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Ève Griliquez (1927-2017), un parcours libre


 

Nous avons appris, vendredi 4 août 2017, la disparition d'Ève Griliquez, décédée la nuit dernière. Comédienne, interprète, elle était surtout connue comme productrice à la radio et à la télévision d'émissions consacrées à la chanson : Libre parcours variétés, sur France 3 (1973-1974) – où elle invitait « ceux qui ne vont pas chez Maritie et Gilbert Carpentier » – en était la plus emblématique. Suivra de 1985 à 1987, Repérages sur France Culture, émission dans laquelle elle fait connaître les nouvelles voix de la chanson française.

En 1994, Jacques Roussel l'avait interviewée dans son émission sur Fréquence Paris Plurielle. L'entretien avait été publié dans JE CHANTE n° 15. En voici l'intégralité.

 

Ève Griliquez, parle-nous de tes débuts ?

Vers la fin des années 50, je suis passée au cabaret de L'Écluse où j’ai fait des tours de poésie, Rentrée ensuite à la radio comme comédienne, ce n'est que longtemps après que je suis devenue productrice. J’ai proposé, pour la première fois en radio, de faire des émissions autour des grands poètes du monde entier. La première série que j’ai faite s’appelait Poètes du siècle. En même temps, j’ai commencé à faire les premiers spectacles.

C'est bien à L'Écluse que tu as découvert la chanson en écoutant, entre autres, Cora Vaucaire et Giani Esposito ?

J'ai passé ma première audition à L’Écluse devant les patrons, Léo Noël, Marc Chevalier, André Schlesser et Brigitte Sabouraud. Cora Vaucaire, qui était là par hasard, a été une des premières qui m’a écoutée... J’étais éblouie et je suis toujours émerveillée par Cora Vaucaire. C’est une de nos rares chanteuses-diseuses qui existent, je crois qu’il n’y en a pas deux en France... J’avais composé un tour de poésie et je suis passée dans un programme avec elle, pas en premier numéro parce que la poésie, c’était difficile pour attaquer un spectacle. J'ai commencé en disant des poèmes de Garcia Lorca. Je suis passée avec Jacques Dufilho qui faisait des numéros d’humour et là, j’ai eu un coup de foudre pour la chanson. D’avoir cotoyé des chanteurs, il m’est resté un amour profond de la chanson. J’ai vu Barbara et beaucoup d'autres chanteurs – Jacques Brel n’y est resté qu’une quinzaine de jours. J’allais faire des petits tours dans tous les cabarets. Je connaissais bien le Milord L'Arsouille que dirigeait Francis Claude, j’ai auditionné à L’Échelle de Jacob.

Tu as produit plusieurs émissions de chanson sur France Culture : Libre parcours variétés, à partir de 1970, et Repérages en 1985, en compagnie de François- Régis Barbry. Ces deux émissions publiques ont permis de révéler et faire connaitre des jeunes talents dont certains depuis sont devenus des vedettes.

Avant Libre parcours variétés et avant Repérages, j’avais fait Prélude pour la nuit et Prélude pour l’après-midi – tout dépend de l’heure de leur diffusion –, une série d’émissions basées sur l’humour. J'ai fait des émissions autour de Jacques Prévert, Robert Desnos, Boris Vian, entre autres. J’ai également fait mes premières émissions sur la chanson et un des premiers chanteurs avec qui j’ai travaillé dans un spectacle – cela se passait dans une Maison de la culture, a été Dave.

Ça semble bizarre, mais avec l’époque Dave était quelqu’un qui avait certaines ambitions et il avait une belle voix. J’ai fait un spectacle sur la mer avec lui, en compagnie de Marc Ogeret et de Francesca Solleville. Cela amuse toujours Francesca Solleville d'être passée avec Dave !

Les chanteurs sont un peu compartimentés et ne se mélangent pas trop. Moi, j’ai toujours trouvé formidable de mélanger les uns avec les autres. Libre parcours a démarré sur l’idée de faire se côtoyer à la fois des gens qui faisaient du jazz, de la chanson, de l’humour, de la musique classique, de la musique contemporaine, bref, des gens de tous les genres et de tous les styles.

