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Une chanson douce que me chantait ma maman... Interview de Maurice Pon (2003)

Chanson emblématique d’Henri Salvador, Une ­chanson douce a été écrite il y a... 70 ans ! Souvent assimilée à du folklore, elle est régulièrement reprise : par Bernard Lavilliers sur l’anthologie « Ma chanson d’enfance » et par le Trio Esperança qui en a fait une version ­brésilienne sur l’album « Nosso Mundo ». On peut aussi l’entendre dans deux films récents : C’est la vie, de Jean-Pierre Améris, et dans A. I., la superproduction de Steven Spielberg ! Dans un autre registre, Une chanson douce a été détournée par Chanson Plus Bifluorée, sur leur premier album en 1991, sous le titre... Le moteur à explosion. Quant à l’écrivain Éric Orsenna, il lui rend hommage en intitulant un de ses livres La grammaire est une chanson douce... Retour sur une chanson-phare des années 50 avec son auteur, Maurice Pon.

Comment est née Une chanson douce ?

Attendez ! Commençons par le début. la première chanson que j’ai écrite sur une musique d’Henri, c’est Dors, mon petit ange puis Bon à rien. Elles ont été rééditées sur les compilations Frémeaux et Rym Musique. Ensuite, il y eu Le ciel, qui a été enregistré par Yvon Gardette et son quartette. Et c’est après qu’arrive la Chanson douce... Le copyright est de 1950 mais elle a été écrite en octobre 1949.

Tous les soirs, je me trouvais dans la loge d’Henri à l’A.B.C., Bernard Michel nous rejoignait après son propre spectacle — il était comédien aux Bouffes Parisiens. C’est dans les loges de l’ABC que j’ai rencontré pour la première fois Jacqueline. Un soir, Henri me dit : « Tiens, j’ai une musique. Fais-moi des paroles dessus... » Le lendemain, je lui montre mon texte qui évoquait les îles : « Là-bas dans mon île, ta la la la la la la / Je vis bien tranquille dans les bras de ma doudou... » Henri avait déjà chanté des chansons comme Ma doudou, Ti Paule, Ela diz que tem... Il me dit : « Oh ! J’en ai assez d’être catalogué chanteur des îles ! Fais-moi autre chose, un truc tout simple... »

Je repars un peu déçu. Et dans la nuit, j’ai écrit Une chanson douce, c’est venu comme ça. Ce sont les mots qui sont venus d’abord : « Une chanson douce que me chantait ma maman / En suçant mon pouce j’écoutais en m’endormant... » D’ailleurs, ce n’était pas logique, j’aurais dû ­commencer par le deuxième vers, mais les mots me sont venus dans cet ordre-là... Ça a vraiment été une chanson d’inspiration que j’ai finie dans la nuit. J’ai un brouillon tout raturé.

La chanson finie, je l’apporte à Henri. Jusque-là, il avait à son répertoire pas mal de mélodies de crooners comme Si jolie, Ciel de Paris, Monsieur le bon Dieu, Quand je me souviens... C’est alors qu’il se met à chanter Une chanson douce, qui plaît à ­beaucoup de monde. Signe qui ne trompe pas, elle est reprise par de nombreux interprètes : Jil et Jan chez Decca (les futurs auteurs de Johnny Hallyday étaient alors chanteurs), Lisette Jambel chez Pathé, Marie-José chez Odéon, Paulette Rollin chez Mercury, Tohama... C’est quand même cette chanson qui a contribué au grand démarrage de Salvador.

Henri Salvador à la télévision italienne en 1961

Pourquoi le second titre entre parenthèses (Le loup, la biche et le chevalier) ?

Au départ, c’était le titre de la chanson puisqu’il était question d’un loup, d’une biche et d’un ­chevalier ! Mais très vite, le public la désignait sous le titre Une chanson douce... Si bien qu’on a été obligés de demander une dérogation à la SACEM pour avoir un sous-titre car le sous-titre n’est permis que lorsque le titre ne comporte qu’un mot alors qu’ici il y en avait trois. Ça a été accepté puisque la chanson est très vite devenue un succès.

Doris Day chante "Make it soon" en 1952

Elle a dû être reprise à l’étranger, non ?

Il y a eu une version chantée par Doris Day sous le titre Make it soon, mais qui ne respectait pas l’idée de la chanson et ça n’a pas beaucoup marché. Ensuite, il y a eu une autre version américaine par des duettistes qui s’est appelée French Lullaby et qui, elle, était assez fidèle à notre chanson. Et cette seconde version a si bien marché que, tout récemment, Steven Spielberg en a utilisé un extrait dans son film A. I. (Intelligence Artificielle). Tout l’été 2001, je l’ai passé au téléphone et au fax à discuter avec la Warner... Au départ, ils ont cru que c’était une chanson du folklore ! Le film était déjà sorti quand la SACEM les a alertés et ils ont dû refaire le générique. La chanson ne figure pas sur le CD de la bande originale du film, parce que la musique est entièrement de John Williams, mais on l’entend dans le film, pendant trente secondes environ. Vous pouvez l’entendre très distinctement sur le DVD du film.

De fait, j’ai longtemps pensé que c’était une chanson traditionnelle des îles...

Vous êtes excusable ! En 1951, dans les journaux qui présentaient les programmes de la radio, Le loup, la biche et le chevalier était crédité comme « folklore ».

Propos recueillis par Raoul Bellaïche, le 28 novembre 2003 à La Varenne Saint-Hilaire.

• Extrait du hors-série n° 2 de JE CHANTE, spécial Henri Salvador (2004), toujours disponible. (cliquez sur la couverture)

• Autobiographie de Maurice Pon parue en 2012. (cliquez sur la couverture)

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