André Popp a fait une brillante carrière d’arrangeur, de chef d’orchestre et surtout de compositeur. Il est revenu dans l’actualité musicale grâce au passage de « Piccolo » au grand écran en 3D, pour lequel il a écrit une nouvelle partition.
Une longue interview du compositeur de « Piccolo Saxo » et de très nombreux succès depuis les années 50, des Lavandières du Portugal à Love is blue, en passant par Tom Pillibi et Le Chant de Mallory, sans oublier les grands succès de Marie Laforêt (Mon amour, mon ami, Manchester et Liverpool...).
À l'occasion de la sortie d'un coffret de 6 CD, nous publions cet entretien de 2007.
JE CHANTE MAGAZINE. — Quel a été votre itinéraire ?
ANDRÉ POPP.— Je suis arrivé à Paris avec mon ami Jean Broussolle. Il chantait et ça ne marchait pas tellement. On a écrit une série de chansons pour Catherine Sauvage. Puis je suis rentré au « Club d’essai », fondé par Jean Tardieu. Il écrivait des pièces et avait créé ce club pour aider des jeunes auteurs, compositeurs, comédiens... J’y ai rencontré quantité de gens inconnus à l’époque et qui ont tous fait une belle carrière.
Le Club d’essai dépendait de la radio ?
C’était une annexe de la radio, mais qui disposait d’une certaine liberté. Ils m’ont donné des morceaux à composer, des opéras-bouffes. J’étais payé. Cela leur avait plu, ils m’ont confié une émission de chansons : Chansons pour demain. J’ai fait les orchestrations. Comme j’ai du goût pour l’insolite, j’avais constitué un ensemble avec des ondes Martenot, un clavecin, un basson et un accordéon. Ils m’ont alors commandé une espèce de comédie musicale ; elle est passée sur une grande chaîne avec beaucoup de succès : On a volé le Père Noël. Puis on m’a demandé de faire La bride sur le cou avec Jacques Martin. C’était l’émission-phare du samedi soir, réalisée par Jean Bardin et Bernard Hubrenne. Une demi-heure de musique, moitié chansons moitié orchestre. Ça a duré quatre ans. Puis l’émission est devenue publique. Alors, j’ai monté un orchestre de jazz et Jacques Canetti a fait un disque (« La musique qui fait Popp ») de tous les morceaux que j’avais créés pour l’émission. Ça m’a appris à composer, orchestrer, diriger. Toutes choses que je n’avais jamais étudiées.
Vous avez toujours voulu faire de la musique ?
Ah ! Oui. Ça a commencé pendant la guerre. Tout jeune, j’inventais des émissions de radio au piano. Je faisais le speaker, la publicité... À la guerre, l’abbé qui tenait l’harmonium à la chapelle a été mobilisé. On m’a demandé si je pouvais accompagner la messe. J’ai appris le grégorien tout seul. J’ai commencé à jouer, à improviser. Je passais toutes les récréations à répéter les morceaux que j’allais jouer à la messe le dimanche suivant. Mon goût n’allait pas vers Bach, Beethoven ou Mozart mais vers des musiques contemporaines : Louis Vierne, Jean Langlais, Olivier Messiaen. D’ailleurs, un jour, un professeur de musique m’a dit : « Vous devriez aller voir Messiaen. » À l’époque, j’avais composé deux morceaux pour piano et un pour piano-violon. Je suis allé le trouver pour lui demander des leçons. Il a regardé ce que j’avais écrit et m’a dit : « Mais je n’ai rien à vous apprendre. Continuez comme ça. C’est très bien. » Je suis rentré chez moi un peu sidéré. Peut-être avait-il raison puisque je sais écrire de la musique et je sais la diriger. Je viens de composer la musique d’un film et j’ai eu l’impression de me retrouver cinquante ans en arrière quand j’ai composé le premier « Piccolo ». J’avais l’inspiration qui venait, sans vraiment chercher. C’est un don du ciel (s’il existe mais je n’y crois pas). Je suis étonné moi-même quand je relis des trucs que j’ai composés il y a longtemps. C’est étonnant l’inspiration. On m’a souvent demandé « Comment ça vous vient ? »
Le matin, en vous réveillant ?
Ça m’est arrivé. Par exemple pour Le fils, le thème m’est venu en pleine nuit. Dans ce cas, je me lève pour le noter, parce que ça ne revient pas. Surtout maintenant où je perds la mémoire. Je me considère comme un privilégié car je n’ai jamais eu le sentiment de travailler. Pour moi, la musique n’est pas un travail mais un plaisir.
