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Les Troubadours : entretien avec Franca di Rienzo


Le label Magic Records vient de publier une compilation des Troubadours, avec 25 titres enregistrés entre 1965 et 1968 chez Disc'AZ. L'album s'ouvre sur Le vent et la jeunesse, leur grand succès de 1967, présent ici en versions mono et stéréo.

Pour l'occasion, nous mettons en ligne cette interview de la chanteuse Franca di Rienzo parue EN AVRIL 2009 dans JE CHANTE MAGAZINE n° 4.

 

« Le folklore est l’expression du génie populaire. Les Troubadours parcourent le monde et chantent des mélodies qu’ils ont choisies pour vous. Pour eux, le folklore n’a pas de frontières. Il peut être un trait d’union entre les hommes car la musique et le rythme sont langage universel, simple et direct. » La préface du premier album des Troubadours, paru en 1967, éclaire la démarche de ce groupe né deux ans plus tôt à l’initiative du compositeur Christian Chevallier. Mais le répertoire des Troubadours ne se limitera pas au seul folklore.

JE CHANTE MAGAZINE.— Avant les Troubadours, vous aviez chanté vous-même toute seule ?

FRANCA DI RIENZO.— Oui, j'ai commencé très tôt. Je chantais déjà toute seule lorsque j'ai connu Christian Chevallier, à mon arrivée en France. Jusque là, j'avais l'habitude de me produire dans des boîtes de jazz, là où les gens ne font pas très attention à la chanteuse dans la pénombre... Et lorsque je me suis retrouvée sur une scène à chanter toute seule, en pleine lumière, j'ai été vraiment prise de panique. Pendant longtemps, j’ai chanté plutôt dans la... souffrance. Un jour, Christian m’a dit : et si on faisait un groupe ? Et à partir du moment où je n’étais plus seule sur scène, mais avec mes trois compagnons d’abord, puis deux, avec lesquels j’ai chanté pendant près de dix-neuf ans, j’ai retrouvé le bonheur de chanter.

Au départ, sur les pochettes de disques, Les Troubadours ce sont quatre personnes...

Nous avons été quatre pendant quelques années : Jean-Claude Briodin, Donald Burke, Pierre Urban et moi. Pierre Urban, qui a quitté le groupe au bout de quelques années, était un guitariste plutôt classique. Nous nous sommes séparés parce que nous n’allions pas vraiment dans la même direction, nous n’avions pas le même accord qu’avec les deux autres et nous nous sommes séparés de façon un peu orageuse... On a continué tous les trois pendant de longues années, avec beaucoup de bonheur.

Quand ce n’étaient pas des reprises de folksongs, Christian Chevallier était très souvent le compositeur des chansons que nous chantions. Don Burke en a composées aussi. Christian nous faisait répéter et lorsque nous étions en voyage, il continuait son métier d’arrangeur.

 

Dans Les Poneyttes, film de Joël Lemoigne réalisé en 1968, qui réunit une pléiade de chanteurs (Johnny Hallyday, Danyel Gérard, Sylvie Vartan, Carlos...) et de gens de radio (Hubert Wayaffe, le « président » Rosko...), on peut voir Les Troubadours sur les berges de la Seine en train de chanter Conquistador, une chanson de Barbara Scott et Philippe Money, enregistrée le même année sur Disc’AZ.

Captures du DVD : Franca di Rienzo et Don Burke, Jean-Claude Briodin et Pierre Urban.

Franca di Rienzo et Don Burke

Jean-Claude Briodin

Pierre Urban

 

Au départ, Les Troubadours pouvaient être perçus comme les Peter, Paul and Mary français...

C’est sûr qu’il y a une inspiration de ce côté-là... C’était un groupe tellement remarquable qu’ils ne pouvaient que nous inspirer. Surtout depuis que Don est arrivé dans le groupe et qu’il a apporté sa façon de jouer à la guitare. La première fois que je l’ai entendu jouer en picking, j’ai cru qu’ils étaient deux guitaristes ! Don a aussi apporté quelque chose de très personnel, une couleur de voix, une façon de jouer et sa personnalité. À partir du moment où nous sommes restés trois, Don, Jean-Claude et moi, nous nous sommes très bien entendus, à tous points de vue. Et nous sommes restés très amis, même après avoir arrêté le groupe. Finalement, Les Troubadours sont nés parce que Christian, me voyant malheureuse de ne pas pouvoir chanter en public sans être dévorée par le trac, a pensé à créer un groupe.

Si vous aviez tant le trac, comment avez-vous fait alors pour représenter la Suisse à l’Eurovision en 1961, avec une jolie chanson intitulée Nous aurons demain ?