Je trouvais intéressant de faire passer, par exemple, Jacques Bertin en même temps qu’un chanteur populaire, Gilles Elbaz et Lucette Raillat... L'idée était d'abattre les cloisons dans la chanson aussi bien que dans le jazz. Dans mes émissions, j’ai eu aussi bien des grands ensembles qui faisaient du jazz New Orléans que Michel Portal, clarinettiste classique. J’ai aussi commencé un travail sur la musique traditionnelle. Ça semble évident, en 1994, de prôner les musiques musiques traditionnelles et métissées, tout le monde fait ce parcours aujourd'hui, c’est même devenu très branché. Mais à l'époque, ce n'était pas quelque chose d'évident.

Dans les années 70, j'ai commencé à faire de la musique traditionnelle avec Chemirami, qui jouait du zarb, un instrument iranien, j’ai travaillé avec des groupes turcs, avec des musiciens sud américains. C’était une innovation à cette époque là.

Tu prétends qu'aujourd’hui le terme de « rive gauche » est une anathème jetée à tout artiste qui écrit ou interprète des chansons dites à texte. Si Brel, Brassens, Ferré, Leclerc arrivaient, on n’en voudrait plus. Il y a pourtant de nombreux jeunes talents dont on parle, que les initiés connaissent et qui ont d’énormes qualités.

Je ne veux pas dire qu’à notre époque les Brel, Brassens, les Ferré n’existent plus. Je pense que la chanson française est formidable, parce qu’elle est extrêmement diversifiée et qu’elle fait se côtoyer une Véronique Pestel qui s’accompagne au piano et un Éric Larenne qui fait du rock, mais un rock un peu littéraire, écrit.

Un groupe comme la Mano Negra fait un rock intéressant. Higelin a apporté une grande qualité littéraire et d’invention dans le rock. Si Brassens arrivait aujourd'hui, je me demande ce que penserait le public de ce style ce chanteur. Il ramerait comme les autres. Tout le monde reconnait Brassens, il est devenu un classique, même pour la jeune génération. Mais une grande partie du public ne sait pas qu’il existe Bernard Haillant, Marie-Josée Vilar, Allain Leprest, un certain type de chanteurs qui ne sont pas forcément ceux qu’on entend dans tous les médias. Plein de gens n’ont pas le choix et assimilent la chanson à ce qu’on entend à longueur de temps sur les ondes et à la télévision.

C’est la tarte à la crème, les nouveaux talents ! Tout le monde fait sa petite démagogie sur les nouveaux talents. Il faut absolument donner la place aux nouveaux talents, mais il ne faut pas écraser les autres chanteurs.

Marie-Josée Vilar est quelqu’un qu’on a beaucoup écrasé. Je parle toujours des chanteurs de la quarantaine qui sont en quarantaine. Ils ont quinze ou vingt ans de carrière et ne sont pas devenus des vedettes. Ce sont des chanteurs de qualité qui constituent le bon fonds de la chanson française et, finalement, ces chanteurs on n’en veut pas. On les trouve trop vieux, passés de mode. Un certain nombre d’émissions se refusent à inviter ces chanteurs. Isabelle Dhordain s'ouvre nouveaux talents et aux artistes consacrés, mais pas à ce qui est au milieu et qui constitue le fonds de la chanson française.

Si Leprest n’avait pas eu Foulquier pour déclarer tout à coup qu’il est génial, il serait dans le même lot que les autres. Il est navrant de voir que Bernard Haillant chante une fois par mois dans un petit lieu. C’est un chanteur formidable qui aurait dû passer depuis longtemps au Théâtre de la Ville. Même chose pour Michèle Bernard, une chanteuse extraordinaire... On dit de ces artistes-là : « S’ils ne sont pas arrivés à quelque chose, c'est que leur temps est passé. » C’est une terrible injustice.

Il y a peut-être aussi un manque de lieux pour chanter. À l’époque de L'Écluse, il y avait plusieurs artistes qui se produisaient sur scène au cours d’une même soirée. Aujourd’hui, n’importe quel jeune pas préparé fait son récital bien ou mal, à tort ou à travers. La scène, ça s’apprend. Et puis, il y a aussi les écoles de la chanson.

Pour les gens qui débutent, c’était très bien qu'il y ait des cabarets comme L'Écluse, le Milord L'Arsouille ou chez Georges. Un premier numéro chantait trois ou quatre chansons, il se faisait les dents, comme on dit. Diane Dufresne a démarré à L'Écluse en premier numéro. Pia Colombo y est passée pendant un an. Les artistes apprenaient leur métier en chantant quelques chansons.