Vous n’avez jamais été obligé de faire de « l’alimentaire » ?
Un peu tout de même, à une époque où je ne gagnais pas d’argent. J’ai été arrangeur et ce n’était pas alors très bien payé. Mais j’ai eu beaucoup de plaisir à le faire et j’ai rencontré de grands artistes.
Sur les pochettes Philips, on lisait souvent : « Avec André Popp et son orchestre ». C’est vous qui trouviez les musiciens ?
Je les connaissais. Et s’il fallait des musiciens classiques, j’avais un régisseur, Bonnet, qui était violoniste à la Garde républicaine. Pendant des années, c’est lui qui a convoqué mes musiciens. Sauf la rythmique. Là, j’appelais un batteur qui était un ami. Chez Philips, j’ai eu Lily Laskine, la grande harpiste. Elle aimait venir à mes séances car elle aimait ma musique. J’ai eu aussi le flûtiste Roger Bourdin. La première orchestration que j’ai faite, c’était pour Grand-papa laboureur par Catherine Sauvage. J’avais écrit la musique mais, à cette époque, je n’avais pas encore dirigé. C’est Michel Legrand qui l’a fait. Ce jour-là, j’arrive dans la cabine, André Tavernier, l’ingénieur du son, demande : « Mais qui a fait cet arrangement ? C’est bizarre... » La séance se termine. Je n’avais rien dit. Michel Legrand me présente : André Popp, le compositeur et l’arrangeur. Et Roger Bourdin me félicite, disant que c’était très original. Si vous aviez vu la tête de Tavernier...
Vos arrangements étaient d’avant-garde ?
Oui. Mais... c’était comme ça. C’était mon goût. Et ça a continué. Encore maintenant, je suis d’avant-garde par rapport à tout ce qui se fait. J’allais écouter les concerts de Stan Kenton. C’était pourtant dissonant. Mais ça remplissait la salle. La musique de jazz reste moderne. Même un peu trop à mon avis, certains se perdent un peu... Au temps de l’ORTF, Henri Dutilleux était directeur de la musique à Radio-France. Je faisais partie des compositeurs à qui on passait des commandes. Tous les ans, on me demandait un morceau. Une fois le travail terminé, on allait le soumettre au directeur qui disait : je vous donne tant... Un jour, je lui montre une suite et il me dit : « Je vais vous donner plus qu’aux autres car vous écrivez mieux. » Venant de lui, ça m’a fait plaisir parce que c’est un des rares musiciens contemporains écoutables. La musique, c’est fait pour donner de la joie aux gens. Quand ça devient grinçant, il n’y a plus aucune sensibilité. Je ne sais pas comment des gens peuvent payer pour aller écouter des horreurs pareilles ! Je suis allé récemment écouter un concert de Ligety. Il y avait un morceau intéressant. Mais le reste...
C’est un peu ce qui se passe dans tous les arts, non ?
Oui, en peinture également. Dans la musique, avec Ravel, Stravinsky, Messiaen, on est arrivé à un summum. La musique de Stravinsky est tellement belle. Et pourtant, c’est dissonant. Mais ça reste écoutable. Il y a un style. Qu’est-ce qu’on peut écrire après ça ? On ne peut que redescendre. Même chose en peinture. Encore que... Dans la peinture abstraite, même si ça ne représente rien, les coloris sont jolis. Il y a quelque chose à regarder.
Ne trouvez-vous pas que les variétés actuelles sont un peu pauvres au niveau des arrangements ?
Il n’y a plus d’arrangements. Tout est fait au synthétiseur. Ça coûte trop cher de payer des orchestres... Toutes les musiques se font au synthé. Ou alors, si c’est un orchestre, on va à Prague...
Parlons de vos chansons. Les Lavandières du Portugal a été votre premier succès...
Oui. J’avais entendu un disque américain, avec trois cors qui jouaient la mélodie, et ça m’avait plu. J’ai pensé qu’il serait amusant de faire une chanson dans ce style et je l’ai proposée à Jean Dréjac. Au bout de huit jours, il n’avait rien trouvé. J’ai alors donné la musique à Roger Lucchesi, la première personne que j’avais rencontrée en arrivant à Paris – on habitait le même immeuble – et c’est lui qui a trouvé les paroles.
