Orphéon Célesta, Indigo, le Quatuor, le Quintet de l'Art..., la nouvelle génération des groupes vocaux n'a jamais caché ce qu'elle doit aux « Jacques ».

« Les Beatles de 40 »

André et Georges Bellec (deux vrais frères), Paul Tourenne et François Soubeyran auraient pu être ces « Beatles de 40 » dont parle Mouloudji dans un de ses succès des années 60... De fait, ils furent « quatre garçons dans le vent » d'une autre époque, la fin de la guerre, où, jeunes trentenaires, ils se rencontrent au sein de l'association Travail et Culture (TEC), sise 5, rue des Beaux-Arts à Paris. Ils chantent d'abord entre eux pour le plaisir, puis envisagent de « se lancer ».

Leur première chanson mise en scène, La Marion sous un pommier, est un traditionnel. Leur nom de scène, ils le doivent à l'homme de radio François Chatelard. Un après-midi, les Frères Jacques se préparent à chanter dans une émission qui se déroule en direct. Mais comment les annoncer, ils n'ont pas encore de nom ! Les... Tiens, aux États-Unis, les groupes vocaux s'appellent volontiers « brothers » ou « sisters »... Les Frères, donc, mais encore ? Très vite, le nom de Jacques fait l'unanimité, qui rappelle à la fois la comptine Frères Jacques et l'expression « faire le Jacques »... « Mesdames et messieurs, voici maintenant les Frères Jacques ! »... C'est au Palais-Royal, à l'occasion de la fête nationale, le 14 juillet, qu'ils donnent leur première représentation publique, dans le cadre d'un gala radiodiffusé.

Août 1945. Les Frères Jacques sont sollicités par Maurice Jacquemont pour remplacer les Compagnons de la Route (les futurs Quatre Barbus) dans Les Gueux au paradis à la Comédie des Champs-Élysées. Pièce de Maurice Jacquemont, qui en assure la mise en scène, Les Gueux au paradis comporte des interventions chantées, des poèmes de Maurice Fombeure mis en musique par Claude Arrieu : Légende de Saint-Nicolas, En vérité, je vous le dis, Bonsoir au public... (ces trois titres, interprétés par les Frères Jacques, ainsi que des traditionnels et des gospels, caractéristiques de leur répertoire du début, ont été réédités pour la première fois sur le CD « Chansons inédites » publié en 1996 par Rym Musique). Ils y passent un mois. « Une prestation déterminante pour le moral du quatuor même si elle est limitée. Ils n'apparaissent en effet que sous forme de silhouettes en découpes sur des fenêtres pour annoncer par de courtes chansons les personnages qui entrent en scène », écrit Cécile Philippe, auteur d'une biographie sur les Frères Jacques en 1981.

Le « Théâtre de la Ville et des Champs »

En septembre 1945, les Compagnons de la Route reprennent leur rôle dans Les Gueux au paradis, Les Frères Jacques acceptent alors la proposition de Léon Chancerel de partir en tournée en Alsace libérée. « Grâce à la confiance du ministre de l'Éducation nationale, le Théâtre de la Ville et des Champsa l'insigne et émouvant bonheur de faire ses primes débuts dans nos provinces retrouvées », précise sur le programme Léon Chancerel, fondateur au début des années 30 de la Compagnie des Comédiens Routiers, tentative de décentralisation et de démocratisation de la vie culturelle. Au cours de la première partie, Les Frères Jacques – qui sont cinq à ce moment-là, rejoints par Gustave Gras – interprètent quelques chansons « anciennes et modernes ». Dans le seconde partie, ils jouent Le Médecin malgré lui de Molière.

De retour de cette tournée, leurs places à Travail et Culture ayant été prises, ils se lancent dans la voie professionnelle.

La Compagnie Grenier-Hussenot

En janvier 1946, Les Frères Jacques rejoignent la Compagnie Grenier-Hussenot, une des premières troupes théâtrales née à la Libération. À la Gaîté-Montparnasse, le théâtre d'Agnès Capri, ils font partie de la distribution d'Orion le tueur, « mélodrame bouffon » de Jean-Pierre Grenier – dialogues et chansons de Maurice Fombeure, musique de Pierre Philippe, décors et costumes de Raymond Peynet. Ils y intégrent leur première chanson mimée : L'entrecôte, « histoire vécue », vraie fausse chanson 1900 déposée en 1927, signée Robert Goupil (paroles) et Marius Zimmermann (musique). Cette chanson fétiche ne quittera jamais leur tour de chant.