Lorsque j’ai quitté l’Italie, j’ai vécu en Suisse. J’ai commencé à chanter à Genève dans des boîtes de jazz. Dans une boîte de la vieille ville qui s’appelait La Tour, je chantais en fermant les yeux alors que les gens dansaient... J’aimais beaucoup les standards de jazz. Des gens de Radio Genève m’ont entendue dans cette boîte et c’est comme ça que je me suis retrouvée à représenter la Suisse Romande à Lugano, avec cette chanson qui a gagné... Il faut croire que j’ai un peu surmonté mon trac ! Mais je me souviens qu’à Cannes, j’étais dévorée de peur et j’avais vraiment l’impression d’avoir très mal chanté.

Votre passage à l’Eurovision, c’était la même année que Jean-Claude Pascal avec Nous, les amoureux ?

Oui, et j’ai également enregistré Nous, les amoureux.

Et aussi Desafinado...

Oui, ce titre fait partie des quelques 45 tours que j’ai enregistrés quand je chantais toute seule.

Donald Burke est un Canadien qui vivait en France ?

Don était professeur de latin dans son pays, le Canada britannique. Il a pris ce qu’on peut appeler une année sabbatique pour venir perfectionner son français en France. Comme beaucoup de jeunes nord-Américains, il savait qu’il y avait à Paris le Centre Américain, boulevard Raspail, où Lionel Rocheman organisait ces fameuses « hootenannies ». Les gens y venaient pour se retrouver dans un milieu plus familier et pour y chanter. Et certains avaient baucoup de talent.

Quelqu’un avait parlé de Don à Christian et je me souviens m’être trouvée devant ce petit bonhomme aux cheveux roux, il n’avait pas encore la barbe... À cette époque, Don accompagnait Joe Dassin. Christian l’a fait chanter de plus en plus aigüe pour savoir jusqu’où il pouvait aller et il s’est tout de suite rendu compte que sa façon de chanter et de jouer convenait parfaitement au groupe. Don est parti en Belgique avec une dizaine de chansons qui constituaient notre répertoire et au bout d’une semaine, il les avait apprises, paroles et musique, et nous avons très vite fait une émission publique avec lui. Et nous ne nous sommes plus jamais quittés pendant dix-neuf ans... jusqu’à la fin du groupe.

Jean-Claude Briodin, lui, a fait partie des Swingle Singers...

Oui, mais surtout des Double Six. C’est un très bon musicien, un saxophoniste de formation qui s’est mis à la guitare. Du point de vue vocal, c’est quelqu’un qui se mettait un peu moins en avant, mais il apportait ses connaissances musicales alors que Don, qui ne connaissait pratiquement pas la musique – moi non plus, d’ailleurs... –, jouait d’instinct. Jean-Claude était aussi quelqu’un de posé, un être très doux.

Comment Les Troubadours ont-ils été engagés chez AZ ?

Pour notre premier disque, nous avions demandé des textes entre autres à Pierre Delanoë. Et je crois qu’il a fait entendre cette maquette à Lucien Morisse qui dirigeait à la fois les disques AZ et la station de radio Europe n° 1. Lucien Morisse a tout de suite dit oui, et à partir de 1965, on a enregistré nos disques chez AZ.

Les trois premiers 45 tours n’ont pas beaucoup marché, semble-t-il...

Nous n’étions pas beaucoup programmés sur les radios, mais il faut bien reconnaître aussi que ce n’étaient pas des chefs-d’œuvre !... Notre premier succès est arrivé deux ans plus tard, avec Le vent et la jeunesse. C’était une belle chanson dont la musique épousait bien les paroles de Rivat et Thomas. Dans cette chanson toute simple, on retrouve bien toute l’élégance des musiques de Christian... Le vent et la jeunesse a eu le « prix de la critique » au Grand Prix de la Rose de France (Rose d’Or) à Antibes, en 1967. Je me souviens que nous étions si peu sûrs de gagner que les garçons avaient déjà remis leurs guitares dans les étuis !... Quand le prix a été proclamé, on est venu nous chercher à toute vitesse pour monter sur scène ! Nous avons alors vu quelqu’un se lever dans le public et venir nous applaudir au pied de la scène... C’était Charles Trenet ! Nous nous sommes dit : Charles Trenet a aimé cette chanson et nous étions... assez fiers !

Le vent et la jeunesse était un texte ou une musique au départ ?