Elle a été reprise à l’étranger ?
Elle a d’abord été interprétée par une comédienne. Puis, un jour, Lucchesi va proposer des chansons à Jacqueline François. Il lui en montre quinze ! Jacqueline n’est pas tellement emballée. Alors, en dernier recours, il lui montre Les Lavandières. Elle dit : « Je la prends ! »
Pourtant, ce n’était pas tout à fait son style ?
Non, mais Michel Legrand a fait un arrangement qui reste toujours moderne. Et c’est devenu le succès que vous connaissez.
Je crois que dans la foulée, il y a eu aussi un film...
Oui, avec Jean-Claude Pascal. Un film réalisé par Pierre Gaspard-Huit et produit par José Bénazéraf, bien avant qu’il ne se spécialise dans les films pornos.
Et la musique de La rue s’allume, cette très jolie chanson de Louis Ducreux, enregistrée par Michèle Arnaud ?
Louis Ducreux était un très bon mélodiste mais ne savait pas écrire la musique. C’est une des premières personnes que j’avais rencontrées grâce aux éditions Raoul Breton. Il s’est mis à faire des musiques pour Le journal officieux de France Culture. Il avait besoin d’un musicien. Et quand il a écrit La rue s’allume, il m’a demandé de l’harmoniser.
À cette époque chez Philips, quels étaient vos rapports avec Jacques Canetti et Boris Vian ?
Avec le premier, je suis devenu pianiste aux Trois Baudets et avec l’autre, je suis devenu musicien de jazz. Je suis resté aux Baudets pendant trois ans. On a fait trois revues. La première, 39,5°, était de Pierre Dac et Francis Blanche. Puis une autre avec Yves Robert et la troisième avec François Billetdoux.
Qu’y avait-il dans ces revues ?
Des sketches, des ballets. Il fallait donc des musiques. Ça m’a permis de rencontrer des gens très connus. Tout le monde a démarré dans ce cabaret. Comme ça marchait bien, Canetti m’a fait signer chez lui. C’est Darry Cowl qui m’a succédé au piano. Un jour, un artiste est arrivé en retard. On a dit à Darry Cowl de meubler. Alors, il s’est mis à parler en jouant de la musique. Il a commencé comme ça.
Quand vous étiez chez Philips, vous ne pouviez pas enregistrer dans d’autres maisons de disques ?
Ah ! Non. Mais trois jours après avoir signé le contrat, Barclay me téléphonait et m’invitait à dîner. Il voulait que je rentre chez lui. J’ai dit : « Trop tard ! »
En quoi consistait le disque intitulé « Elsa Poppin’ et sa musique sidérante » ? Je ne connais que La java des bombes atomiques, une très chouette version instrumentale...
Le disque était composé de quatre javas, quatre tangos et quatre charlestons. Outre La java des bombes atomiques, il y avait Musique mécanique qui avait servi de générique à Chansons pour demain. C’était d’abord une musique pour cette émission puis elle est devenue une chanson. En même temps que j’enregistrais la musique, Boris, présent dans le studio, écrivait des paroles. Il a écrit plusieurs chansons sur mes musiques. Quelquefois trop vite. Et Musique mécanique a été chantée par Gréco. Ce n’était d’ailleurs pas facile à chanter.
Vous étiez ami avec Vian ?
Oui, mais malheureusement, je l’ai connu peu de temps avant sa mort. Au départ, je ne l’aimais pas beaucoup. Dans les soirées, il était très excentrique : il arrivait avec un smoking violet... Je trouvais qu’il « la ramenait un peu ». Et comme il était directeur artistique chez Fontana, il est devenu le mien. À partir de là, on s’est appréciés mutuellement. Mais il n’a pas tellement participé au disque Elsa Poppin’. Il a expliqué au dos de la pochette comment j’avais procédé. La société hollandaise Basta a ressorti cet album et on peut le trouver sur Internet.
Il y avait des trucages dans ce disque ?
Il n’y avait que ça mais c’était très artisanal. Nous avions cinq magnétophones que l’on faisait partir les uns après les autres. On passait des trucs à l’envers ou à double vitesse... Le disque est sorti aux États-Unis et a connu un certain succès. Un jour, j’étais convoqué chez Mitch Miller, directeur à la MGM, qui me dit : « Qui est ce prodigieux trompettiste que vous avez dans votre disque ? C’est extrêmement difficile de jouer comme ça... » Je vais vous décevoir, lui ai-je répondu, c’est un trombone qu’on a enregistré à demi-vitesse et, à la vitesse normale, ça donne un son de trompette... C’était dans Perles de cristal, le classique de l’accordéon. À la vraie vitesse, ce serait complètement impossible. Il a été sidéré. Erroll Garner et d’autres musiciens m’avaient félicité pour ce disque.