Ils jouent aussi dans Parade pour rire et pour pleurer, spectacle construit notamment sur des textes de Verlaine et de Jules Lafforgue, mise en scène de Jean-Pierre Grenier et Olivier Hussenot, musique de Claude Arrieu et Pierre Philippe. Les costumes et les décors sont de Jean-Denis Malclès, le décorateur attitré de la Comédie des Champs-Élysées, qui leur inventera leur tenue de scène (les fameux collants bicolores et les chapeaux, les gants blancs étant une idée de Georges Bellec). « En 1945, on en était resté à une esthétique extrêmement traditionnelle chez les danseurs. Pour ma part, je trouvais beaucoup de charme au collant qui me rappelait certains dessins très dépouillés de Picasso. J'ai eu envie de mettre en scène ce collant qui permettait d'exprimer tant de choses », rappelle Jean-Denis Malclès.

« Cernés au plus près de leurs muscles, sans poche pour cacher leurs mains, ils devaient tenir compte dans les plus infimes détails de leurs attitudes. Cette quasi-nudité colorée, dont ils surent faire ressortir la poésie et le pouvoir émotionnel par de subtils éclairages, n'admettait pas le moindre erreur. Le plus léger décalage dans la torsion d'un mollet devenait une faute grave. Ainsi, les Frères Jacques sont-ils plus précis dans leurs mouvements qu'aucun ballet français », fait remarquer Cécile Philippe.

Ce double spectacle – Orion et Parade – de la Gaîté-Montparnasse obtiendra une mention spéciale au concours des Jeunes Compagnies Théâtrales.

Le pianiste Pierre Philippe rencontré à ce moment-là va devenir leur accompagnateur pendant près de vingt ans. Rencontre décisive : c'est Pierre Philippe qui les incitera à abandonner le chant a cappella. Exigeant, cet ancien soliste au Conservatoire saura les faire travailler pour approcher la perfection. Rétrospectivement, il les juge sévèrement : « Ils n'étaient pas spécialement musiciens, ils n'avaient pas travaillé leur voix, ils n'avaient pas suivi de cours, ils n'avaient pas chanté en chœur, ils n'avaient pas de formation, ils n'avaient même pas tellement de notions de solfège. »

La Rose Rouge

À partir de 1947, les Frères Jacques enchaînent les spectacles. À la Gaîté-Montparnasse, ils jouent dans Liliom, de l'auteur dramatique hongrois Ferenc Molnár (où ils chantent l'Air de la rousse), et en 1948, dans L'Escalier, d'Yves Farge. En 1949, ils sont à l'affiche de la pièce de Georges Courteline, Les Gaités de l'escadron, et bientôt dans l'opérette Les Pieds Nickelés, mise en scène par Yves Robert sur la scène de Bobino. Parallèlement, avec leur propre tour de chant, ils se produisent dans plusieurs cabarets et music-halls de la capitale : La Vie Parisienne, Les Folies-Belleville, l'A.B.C... En les engageant, la Rose Rouge, va asseoir sa réputation de cabaret « mythique » de Saint-Germain-des-Prés.

En septembre 1948, les Frères Jacques inaugurent donc la (deuxième) Rose Rouge, celle de rue de Rennes. « Sociétaires à part entière », ils s'y produiront jusqu'en 1955 (un enregistrement public d'un poème de Prévert, Le Noël des ramasseurs de neige, réalisé le 14 décembre 1954, a été publié dans le coffret Polygram « Jacques Prévert et ses interprètes »). En octobre 1950, sous la direction d'Yves Robert – qui assure la relève de Jean-Pierre Grenier et Olivier Hussenot après leur départ « Chez Gilles », avenue de l'Opéra –, ils y crèent les fameux Exercices de style de Raymond Queneau – ou « les cinquante-sept manières d'avoir une altercation dans un autobus » – qu'ils donneront plus de 600 fois ! Dans le film La Rose Rouge, sur les écrans le 7 février 1951, une comédie touristique de Marcel Pagliero, on peut voir et entendre les Frères Jacques à plusieurs reprises, dans C'est nous les footballeurs, La gavotte des bâtons blancs ou Général Castagnetas, devant un aréopage de généraux mexicains plus vrais que nature...