Aujourd'hui, l'exigence économique fait qu’un chanteur doit chanter une heure. On se paie des soirées angoissantes car tout le monde n’est pas capable de chanter pendant une heure ! Il faut déjà avoir une dizaine d’années de métier pour le faire. On prend le métier à l’envers, on fait faire des disques trop tôt aux gens. Jacques Brel, à ses débuts, n’a pas fait un disque tout de suite.

On manque aussi de lieux, et ce qui est devenu difficile pour les chanteurs, c’est que les trois quart du temps, ils doivent les payer. Pour chanter à Paris, il faut louer une salle de théâtre, s'offrir une attachée de presse, payer la promotion. Pour chanter, Il faut déjà avoir beaucoup d’argent !

Revenons à Ève Griliquez, à ta carrière, à l'époque où tu interprétais Federico Garcia Lorca à L’Écluse.

J’ai suivi deux chemins parallèles. Le chemin de productrice de radio a consisté à s’occuper des autres et à essayer de les mettre en valeur. J’ai eu la chance de pouvoir décrocher des émissions à la radio et j’ai suivi une carrière personnelle que je ne regrette pas. Beaucoup de comédiens de qualité sont restés sur la touche et n’ont plus l’emploi. Moi, j’ai eu la chance de me rattraper d'une autre manière. Mais, bon an mal an, j’ai au moins monté trois ou quatre spectacles. Ce n’est plus le cas maintenant, c’est devenu trop cher. Je me rappelle toujours avec nostalgie les années 1975 où on pouvait se monter un spectacle au Mouffetard avec des artistes comme Jacques Doyen ou Denis Manuel, des gens qui chantaient, des musiciens comme Una Ramos...

Pour « En avant la zizique », j’avais collecté des textes inconnus ou méconnus de Boris Vian et constitué une petite troupe. On avait joué à la Gaité Montparnasse à 18 heures 30, un beau théâtre que je ne pourrais plus me payer... Quand j’ai monté le spectacle sur Boris Vian avec Michel Roque et Marie-Thérèse Orain, on n’avait pas toutes les caisses de sécurité sociale qui nous tombaient dessus, on n’était pas conditionné par un environnement social comme maintenant. Aujourd’hui, si on n’a pas de subventions, si on n’a pas un peu d’argent, si on ne peut pas payer les gens, si on ne peut pas les mettre aux Assedic, on ne peut rien faire... On a une mentalité de futurs retraités. Les gens ne raisonnent plus comme on a pu raisonner quand on était plus jeunes. Nous on s’en foutait, on ne pensait pas à la retraite mais surtout à monter des spectacles, à se faire plaisir, à tenter notre chance. Maintenant, c’est très difficile de tenter sa chance.

Tu défends la poésie française mais tu as également monté des spectacles sur la Bretagne, le Chili, l'Argentine, l'Espagne, la Turquie, les Arméniens, la culture juive, yiddish, arabe... Un beau palmarès !

Attention, ce n’est pas moi qui parle toutes ces langues. Je ne parle pas l’arménien (rires). En fait j’ai deux formules de spectacles.

J'ai monté des spectacles sur des auteurs comme Vian, Queneau, Desnos, autour de la poésie française, avec des poèmes, des chansons, de la musique, et des spectacles que j’appelle « Les chants profonds «, centrés autour d’une civilisation, d’un peuple et de son histoire. J’ai monté des spectacles sur l’histoire du peuple arménien, autour de Nazim Hikmet et de poètes latino-américains. Je me sens Argentine quand je fais un spectacle sur le tango, Juive quand je fais un spectacle en yiddish, Turque quand je fais un spectacle sur Nazim Hikmet... Je me sens proche de toutes les musiques. J’ai une trajectoire et un esprit qui font que je m’adapte à énormément de cultures

Tu as une discographie fournie. Tu as enregistré aux côté de grands comédiens comme Jean Vilar, Laurent Terzieff, Michel Bouquet, Alain Cuny, Jean-Louis Barrault, Maria Casarès, François Chaumette, avec des musiciens tels que Una Ramos, François Rabbath, Bles Sanchez, Benoît Charvet, Juan Carasco, Juan Jose Mosalini, Pierre Mortarelli... On te doit aussi des disques comme « Mes potes les poètes » et « Le tango pile et face » avec Oscar Sisto. Impressionnant !