Vous maîtrisiez bien tous ces trucages ?
Cette recherche de sons fait partie de mon côté insolite... Mais le disque était une initiative de Vian et Canetti. Ma femme chantait là-dedans. On avait enregistré La polka du roi de Trenet avec les paroles à l’envers. Pour polka ça donnait aklop. Et remis à l’endroit, on avait l’impression d’une femme chantant avec un fort accent allemand !...
Chez Philips, vous étiez « l’arrangeur-maison » ?
Oui, mais il y avait aussi Alain Goraguer, André Grassi et Michel Legrand. Goraguer était plus axé sur les chanteurs un peu jazz, Salvador par exemple. C’était Canetti qui répartissait le travail.
Il paraît qu’un super 45 tours quatre titres était enregistré en trois heures ?
On faisait tout en direct. On déchiffrait l’arrangement et le chanteur se mettait à chanter. Pour Brel, deux prises suffisaient. Pour Gréco aussi. Je m’étais amusé, pour Les feuilles mortes, à écrire un arrangement très compliqué pour la « tester »... Du premier coup, elle a démarré juste où il fallait ! J’ai fait aussi beaucoup de disques avec Mouloudji. Puis j’ai arrêté parce que ça me « bouffait mes idées ». Mais ça m’a permis de gagner ma vie.
On en arrive à la période « Piccolo, saxo et compagnie ». Il y en a eu combien ?
Cinq en tout. Ça a commencé en 1956. J’étais chez Philips et un jour, Canetti m’a appelé dans son bureau pour me faire écouter un disque américain intitulé Toby le tuba. « Je voudrais que vous fassiez quelque chose qui soit décalqué là-dessus. » Je lui ai répondu : « Pas question. Mais si vous voulez un truc pour faire reconnaître aux enfants les instruments de musique, ça m’intéresse. » J’ai eu carte blanche. Je suis allé voir mon ami Jean Broussolle, qui s’est vite révélé un auteur prodigieux, les scénarios des cinq albums sont vraiment formidables, il n’y avait pas une virgule à changer. Je n’ai eu qu’à mettre « mes pieds dans ses chaussures »...
Ça a été difficile à enregistrer ?
Pas du tout. Il m’a donné les textes. J’ai fait les musiques dessus et, un mois plus tard, on enregistrait avec un grand orchestre. Ou plutôt, j’enregistrais tout seul car Broussolle avait rejoint les Compagnons de la Chanson. J’étais seul avec le père Tavernier, qui était le directeur artistique du studio Philips. Un homme formidable. Ça a été mes débuts dans les grands orchestres.
Les « Piccolo » avaient été édités en livres-disques.
Oui. L’intérêt du livre-disque, c’est qu’il y avait aussi le texte et les illustrations. Ils ont tout de suite très bien marché. On a eu le Grand Prix du Disque. L’année suivante, on m’en a commandé un deuxième : « Passeport pour Piccolo et Saxo ».
Comment avez-vous eu l’idée du nom ?
C’est Broussolle qui l’a trouvé. C’était amusant d’incorporer le saxophone à l’orchestre classique.
Est-ce que « Piccolo » a été donné en concert ?
Pas avant 1980. Comme ça marchait tout seul, Philips n’a jamais fait aucune promotion. Je me souviens d’être allé trouver Georges Meyerstein, le directeur général de Philips, et Jacques Canetti qui, au fil des années, se disputaient la paternité de l’idée. Je leur avais suggéré : « Prenez l’avion et allez voir Walt Disney ! » Ça aurait été formidable, mais ils n’ont jamais voulu. Le troisième Piccolo s’est appelé « Piccolo Saxo et le Cirque Jolibois ». Dans cet épisode, les animaux apprennent la musique parce que le cirque est en faillite... J’avais fait venir les Sipolo, deux clowns musicaux. En 1958, on les voyait souvent à la télévision. Puis le monsieur est mort. Sa femme est venue à Toulouse quand on a joué « Le Cirque Jolibois » en concert, et je peux vous dire qu’elle a « assuré ».