Ces deux dernières chansons auront des ennuis avec la censure et seront interdites à la radio d'Etat, tout comme Petite fable sans morgue, Son nombril, Quelqu'un, de Prévert (parce qu'il y a le nom Ducon !), Général à vendre...

Le public étranger les réclame : en 1948, ils passent au Saville Theater de Londres. Les maisons de disques commencent à s'intéresser à ce groupe vocal pas comme les autres.

Premiers disques

Petit retour en arrière. À la mi-1947, à la demande des Éditions du Colisée, les Frères Jacques enregistrent une douzaine de chansons paillardes sous les nom des Quatres Jules. Destinés au public étudiant de l'École de Médecine, ces huit 78 tours, parus sur un label spécialisé, se vendront sous le manteau (cinq titres des Quatres Jules ont été réédités en 1997 sur le double CD « L'art paillard », publié par Rym Musique).

Mais leur véritable histoire discographique ne commence qu'en 1949. Le 19 juin, accompagnés par Pierre Philippe, les Frères Jacques enregistrent cinq titres qui paraissent sur trois 78 tours La Boîte à Musique (BAM) : Mon ami m'a donné (Raymond Asso - Claude Valéry), Rose blanche (Aristide Bruant), Ballade des places de Paris (Adolphe Stanislas - Lucien Boyer), Son nombril (Blaise Petitveau - Pierre Philippe), longue chanson qui tient sur les deux faces du disque, et bien sûr L'entrecôte, leur grand succès. Mais le label de Lévy-Alvarez ne saura pas les retenir et, la même année, engagés par Jacques Canetti, les Frères Jacques enregistrent pour les disques Polydor un « coffret » de quatre 78 tours avec neuf chansons de Prévert. L'année suivante, ils reçoivent un premier Grand Prix du Disque de l'Académie Charles Cros pour Inventaire, de Prévert et Kosma.

En 1950, ils enregistrent deux chansons de l'opérette Les Pieds Nickelés.

Le premier récital

Dans ces années d'après-guerre, les artistes français « ont la cote » auprès des Américains : Juliette Gréco et Jacqueline François sont invitées à se produire dans les grands cabarets new-yorkais. En 1952, les Frères Jacques s'embarquent pour les États-Unis et se produisent au Waldorf Astoria, dans le cadre du gala « April in Paris ».

À Paris, le 28 octobre 1952, les Frères Jacques entament leur premier récital au Théâtre Daunou. Ils le donneront près de 120 fois jusqu'au 15 mars 1953 et le prolongeront deux mois au Théâtre de l'Atelier. C'est le seul de leur neuf récitals qui n'a pas fait l'objet d'un enregistrement public. L'affiche, signée Jean-Denis Malclès, les présente comme « les athlètes complets de la chanson », formule due à Yvan Audouard. Leur tenue de scène est maintenant définitive : ils renoncent aux pantalons de velours et aux chemises blanches (cf. photo Harcourt de leurs débuts) pour adopter les fameux collants noirs surmontés de maillots de couleur qui les identifient désormais : André Bellec (vert), Georges Bellec (jaune), François Soubeyran (rouge) et Paul Tourenne (gris-bleu). Quatre couleurs, quatre tempéraments aussi : « Le grand, le petit, le sage et le fou », écrira Lucien Rioux.

En 1953, le cinéma s'intéresse à eux. Sous la direction de Jean Boyer, ils tournent à Rome Le pays des clochettes (Il paese di campaelli) avec Sophia Loren, jeune débutante. En avril 1954, ils enregistrent un de leurs grands succès de cette époque : Général à vendre, un texte irrespectueux de Francis Blanche. Les 26 avril et 19 mai 1954, les Frères Jacques gravent la version disque des Exercices de Style de Raymond Queneau qui paraît sur un 25 cm Philips. Ces variations sur le témoignage humain :

« Un jour vers midi du côté du parc Monceau, sur la plate-forme arrière d'un autobus à peu près complet de la ligne S (aujourd'hui 84), j'aperçus un personnage au cou fort long qui portait un feutre mou... »

sont interprétés par Yves Robert et sa compagnie (Jacques Hilling, Edmond Tamiz, Jean-Marie Amato, Guy Pierrauld). Quatre de ces « témoignages » ont été mis en musique par Pierre Philippe et ce sont les Les Frères Jacques qui les chantent (Tactile, Ode, Onomatopées et Latin de cuisine).