Pour la plupart de ces disques, j’étais réalisatrice, je ne les ai pas seulement enregistrés. Le premier que j’ai fait s’intitulait « L’honneur des poètes », au Chant du Monde. C’était un disque sur la Résistance. J’en était très fière parce que je l’avais réalisé avec Jean Vilar et Laurent Terzieff. Ensuite, j’ai fait un disque sur la Révolution d’Octobre avec Alain Cuny, Michel Bouquet, Daniel Ivernel. Ce sont des disques de collection, mais ce n’était pas du tout rentable.

Tu connais pas mal de poètes contemporains.

J’ai eu le plaisir de rencontrer Pablo Neruda sur lequel j’ai réalisé un premier disque avec Jean-Louis Barrault, Maria Casares et Laurent Terzieff. J’ai très bien connu Raymond Queneau, Jean Tardieu – qui a été mon patron à la radio –, Raphaël Alberti, un poète espagnol, ou Nazim Hikmet que je considère comme l’un des plus grands poètes de notre siècle. Je trouve formidable d’avoir pu approcher des gens aussi extraordinaires... J’ai aussi rencontré des chanteurs celèbres, mais ma plus grande fierté va vers la poésie et le fait d’avoir approché un petit peu de quelque chose qui est l’essence du monde. C’est l’une des grandes réussites de Léo Ferré et de Jean Ferrat d'avoir su fait passer la poésie. Les gens ne savent même plus qu’ils entendent du Aragon, ils entendent une chanson, tout simplement.

Dire des poèmes, c’est une vocation ?

Oui, une vraie vocation, et on n’est pas très nombreux, en France, à l’avoir eue. Jacques Doyen disait toujours qu’il était « entré en poésie ». Ce n’est pas la même chose qu’être comédien. Un bon comédien peut être un très mauvais diseur, et réciproquement.

Tu as été longtemps la seule femme à faire partie de la très sérieuse Académie Charles-Cros (maintenant, vous êtes deux).

« En avant la zizique », de Boris Vian, que j'avais réalisé en 1970, a reçu le Grand Prix en 1971, à l’époque où je ne faisais pas encore partie du jury, bien entendu ! Avec l’hommage à Queneau, j’ai reçu le Prix de l’Académie du Disque Français. Pour ce qui est de mon travail au sein de l'Académie Charles Cros, Il faut juger un disque sur sa qualité, la prise de son et tout ce qui fait qu’on le remarque plutôt qu’un autre. En tout cas, on écoute beaucoup de disques.

Tu te produis à l’étranger. Comment ça se passe ?

En général, dans les centres culturels Français, il y a un public francophone. Ce sont des étudiants, des professeurs qui ont déjà une connaissance de la langue. Lorsque je vais en Roumanie, par exemple, qui est un pays francophone, les gens qui viennent me voir sont des Roumains, alors qu’il m’est arrivé, en Norvège ou en Suède, d’avoir un public composé de Français. J’ai fait trois récitals en Roumanie – mes parents sont originaires de ce pays –, dont un pour la communauté juive de Timisoara qui reste un formidable souvenir. Je me demandais que ce les gens pouvaient bien comprendre de ce que je leur racontais, et je me suis rendue compte, à la fin, qu’ils avaient tout perçu. Peut-être par la force de l’expression et la conviction que l’on peut apporter, par les mots.

Je suis allée à Valparaiso, dans un lycée français, à l’époque de la dictature de Pinochet et pour tous ces jeunes qui m’écoutaient avidement, j’étais la France, j’étais les mots de la liberté, les mots de la France. Je trouve que c’est très important d’envoyer la poésie à l’étranger. Malheureusement, on l’envoie de moins en moins, sous prétexte que c’est quelque chose de difficile. Un ministre qui parle de la francophonie devrait aller voir que dans les pays étrangers, petit à petit les Alliances Françaises ferment et que dans certains endroits, il n’y a presque plus personne.

 

Concert-récital "La Poésie c'est cela", organisé par L'association "Le Chant des Hommes" au T.A.C à Bois Colombes, le 27 mai 2011. Avec Uña Ramos, Eve Griliquez, Luis Rigou, Jean-Luc Debattice, accompagnés à la guitare par Bruno Ulysse Pauvarel.

