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Étienne Roda-Gil, « poète industriel »


On l'appelait Roda est un documentaire de Charlotte Silvera, sorti au cinéma en 2018 et aujourd'hui disponible en DVD. Au départ, la réalisatrice est présente aux nombreux entretiens qu'Étienne Roda-­Gil, entre 2003 et 2004 (l'année de sa mort), a accordé à Philippe Crocq et Alain-­‐Guy Aknin pour leur biographie, Le Maître Enchanteur, parue chez Flammarion en 2005. Telle une petite souris, elle assiste à ces rencontres, munie de sa caméra, avant de poursuivre, à son propre compte, la fréquentation de l'homme à la crinière blanche, chez lui devant sa machine à écrire électrique ou à travers ses déambulations, clope au bec, dans les endroits de Paris qu'il affectionnait, notamment la Closerie des Lilas, sa « maison secondaire »... « J'ai voulu faire ce film pour laisser une trace du passage sur terre d'Étienne Roda-­Gil... », explique la réalisatrice à qui l'on doit plusieurs longs métrages, notamment Louise... l'insoumise en 1985.


Auteur d'albums entiers pour Julien Clerc, Mort Shuman, Rachid Bahri, René Joly, Michel Corringe, Gérard Lenorman, Richard Cocciante, Vanessa Paradis, Johnny Hallyday ou Juliette Gréco, ou collaborant ponctuellement avec d'autres artistes (Le Bourreau pour Barbara, Boulevard des Batignolles pour Yvan Dautin), Roda-Gil se définissait comme un « poète industriel ». « C'était mon usine », dira de lui Julien Clerc. Il était aussi un homme de paradoxes : « Mon propos est de détruire l'industrie. Or c'est l'industrie qui me paie ! », constatait-il, allusion sans doute à ses tubes grand public comme Alexandrie, Alexandra et Joe le taxi. « La musique populaire est une musique fondée sur l'inconscient », affirmait-­il lorsqu'il évoquait sa courte, mais efficace collaboration avec Claude François. Et d'ajouter : « Les intellos qui parlent de "variète" sont infoutus d'en faire autant ! »


Commentant la chanson Petit barbare, enregistrée par Juliette Gréco en 1993, et faisant allusion aux premières tensions communautaires dans le pays, il émet un constat : « Lorsqu'une société fabrique des barbares, c'est normal qu'elle se les prenne dans la gueule... »


Plusieurs intervenants apportent leur éclairage sur l'œuvre – 747 chansons et pas de fonds de tiroir, confiait-­il – et sur l'homme : Jean-­Claude Petit, arrangeur des albums de Julien Clerc, qui insiste sur l'immense culture de Roda-­Gil, Jean-­Pierre Bourtayre, Julien Clerc, Roger Waters (Pink Floyd), Vanessa Paradis, Jacques Le Glou, maître d'œuvre de l'album « Pour en finir avec le travail », paru en 1974, pour lequel Roda-­Gil, crédité « anonyme ukrainien », écrivit la célèbre Makhnovtchina sur l'air du Chant des Partisans russes...


« Son but était de parler au peuple avec un langage que personne ne pouvait comprendre. Mais grâce à la musique, il y avait le véhicule », dit encore Jean-­Claude Petit. « Il ne s'exprimait pas de la même manière que les autres. Le charme d'Étienne, c'est la contradiction. C'était un séducteur. Par le discours, par sa présence physique et par ses grandes phrases fatales. Il en sortait sans arrêt... »


« Roda, affirme Julien Clerc, c'était une vision triomphante de l'amour, même dans le malheur. » Pour Charlotte Silvera, « il savait, par une espèce de fulgurance, exprimer une pensée en très peu de mots. »


R. B.


• On l'appelait Roda, DVD Doriane films. 1 h 37 + 26' de bonus.


Chronique parue dans JE CHANTE MAGAZINE N° 17.

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