Prévert et les Jacques

Du 23 février au 26 juin 1955, les Frères Jacques présentent leur deuxième récital à la Comédie des Champs-Élysées (qui sera repris du 26 août au 30 octobre de la même année). Parmi les chansons de leur premier 30 cm Philips, on remarque Le complexe de la truite, de Francis Blanche, d'après Schubert, La Marie-Joseph, de Stéphane Golman, Qu'avez-vous à déclarer ? du suisse Jean Villard dit Gilles

Le 4 octobre 1956 a lieu la première représentation au Théâtre de la Porte Saint-Martin de La Belle Arabelle, opérette de Francis Blanche et Marc Cab (texte) et de Pierre Philippe et Guy Lafarge (musique).. Les Frères Jacques y partagent l'affiche avec Lucie Dolène, Jeannette Batti, Paul Le Person, Francis Blanche... La Belle Arabelle est jouée 190 fois du 4 octobre 1956 au 10 juin 1957 au Théâtre de la Porte Saint-Martin puis reprise en septembre et octobre de la même année. En novembre 1956, les Frères Jacques enregistrent cinq chansons de l'opérette, notamment La Belle Arabelle, Les boîtes à musique et La colle au pinceau.

En mars 1957, pour le premier album de la collection Philips-Réalités – lancée par Boris Vian et Jacques Canetti –, ils enregistrent les titres du disque « Les Frères Jacques chantent Prévert ». Ces nouveaux enregistrements des chansons de Prévert et Kosma leur vaudront un deuxième Grand Prix de l'Académie Charles Cros, le 3 mai de l'année suivante. Aussi étonnant que cela puisse paraître, les relations des Jacques avec Prévert seront plutôt... courtoises : « Prévert ne nous a jamais adressé le moindre compliment », dira François Soubeyran. Précision de Paul Tourenne : « D’abord, contrairement à Kosma, Prévert n'était pas un homme à compliments. Pierre Philippe, notre pianiste, était féroce, il ne voulait pas changer le moindre accord. Kosma, lui, était plus arrangeant et venait aux répétitions. Prévert s’en foutait pas mal. Il nous aimait bien mais c'était "bonjour, bonsoir"... (...) En revanche, j’ai eu beaucoup plus de contacts avec son frère Pierre, le patron de la Fontaine des Quatre-Saisons. »

L'été 1957, ils rejoignent la caravane du Tour de France. Ils enregistrent à cette occasion la chanson de Florimond Bonte, Vas-y papa !

Ricet Barrier

De janvier à mai 1958, Les Frères Jacques passent à la Fontaine des Quatre Saisons. En janvier, sous la direction d'André Popp, ils enregistrent Dolly 25, un titre qui s'intégre à l'abum Philips-Réalités « Au temps du charleston ». À la fin de l'année paraît un super 45 tours avec quatre chansons de Ricet Barrier et Bernard Lelou. Alors débutant, Ricet Barrier rencontre les Frères Jacques par l'intermédiaire de Francis Mainville (La voix du sang, C'était un Mérovingien, Le résumé de la situation). Il leur chante une vingtaine de chansons, ils en retiennent neuf, dont Dolly 25. Témoignage de Ricet Barrier : « Quand on l’a vue en scène, j’ai dit à Lelou : "C’est nous qui avons écrit ce chef-d’œuvre ?" Parce qu’on ne reconnaissait pas notre chanson. Quand je montrais une chanson aux Frères Jacques, il fallait que je la sache bien et que je l’interprète pour qu’eux puissent la voir. Quand on propose un projet, il faut qu’il soit parfait, on ne peut pas présenter une chanson à moitié faite parce qu’on ne voit pas. Et ma grande fierté, c’est d’avoir eu 21 chansons chantées par les Frères Jacques. Moi, Ricet Barrier, je suis l’auteur le plus chanté par les Frères Jacques, devant La Fontaine, devant Jacques Prévert ! »

Chansons de repos

En juin 1958, accompagnés par Franck Aussmann, ils enregistrent notamment Au bal des gens de maison, La femme du monde, Eugénie de Beaulieu, Shah, shah persan et leur version du Poinçonneur des Lilas de Gainsbourg.