 

N'as-tu pas l’impression que dans certains pays on est beaucoup plus à l’écoute de la culture ?

Oui. Quand on va chez les Nordiques, chez les Suédois, on rencontre toujours des gens très intéressants. Ce sont des peuples qu’on connaît mal parce qu’on aurait plutôt tendance à aller vers les méridionaux. Je suis allée à Oslo faire une conférence d’une heure et demie sur la chanson française devant des gens très attentifs. Ils ignoraient tout de la chanson française. Renaud ou Jonasz, ça ne leur dit rien du tout. Ils connaissent un peu Édith Piaf, Charles Aznavour, Mireille Mathieu et Georges Brassens qui à été traduit dans beaucoup de pays étrangers. Je suis invitée à Buenos Aires au mois d’avril prochain pour parler de Brassens.

Ne penses-tu pas que dans là où les gens sont brimés, la culture a une place beaucoup plus importante ?

C’est une question très complexe. On a toujours dit que les peuples qui subissaient des dictature se rebellaient. Il y a toujours eu un énorme public dans les pays de l’Est à l’époque du communisme, les gens protestaient par le théâtre et l’art. Depuis qu’ils se sont libérés, qu’ils essaient l’économie de marché et le mode de vie occidentale, il n’y a plus personne dans les théâtres. L’art est une sorte de résistance.

Quels sont les souvenirs d’enfance qui t’ont marquée ?

Les souvenirs qui m’ont marquée en bien, c’est la chaleur de mes parents. Mon père était un petit tailleur juif, c’était des gens chaleureux et généreux. J’ai eu une enfance choyée, mais il y a eu la guerre, j’ai porté l’étoile jaune... Je préfère ne pas m’étendre sur les souvenirs. En cette période du cinquantenaire de la libération des camps, tout le monde en parle. Je n’ai pas été déportée, mais, par contre, j’ai un grand nombre d’oncles et de tantes qui sont morts du typhus à Auschwitz.

Tu as beaucoup d’amis dans ce métier. Est-ce que ceux que tu as fait connaître viennent te voir dans tes propres spectacles ?

Non, pas souvent. J’ai quand même quelques fidèles, comme Jean Guidoni ou Bernard Haillant... Mais il y en a un paquet qui ne viennent jamais me voir et qui ne savent même pas que je suis montée sur une scène.

Quels sont les gens du spectacle qui ont marqué ton existence et qui t’ont vraiment apporté quelque chose ?

Je vais me répéter : ce sont les poètes. Les gens de la chanson, aussi, mais je n’aime pas les grands rassemblement, les salles de dix mille places. J’ai des souvenirs très émouvants de certains soirs où l’on est cinq ou six dans une salle et où l’on assiste à la naissance d’un artiste. J’ai ressenti ça avec Nilda Fernandez. On se sent privilégié parce que l’on devine que celui-là ira loin et qu’on aura été là au début... J’ai aussi des souvenirs formidables comme d’avoir vu chanter Édith Piaf ou Jacques Brel à l’Olympia.

Tu es quelqu’un qui n’hésite pas à dénoncer les magouilles de ce métier. Est-ce que des portes ne se sont pas fermées devant toi ?

Je ne me pose pas la question ! Je n’ai pas mauvais caractère, mais je suis assez franche, et peut-être maladroite, mais je ne dirais pas de vacheries sur les humbles. En revanche, je ne suis pas timorée, je ne me gêne pas pour dire ce que je pense !

J'aime ? Je déteste ?

J’aime la générosité, la chaleur humaine, l’intelligence, l’humour. Je n’aime pas le contraire de ce que j’aime.

Ne faudrait-il pas beaucoup de personnes comme toi pour tirer la poésie de son ghetto culturel ?

Il est vrai que peu de gens s’attaquent à la poésie parce qu’ils ont peur : on n’est pas très aidés, dans ce domaine... Nous sommes tout de même quelques uns à la défendre. Laurent Terzieff, que j’aime beaucoup, défend la poésie comme je l’aime. J’aimais beaucoup aussi Jacques Doyen qui a malheureusement disparu. C’était un diseur exceptionnel. J’ai beaucoup aimé Jean Martin avec qui j’ai fait des spectacles, ainsi que Roger Blin.

Propos recueillis par Jacques Roussel en 1994.

 

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