La musique est venue avant et Christian l’avait d’abord confiée à un parolier dont je ne vous dirai pas le nom... Cet auteur était parti de l’idée que si nous n’avions pas assez de succès, c’est parce que nos textes étaient poétiquement trop vagues... Et il nous avait écrit un texte parfaitement réaliste. Tenez-vous bien, je vais vous dire les deux premières phrases : « Je vais me marier sans amour / Avec un homme respectable / Je vais me marier sans amour / Pour être une femme honorable... » ! Bien entendu, c’est moi qui devais chanter ça ! Quand nous avons lu ces paroles, nous avons été absolument horrifiés, quoique ça aurait pu être très bien pour quelqu’un d’autre... Christian s’est alors retourné vers Frank Thomas et Jean-Michel Rivat qui nous ont fait ce très joli texte qui convient parfaitement à la musique. Une chanson réussie, c’est la rencontre entre une ambiance musicale et une ambiance créée par les paroles. Ce qui n’est pas si fréquent. C’est aussi une chanson qui « tombait » bien avec l’époque. En 1967, on parlait beaucoup de la jeunesse contestataire, des hippies...

Juste avant, vous aviez enregistré des chansons américaines adaptées par Graeme Allwright.

Oui, il nous a écrit de beaux textes. Pendant un moment, nous avons tourné avec Graeme. Les Troubadours est un groupe qui a duré très longtemps, mais assez rapidement, les radios nous ont à peu près ignorés. Et vous savez bien que sans le soutien des médias, il est très difficile de faire ce métier comme il faut. Mais nous avons continué à faire des galas – on ne disait pas concerts à l’époque – parce que nous avions un public, un petit public, certes, mais très fidèle.

Vous chantiez où ?

Nous chantions partout ! Beaucoup dans les maisons de la culture, mais aussi dans des fêtes populaires, comme la Fête de l’Huma ou d’autres organisées par le PC. Sans être forcément communistes, nous étions tous viscéralement plutôt à gauche qu’à droite, et nous étions touchés par ce sentiment de fraternité, de naïveté, ce quelque chose de très simple et de très chaleureux qu’il y avait dans ces fêtes... Notre répertoire comportait aussi des chansons qui touchaient ceux qui avaient quelque chose à revendiquer... Nous avons aussi chanté dans des théâtres. On a continué à travailler mais à un moment, on s’est aperçu qu’on avait de moins en moins de demandes. Alors, dans un grand mouvement d’orgueil, on s’est dit qu’on allait quitter ce métier avant qu’il ne nous quitte... Et nous avons décidé de mettre un terme à l’aventure des Troubadours.

Vous avez arrêté au début des années 80... Un de vos derniers disques est un album de chansons de Noël...

C’est le dernier, en 1981. Notre dernière maison de disques a été Unidisc. Serge Letort nous avait contactés pour que l’on y enregistre nos deux derniers albums. Le précédent, intitulé « Rencontre », a été enregistré dans le studio de Christian, installé dans le grenier de notre maison. C’est un disque que j’aime beaucoup... Celui de Noël comportait aussi de jolies chansons. Mais tous nos disques ont disparu, on n’en trouve plus aucun et nous n’avons jamais pensé faire des compilations car nous avons eu plusieurs maisons de disques. Alors, les chansons restent si possible dans le souvenir des gens qui les ont aimées. Et puis, ça suffit.

Mais vous avez continué toute seule à enregistrer des chansons pour enfants...

J’ai continué à le faire pour mon plaisir et parce que j’aime beaucoup les enfants. J’ai enregistré beaucoup de berceuses et de chansons douces pour les tout-petits. D’abord sur 33 tours puis sur deux CD qui existent toujours... quand on les trouve chez disquaires, mais on peut les acheter sur Internet. On me dit que ces chansons continuent de bercer et d’apaiser les tout-petits... C’est quelque chose qui me fait très plaisir. D’autant que ce sont des disques que Christian et moi avons fait ensemble. Christian a fait des musiques sur de très jolis textes. Et nous l’avons fait très simplement, un peu comme je l’aurais fait à un enfant pour l’endormir... Christian avait pris beaucoup de plaisir à faire ces disques. Et même dans ces « petites choses », il y a beaucoup de sa finesse.

Nos petites chansons, berceuses, câlines et douces sont chez Universal. Même si on ne trouve pas facilement ces disques dans les rayons enfants, ils continuent de se vendre. Récemment, nous avons travaillé sur un projet de chansons avec un thème animalier, sur de très jolis textes qu’une dame, qui a du talent, nous a proposés. On l’a fait d’abord pour lui faire plaisir puis on s’est pris au jeu, et on a enregistré une quinzaine de chansons.

Vous avez récemment enregistré quelques titres pour Sélection du Reader’s Digest...

Patrick Campistron a fait appel à moi et à Christian pour enregistrer des chansons du folklore.

Avec Les Troubadours, vous avez participé, en 1966, à la bande originale du film Qui êtes-vous Polly Maggoo ?. Texte de William Klein, le réalisateur du film, musique de Michel Legrand, La ballade de Polly Maggoo est une très jolie chanson...