Malgré les apparences, le répertoire des Frères Jacques n'est pas uniformément « comique » et toutes les chansons ne nécessitent pas une mise en scène particulière. Paul Tourenne : « Il ne fallait pas mettre en scène Le poinçonneur des Lilas, c’est une évocation. Certains auteurs ont été déçus avec les Frères Jacques, Cornille et Bérard, par exemple, qui nous ont écrit Les Halles de Paris. On n'a pas pu suivre leurs idées, mais le soir de la générale, ils nous ont vus les mains derrière le dos, en train d’évoquer les Halles. Ce n'était pas ce qu'ils attendaient mais ça a marché. Nougaro, aussi, a été surpris quand il nous a vu chanter Les Don Juan. Parce qu'on s’est un peu foutu de la gueule des don juan ! Sur Rose blanche ou Barbara, il ne fallait rien faire : ce sont des évocations, on met le public dans une certaine ambiance. Ce sont aussi des chansons de repos dans notre tour. Au bout de quatre ou cinq chansons passées à gesticuler tout le temps, on a besoin de s’arrêter. Pareil pour Adélaïde : on était chacun dans son coin, sous un projecteur, seul avec ses pensées d'émigré qui ne peut pas revenir au pays... »

Le 10 octobre 1958, les Frères Jacques entament leur troisième récital parisien à la Comédie des Champs-Élysées (180 représentations), qu'ils poursuivront en 1959 au Théâtre des Variétés. L'enregistrement public, réalisé le 23 octobre, voit bientôt le jour. Plusieurs succès : Dolly 25, La violoncelliste, Le poinçonneur des Lilas, Le tango interminable des perceurs de coffres-forts, Shah Shah persan, La queue du chat, Les boîtes à musique...

En 1959, l'Angleterre fait à nouveau appel aux Frères Jacques. Ils se produisent à l'Adelphi Theater. À l'exception de deux titres (And the band played on, un traditionnel, et la version anglaise de La Saint-Médard : On Saint-Swintin' day), leur tour de chant est en français, leur metteur en scène, Frank Dunlop, leur ayant écrit les textes d'introduction. Ce « récital anglais » est un succès. Jacques Canetti leur propose de le présenter à Paris, à la Cité Universitaire, devant un public composé en majorité d'étudiants anglo-saxons. L'enregistrement restera inédit jusqu'à sa publication intégrale en 1996 par Rym Musique (double CD).

La Fontaine et De Gaulle

Février 1961. Les Frères Jacques enregistrent d'autres succès : Stanislas, un titre du répertoire de Ricet Barrier, et La vierge Éponine, un texte du cinéaste Henri-Georges Clouzot. Du 6 octobre 1961 à la fin décembre 1961, ils se produisent à la Comédie des Champs-Élysées. Ce quatrième récital parisien se poursuit, début 1962, au Théâtre des Ambassadeurs, et fait l'objet d'un enregistrement public sur le dernier album de la collection Philips-Réalités (V 43). S'ils lui ont précédemment refusé Paris canaille, cette fois, ils reprennent une chanson rare de Léo Ferré, Chanson mécanisée.

En 1963, alors que les yéyés occupent les meilleures places dans les médias, les Frères Jacques marquent une pause et se concentrent sur le répertoire classique. Pour l'Encyclopédie sonore Hachette, ils enregistrent plusieurs disques : Le Bourgeois gentilhomme, Le Médecin malgré lui, Le Malade imaginaire. En décembre 1963, ils commencent l'enregistrement de leur disque consacré aux Fables de La Fontaine qui sort en septembre 1964. Suivant le conseil du pape Jean XXIII, qui, en 1965, recommandait aux chefs d'État les Fables de la Fontaine comme livre de chevet, les Frères Jacques adressent un exemplaire de leur disque au... Général de Gaulle qui leur fera part de « l'agrément que m'a procuré et me procurera votre excellente interprétation des Fables de La Fontaine ! »

Le 1er octobre 1964 débute leur Cinquième récital à la Comédie des Champs-Élysées. Leur répertoire s'est élargi à de jeunes auteurs comme Claude Nougaro (Les Don Juan), Jacques Debronckart (Adélaïde, Les barbouzes), Jean-Claude Massoulier (Le twist agricole, C'est ça l'rugby) ou Henri Gougaud (Béton armé).

En juin 1965, sous le nom transparent des Frères Jacobus, les Frères Jacques enregistrent l'album « Chansons roides et vi-goureuses » sur un petit label Folkloriche (il sera réédité en 1970 par Fontana puis Philips sous leur vrai nom). Ils s'attaquent ensuite au répertoire 1900 (album « Chansons vécues », 1966) et aux folklores français et canadien (album « Ah ! si mon moine voulait danser », 1968).