Et les deux derniers « Piccolo » ?
Entre le troisième album et les deux derniers, il s’est écoulé plus de dix ans. Entre temps, il s’est passé beaucoup de choses... C’est à cette époque que sont apparus tous les appareils électriques. Les guitares se sont électrifiées et sont apparus le synthétiseur et les ondes Martenot. En 1972, on m’a commandé un nouveau disque, « Piccolo Saxo à Music City », et en 1978 la « Symphonie écologique ». Et là encore, très peu de publicité a été faite.
Que sont précisément les ondes Martenot ?
C’est un instrument électronique qui permet d’avoir des sons éthérés. Olivier Messiaen l’a utilisé. Dans « Piccolo », j’ai d’ailleurs fait un hommage à Messiaen qui est un de mes musiciens préférés. Dans une séquence où je présente les ondes Martenot, j’ai fait une musique « à la Messiaen ». Sur un disque pour enfants, c’était un peu culotté...
Peut-être, mais dans une préface de disque, vous disiez : « J’aime glisser de la musique populaire dans la musique symphonique et être savant dans la musique populaire... »
Parfaitement. D’ailleurs, dans le film tiré des « Piccolo » dont je viens d’écrire la musique, vu le scénario, je ne me suis pas privé de faire de la musique dissonante.
Ça fait bien dix ans qu’on parle de ce film...
Il y a eu quatre projets qui ont pris, chacun, trois ans, pour écrire le scénario et trouver les personnages... Les trois premiers projets ont capoté et le quatrième a changé trois fois de réalisateur. Il n’y avait plus d’argent, on a été obligé de trouver un autre co-producteur.
C’est un dessin animé ?
En 3 D. L’animation est faite en Roumanie où un nouveau studio a été spécialement créé à cette occasion. [intitulé Piccolo, Saxo et Compagnie, ce film est sorti à la Noël 2006]
Vous avez repris des musiques existantes ?
On a gardé le thème principal, que j’ai « trituré ». Mais c’est une nouvelle histoire, avec un méchant. Maintenant, il faut un méchant pour que ça marche... Le méchant veut détruire l’orchestre classique et ses instruments. Il invente l’instrument soi-disant idéal pour remplacer tout l’orchestre. Les clefs ont été volées et tout le monde accuse tout le monde. Bref, c’est le monde moderne... C’est moins à la gloire de la musique que le premier « Piccolo », mais je pense qu’ils ont eu raison de faire ça. Ça devrait étonner un peu sur le plan musical, car c’est la première fois — à ma connaissance — que l’on fait une telle musique pour un dessin animé.
Les murs de votre séjour sont tapissées d’affiches... Celle-là, avec Henri Salvador, c’est à quelle occasion ?
C’est un concert de « Piccolo » donné en 1993 à Bruxelles dont Salvador en était le récitant. Je n’avais jamais vu une salle aussi heureuse, à la sortie, tout le monde avait le sourire. Mais... ce concert n’a pas été enregistré, pas davantage que ceux donnés au Mexique ou en Colombie. Ça se joue également en Allemagne, en Autriche, en Espagne.
Qu’avez-vous fait d’autre à la même époque que « Piccolo » ?
Beaucoup de choses. Tous les « Tintin » pour la radio, les « Babar », ainsi que la première adaptation de Babar pour la télévision, avec des comédiens portant des masques. Je trouvais ça beaucoup mieux que l’animation qui a été faite par la suite. Vous voyez, j’ai passé une partie de ma vie à travailler pour les enfants !
Pour la radio, vous avez aussi composé le générique de l’émission policière Les Maîtres du Mystère...
J’ai composé deux génériques mais celui que l’on connaît le plus s’appelle Tempo di suspense. L’émission, produite par Pierre Billard, a duré vingt-cinq ans à la radio, elle est également passée dans les DOM-TOM. J’ai touché des droits extraordinaires. Récemment, plusieurs de ces émissions ont été rééditées en cassettes audio par France Loisirs.
Vous avez composé d’autres génériques ? Des chiffres et des lettres, par exemple...
Oui. Ils l’ont utilisé pendant un an ou deux puis ils en ont choisi un autre, composé par Eddie Warner
Et La tête et les jambes ?