C’est une étrange mais très jolie chanson quez nous aimions beaucoup... Nous l’avions reprise longtemps plus tard à trois, sur le disque « Rencontre ». Michel Legrand nous avait proposé d’enregistrer cette chanson une fois que le film avait été terminé.

En 1974, vous avez enregistré le générique du feuilleton Les Faucheurs de marguerites... Une réalisation de Marcel Camus, avec Bruno Pradal et Christine Wodetzky. La musique était de Michel Magne et le texte de Jean Yanne...

Ce feuilleton est sorti en DVD il y a quelques années. Ma petite-fille était très contente de me l’offrir, mais... le générique de début et de fin ne comportait plus notre chanson ! Je pense que ce doit être une question de droits, une question bassement vénale... Ce n’est pas grave.

Pour rester dans le cinéma, Les Troubadours chantent aussi Un an c’est vite passé... dans Ras le bol, de Denis Huisman, un film sorti en avril 1973, avec notamment Xavier Gélin et Jean-Pierre Castaldi...

C’est un film que je n’ai jamais vu. Il n’a pas dû faire une grande carrière. Mon Dieu, vous en savez des choses !... Mais vous ne savez sans doute pas que, tout en faisant partie des Troubadours, j’ai eu une dérogation de la part de Don et Jean-Claude pour participer à une comédie musicale sur la Révolution française au Palais des Sports en 1973...

Mais oui, l’ « opéra rock » d’Alain Boublil, Jean-Max Rivière (paroles), Claude-Michel Schönberg et Raymond Jeannot (musiques) ! Vous y jouiez le rôle de Marie-Antoinette et chantiez une chanson qui s’appelle Au petit matin...

Je ne faisais que des apparitions muettes jusqu’au moment où je chantais ma chanson, Au petit matin...

Comment choisissiez-vous vos chansons au moment d’enregistrer un disque ? Qu’est-ce qui vous séduisait : les textes, les mélodies, les harmonies ?

Lorsque Christian faisait les musiques, il nous les proposait. Ensuite on demandait aux paroliers de faire les textes. S’il s’agissait d’originaux américains souvent issus du folksong, ou des chansons de Don – Don écrivait de très jolies chansons –, soit on les chantait en anglais soit on demandait l’adaptation à des paroliers français comme Boris Bergman ou Thomas et Rivat qui nous ont écrit Le vent et la jeunesse et De l’autre côté des collines... En général, on partait de la musique, mais Christian aimait beaucoup composer une musique à partir d’un texte. Quand quelqu’un lui présentait un texte, il avait l’impression de sortir un peu de lui-même... C’était une autre inspiration qui lui était suggérée par le texte.

Henri Gougaud vous a écrit plusieurs chansons dans les années 1972-73...

Avec Les Troubadours, nous avions participé à cette aventure qui s’appelait « Les Gens de la Ville », avec Jean Ferrat, au Palais des Sports en 1972. C’était un sujet assez social. « Les Gens de la Ville » parlait plutôt des cités, d’urbanisme.

Il était aussi question d’écologie...

Oui, aussi, et beaucoup de textes que nous chantions étaient dans cette veine-là. La ville d’or était une très jolie chanson, c’était un peu le songe d’une ville idéale, où beaucoup de place serait donnée à la musique et à la poésie... C’est très utopique, mais c’était le contraire de Sarcelles. Sarcelles, qui était d’ailleurs le nom d’un oiseau à l’origine, un si joli nom devenu synonyme de grands ensembles impersonnels...

Un mot sur Christian Chevallier...

Christian a cessé très vite de se produire en tant que pianiste car il estimait qu’il n’était pas assez bon et qu’il lui manquait quelque chose. C’est pourquoi il s’est rapidement tourné, et avec bonheur, vers les arrangements et la composition. Christian a toujours fait ce qu’il sentait, sans aller voir les gens « utiles » au moment où il aurait fallu pour aller un peu plus loin... C’est un peu dommage, mais il était content de sa vie, alors c’est bien... Ce qui comptait pour lui, c’était l’estime et l’affection que les musiciens lui portaient. Depuis qu’il n’est plus là, si vous saviez le nombre de lettres affectueuses et pleines d’admiration que des musiciens qu’il n’avait pas vus depuis des années m’ont envoyées... Il les respectait beaucoup et eux étaient heureux de jouer sa musique. C’est ça qui comptait pour Christian, beaucoup plus que le succès public. C’est un choix, que je partageais.

Propos recueillis par Raoul Bellaïche

le 14 octobre 2008

• Interview publié en avril 2009 dans JE CHANTE MAGAZINE n° 4. Le même numéro comporte une longue biographie de Christian Chevallier.

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