Le 1er janvier 1966 est une date clé dans la vie des Frères Jacques : Hubert Degex remplace Pierre Philippe comme pianiste. Du 26 septembre 1968 à la fin janvier 1969, ils se produisent au Théâtre Fontaine. C'est leur sixième récital parisien. L'enregistrement public, « Chanson sans calcium », est leur dernier disque Philips. On peut y entendre notamment Le fric (de Christian Arabian), C'que c'est beau la photographie (Jean Cosmos et Hubert Degex – sa première composition), Chanson sans calcium (Jean-Claude Massoulier et Maurice Blanchot), Nos quatre cents coups, une très belle chanson d'atmosphère de Gilbert Bréhant et Gaby Verlor.

En 1969, les Frères Jacques reçoivent le Grand Prix In Honorem de l'Académie Charles Cros pour l'ensemble de leur œuvre. En 1970, ayant quitté la maison de disques Philips, ils enregistrent six titres chez Festival qui paraissent sur deux 45 tours (Dieu, où est ce peloton, La chanson de la vie).

Récital d'adieu

Du 13 octobre 1972 au printemps 1973, ils sont sur la scène du Théâtre Saint-Georges pour leur Septième récital, qui sera repris à Bobino en septembre. En 1973, les Frères Jacques signent avec le label Arion d'Arianne Ségal, chez qui ils enregistreront quatre albums (« La confiture », « Les fesses », « Le Brassens des Frères Jacques », « Mythologie », avec onze chansons de Ricet Barrier et Bernard Lelou).

En octobre 1975, débute leur Huitième récital à la Comédie des Champs-Élysées, et c'est quatre ans plus tard, le 16 octobre 1979, qu'ils entament à la Comédie des Champs-Élysées leur neuvième (et dernier) récital, intitulé « De l'Entrecôte à La Confiture, récital d'adieu ». Après une tournée de plus de vingt mois, il s'achève... le 3 janvier 1982 au Théâtre de Boulogne-Billancourt, dirigé par Jean-Pierre Grenier, la salle de leurs débuts. Ce récital d'adieu sera exceptionnellement poursuivi les 16 et 17 février 1982 au Théâtre municipal de Lausanne.

Depuis qu'ils ont quitté la scène, les Frères Jacques ne sont pas restés inactifs. André Bellec a repris le dessin, Georges Bellec la peinture, François Soubeyran s'adonne à la poterie et Paul Tourenne, « l'archiviste » du groupe, recherche des documents sur les Frères Jacques et continue de se passionner pour la photo. Il expose avec Fred Mella des Compagnons de la Chanson et Pierre Jamet des Quatre Barbus (un recueil de leurs œuvres, Temps de pause, est paru récemment aux éditions Alternatives). Si leur premier pianiste, Pierre Philippe, est décédé en juin 1995, Hubert Degex, resté dans le métier, accompagne parfois de jeunes artistes.

Le 6 mai 1996, à la 11ème Nuit des Molières organisée au Théâtre Marigny, les Frères Jacques ont reçu un « Molière d'honneur » des mains de Raymond Devos en hommage à leur 36 années de chansons. « Hygiénistes en chef de la santé morale du pays » (Raymond Queneau), « mousquetaires de la chanson » (Jean Anouilh) ou simplement « fils de joie » (Marcel Achard), André, Georges, François et Paul ont donné ses lettres de noblesse à la chanson mise en scène, qu'elle soit comique ou poétique. Comme l'écrit Éric Zimmermann, « il fallut bien du talent aux Frères Jacques, et une discipline exemplaire, pour trouver cette formule scénique, qui s'inspirait intuitivement de la beauté statuaire et de l'élégance du danseur classique, sans déconcerter le public populaire. »

Raoul Bellaïche

Sources :

• Cécile Philippe et Patrice Tourenne : Les Frères Jacques, Balland, 1981.

• Les Frères Jacques : 36 années de chanson, éditions de la Source, 1987.

• Éric Zimmermann : Les Frères Jacques, éditions Didier Carpentier, 1999.

JE CHANTE n° 9 (Ricet Barrier), JE CHANTE n° 17 (dossier les Frères Jacques).

Texte rédigé pour le longbox édité par Universal en 2001.

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