Là, ça a toujours été moi. Pierre Bellemare avait choisi ce thème sur le disque que j’avais fait chez Philips. J’ai eu l’occasion de le rencontrer voici quelques années quand le disque de « Piccolo », joué par l’Orchestre de Paris, est sorti. Il m’a invité dans son émission du matin, Télé-achat, mais pendant les « Piccolo », je n’ai eu aucune invitation à la télévision. Heureusement, j’ai eu des émissions de radio, notamment celle de Frédéric Lodéon.
Une grande part de votre activité est consacrée à la chanson. On se souvient de Tom Pillibi, des chansons pour Marie Laforêt...
Pierre Cour avait trouvé le personnage de Tom Pillibi. En général, avec Pierre Cour, je faisais la musique d’abord. Et pour le Grand Prix de l’Eurovision 1960, nous avions eu Jacqueline Boyer. Une très bonne chanteuse, mais qui a eu rapidement la grosse tête, et elle n’a pas fait carrière. C’était une époque où l’on était très vite propulsé. Mais elle n’avait qu’une seule chanson.
Pour l’Eurovision, vous avez récidivé en 1964 avec Le chant de Mallory, une mélodie magnifique...
Le chant de Mallory est – je crois – le premier morceau symphonique que j’ai composé. Il a été joué par l’orchestre de Paul Bonneau. Un réalisateur de radio m’avait convaincu que c’était un thème de chanson. Donc, avec des paroles de Pierre Cour, c’est devenu Le chant de Mallory, chanté par Rachel à l’Eurovision. La chanson a été également enregistrée par les Compagnons, qui ont aussi chanté L’amour est bleu.
Votre plus grand succès, je crois, mais en France, on connaît surtout la version de Paul Mauriat.
Cette chanson aussi a été composée pour l’Eurovision avec – encore – des paroles de Pierre Cour, pour la chanteuse grecque Vicky Leandros. J’avais cherché pendant un mois et, un matin, je me suis mis au piano et la mélodie est venue toute seule... J’ai donné la musique à Pierre Cour, qui a fait les paroles et trouvé le titre. L’amour est bleu a été enregistré par l’orchestre de Paul Mauriat. Le disque a plu à un disc-jockey du Minnesota qui l’a diffusé toutes les heures sur sa radio. Le téléphone de la station n’a pas arrêté de sonner et ça a fait boule de neige dans tous les États-Unis !
Et vous avez été numéro 1 !
Pendant six semaines. C’était en 1967. Il y a même eu une version par un groupe de Noirs. Avec Love is blue, nous avons eu cinq versions différentes classées au hit-parade. La Française Claudine Longet, épouse d’Andy Williams, a été la première à l’avoir enregistrée. Paul Mauriat a fait une grande carrière au Japon avec Love is blue. Depuis 1967, son orchestre part tous les ans en tournée au Japon. Dès l’annonce de sa venue, toutes les places sont louées dans la journée. Paul Mauriat a arrêté – il a mon âge – mais son orchestre continue. À Europe n° 1, Lucien Morisse n’a jamais voulu passer le disque. Toute leur programmation se faisait d’après les États-Unis. RTL était co-éditeur de la chanson mais on ne peut pas dire qu’ils aient fait beaucoup d’efforts... Love is blue a été numéro 1 partout sauf en France !
Qui a chanté L’amour est bleu en France ?
Michèle Torr et Les Compagnons de la Chanson, mais ça n’a pas beaucoup marché. Il en existe pourtant 500 versions dans le monde, qui représentent quarante millions de disques vendus, mais quand on parle des grands succès français, celui-ci n’est jamais cité... Tant pis ! Je préfère avoir fait un succès mondial plutôt qu’un succès français !
Ce qui veut dire beaucoup de droits ?
Et ça rapporte toujours. Du monde entier, sauf de la France. Je n’ai pas d’autre exemple. Je trouve que c’est une gifle faite à Paul Mauriat qui en a fait l’orchestration.
Il faut dire que depuis les années 80, ce genre d’orchestres est plutôt déprécié en France...
Complètement. Il y avait Caravelli, Raymond Lefèvre. Disparus ! Il reste André Rieu... Je suis allé six fois au Japon, j’y ai retrouvé Paul Mauriat qui m’a demandé d’assister à l’un de ses concerts : la salle était archi-comble. À la fin, il m’a présenté au public. Pendant trois quarts d’heure, j’ai signé des autographes. Paul Mauriat est également passé dans toutes les télévisions américaines. Il avait un succès fou.
Pour Marie Laforêt, ce n’était plus avec Pierre Cour que vous faisiez des chansons mais plutôt avec Eddy Marnay...
Marie Laforêt est la dernière personne que j’ai accompagnée et pour laquelle j’ai fait des arrangements. J’ai composé exactement vingt-trois morceaux pour elle. J’avais une seule exigence : je voulais bien l’accompagner à condition qu’elle enregistre un de mes morceaux sur chacun de ses disques. C’est moi qui ai fait le succès des Vendanges de l’amour. La musique de Danyel Gérard comportait huit mesures, il fallait trouver un « pont musical ». À l’époque, en termes de droits, la part de l’arrangeur n’existait pas et les auteurs n’ont pas jugé bon de... Heureusement, je n’ai jamais couru après ça.
Il y a eu ensuite Mon amour, mon ami, Manchester et Liverpool...
Oui, avec Eddy Marnay. Manchester et Liverpool est une de celles que je préfère. Je suis toujours à la recherche de sons un peu bizarres et j’avais marqué le rythme avec... des boules de pétanque ! J’étais amateur de pétanque et j’avais remarqué que les boules entrechoquées faisaient un joli son... Manchester et Liverpool est devenue un gros succès au Japon, enregistrée par un groupe anglais qui a tenté de reproduire ce son. Plus tard, j’ai rencontré le producteur qui m’avait demandé comment je l’avais obtenu. Quand je le lui ai dit, il a bien ri... Cette chanson a aussi été l’indicatif du journal télévisé à Moscou pendant des années. Encore maintenant, je touche des droits de Russie... Mais j’ai fait beaucoup d’autres chansons qui n’ont eu aucun succès puisque sur les 45 tours, il y avait quatre titres, on n’en passait qu’un et les autres restaient ignorés.
Vous avez également composé avec Jean-Claude Massoulier.
Nous avions fait beaucoup de chansons ensemble mais ça a moins bien marché qu’avec Pierre Cour. On a fait Le twist agricole et C’est ça l’rugby pour les Frères Jacques. Massoulier écrivait des chansons formidables mais il n’avait pas la voix qui convenait pour les chanter. Même chose pour Jean Broussolle : sa voix de ténor n’allait pas du tout avec ses chansons. Heureusement pour lui, ça a très bien marché avec les Compagnons : il leur a écrit tout leur répertoire scénique.
À quand remontent vos dernières chansons ?
À pas mal d’années... J’ai dans mes tiroirs une cinquantaine de chansons qui pourraient très bien marcher. Autrefois, on décrochait son téléphone et on avait l’artiste au bout du fil. Maintenant, on a un agent ou encore quelqu’un d’autre. Alors, je laisse courir...
Qu’avez-vous fait pendant la période yéyé ?
Des chansons. J’en ai eu une chantée par Claude François, une autre par Sylvie Vartan. Elle a très bien chanté L’amour, c’est comme les bateaux (4), qui sortait un peu de son répertoire, mais la chanson a été un peu étouffée par le succès de L’amour, c’est comme une cigarette, au titre ressemblant.
L’arrivée de la pop-music vous a-t-elle inspiré ?
Bof ! C’était surtout de la rythmique. D’ailleurs, j’en ai mis dans le quatrième Piccolo. C’est intéressant mais on en a vite fait le tour. On a utilisé des boîtes à rythmes parce que certains batteurs ne tenaient pas le tempo...
« La dernière fois que j’ai apporté des copies de mes maquettes chez Universal, ils m’ont dit : “Il faut faire de l’Obispo ou du Goldman.“ Je leur ai répondu de s’adresser à Obispo ou à Goldman ! Le métier a beaucoup changé. Tout est formaté. Il n’y a plus de place pour la fantaisie et tout ce qui faisait l’intérêt de notre métier. »
Et maintenant, que fait André Popp ?
J’en suis arrivé à l’âge où on me rend hommage... Récemment, on m’a appelé pour me dire : « Je voudrais te présenter quelqu’un qui aime beaucoup ce que tu fais. Il s’appelle Fred Pallem. » J’ai rencontré un jeune musicien de vingt-cinq ans environ, avec un orchestre de jazz de dix-sept musiciens, qui me dit : « J’ai découvert vos musiques et je veux vous rendre hommage. » Le concert a eu lieu dans le cadre des « Banlieues bleues » et s’est appelé « Le Sacre du Tympan ». On avait invité Émilie Simon (la compositrice de la bande originale du film La marche de l’empereur), Vincent Segal et des musiciens de jazz. Et comme ça a bien marché, Fred Pallem a intégré quelques uns de mes morceaux dans ses concerts, et il en a enregistré trois.
Des morceaux connus ?
Sexy sax, Cœur mécanique et... j’ai oublié le troisième. J’ai eu des articles dans tous les journaux de jazz. Me voilà devenu musicien de jazz, à 80 ans. C’est drôle, non ? Et pour des musiques composées voici cinquante ans... J’ai ensuite rencontré Bertrand Burgalat, musicien et fondateur du label Tricatel, qui voulait faire un disque avec toutes mes chansons enregistrées par Bardot, Gréco, Julie Andrews (qui m’a fait un très joli Tom Pillibi)... Mais la maison de disques Universal ne m’a pas donné l’autorisation. Tout leur appartient et ils n’en font rien, on devrait les attaquer ! On a donc été obligés de prendre des enregistrements disponibles qui me plaisaient moins... Tous les journaux ont écrit des articles élogieux sur cette compilation. Mais je n’ai jamais été un gros vendeur de disques, sauf pour « Piccolo ».
À l’époque de L’amour est bleu, je me trouvais au Japon. Je reçois un coup de téléphone à mon hôtel d’un guitariste hawaïen, Herb Ohta : « J’aime bien votre chanson Love is blue, et j’aimerais vous rencontrer. » Ce monsieur vient me voir et se met à jouer L’amour est bleu sur son ukulélé comme si c’était de la guitare classique. Magnifique ! Il me dit : « Je veux faire un disque avec vous. Je viendrai à Paris, convoquez un grand orchestre à cordes, mais je voudrais que vous me fassiez aussi deux chansons originales. » Alors, je compose Song for Anna et une autre, peu connue. On enregistre au Palais des Congrès à Paris et le disque est sorti aux États-Unis sous le label d’Herb Alpert (A & M). Il est resté trois mois dans les hit-parades avant de sortir au Japon, au Brésil, au Mexique... Mais il n’est pas connu en France. La version française de Song for Anna a été enregistrée par les Compagnons de la Chanson sous le titre La chanson pour Anna.
Votre fils Daniel a fait de la musique à un moment. Au début des années 70, il a connu un petit succès avec Wakadi Wakadou...
Oui, mais pas longtemps. Il a voulu faire des chansons et a travaillé avec Frank Thomas. Il a fait de belles musiques. Je l’ai produit et... ça n’a pas du tout marché. De dépit, il est parti dans le désert avec sa femme... en 2 CV. Arrivés là-bas, ils ont vendu la 2 CV et ont acheté des chameaux pour se promener dans le désert. Ça a été une révélation et à son retour en France, il a créé « Terre d’aventures », qui a été une innovation dans le tourisme.
C’est une agence de voyages ?
Un peu particulière, il faut faire ça une fois dans sa vie : coucher sous la tente, dans le désert, sous les étoiles. Il a créé un concept vraiment nouveau qu’il a revendu voici quelques années et maintenant, il vit de ses rentes. Il fait de la peinture, et quand même encore un peu de musique.
Et vous, quelle musique écoutez-vous ?
Je n’écoute pas beaucoup de musique. Mes droits d’auteur m’ont permis de bien vivre. Donc, maintenant, je ne veux plus me fatiguer ni baisser ma culotte. La dernière fois que j’ai apporté des copies de mes maquettes chez Universal, ils m’ont dit : « Il faut faire de l’Obispo ou du Goldman. » Je leur ai répondu de s’adresser à Obispo ou à Goldman ! Le métier a beaucoup changé. Tout est formaté. Il n’y a plus de place pour la fantaisie et tout ce qui faisait l’intérêt de notre métier. Maintenant, il faut prendre dix fois son téléphone : tapez 1, tapez 2, tapez 3... ou je ne sais quoi. Je ne me suis pas fait du tout à ce monde-là. Je n’ai pas Internet, pas d’ordinateur, pas de téléphone portable. Je vis très bien sans. Je m’amuse en voyant les gens autour de moi râler que « ça ne passe pas... » Sans arrêt, on m’appelle d’une voiture. La communication se coupe. C’est insupportable.
Propos recueillis par Raoul Bellaïche
• Entretien publié en 2008 dans le n° 2 de JE CHANTE MAGAZINE (disponible).
Paru chez Universal : un coffret de 6 CD, avec 133 titres.