top of page

Quand une pub d'Intermarché fait découvrir Mouloudji aux jeunes d'aujourd'hui !


Diffusé le samedi 11 mars 2017 sur TF1, juste avant l'émission The Voice, le clip réalisé par Katia Lewkowicz pour l’agence Romance a fait un véritable tabac auprès des téléspectateurs et des internautes, totalisant rapidement plus de cinq millions de vues !

Ce petit court métrage (trois minutes) vantant le « bien manger », raconte le coup de foudre d'un adolescent client du supermarché pour une jolie caissière. Il est surtout porté par une chanson : L'amour, l'amour, l'amour, un « vieux » titre de Mouloudji enregistré en 1963, avec des paroles d'Yves Stéphane (l'auteur de L'amour c'est comme un jour interprétée par Charles Aznavour à la même époque), une musique signée Jack Arel (compositeur du tube I'll never leave you) et une orchestration de Jean Claudric.

« Le clip est magnifique, reconnaît Annabelle Mouloudji, la fille du chanteur disparu en juin 1994. Et je ne peux pas m'empêcher de penser que ce gamin qui tombe amoureux de la caissière, ce pourrait être lui, Mouloudji... Mon fils aîné m'a téléphoné le soir de la première diffusion pour me dire : “Eh maman, j'ai entendu papy Moulou !“ Ça m'a énormément touché qu'il ait reconnu son grand-père... Beaucoup de gens ont adoré la pub et la chanson et se sont demandé qui était le chanteur. Grâce à l'application Shazam, qui permet de connaître le titre et l'interprète d'un morceau, ils ont découvert que c'était Mouloudji. Et depuis, les jeunes connaissent Mouloudji... C'est génial !

Je me trouvais récemment aux Bouffes du Nord où avait lieu une magnifique soirée en hommage à Jacques Prévert. Deux des participants, Cyril Mokaiesh et Babx, m'ont parlé du clip : “Mais quelle voix magnifique ! Je connaissais mal...“ Cela fait du bien d'entendre des gens de trente ans dire ça... Il ne faut pas oublier qu'à son époque, Mouloudji chantait pour des jeunes de son âge ! »

L'amour, l'amour, l'amour avait été samplé il y a une quinzaine d'années par un groupe de musique électronique du nom de Rouge Rouge sur leur premier album « Ce soir, après dîner » sorti en 2002 (Wagram) et il avait figuré sur une compilation de la série Hôtel Costes (N° 5). « Pour la publicité d'Intermarché, ils auraient pu s'en tenir à la version électro, mais c'est bien qu'ils aient repris la chanson dans sa version originale et surtout dans son intégralité. Il faut dire que sur la version originale il y a des arrangements de cordes somptueux ! »

« Ce qui me fait plaisir, ajoute Annabelle, c'est aussi que l'on découvre enfin que Mouloudji n'était pas seulement le chanteur engagé du Déserteur de Boris Vian, une image qui lui colle à la peau, et l'interprète de trois ou quatre chansons et qu'il chantait comme un crooner. Cette “résurrection“, c'est un vrai coup du destin, qui fait beaucoup de bien. C'est un beau message et mon frère Grégory et moi sommes vraiment très contents pour mon papa ! »

« C'est incroyable, cette histoire !, s'enthousiasme le compositeur Jack Arel. Ils ressortent un truc vieux de 54 ans ! Sébastien Cayla, qui s'occupe de la gestion de mes musiques aux éditions Chappell, m'avait dit : "Ça y'est, c'est OK, la réalisatrice est emballée par la chanson." Et puis tout d'un coup, sur TFI, juste avant le débat politique, je vois passer la publicité... Cayla me rappelle le lendemain : “Jack, vous êtes au courant ? On est à plus de deux millions de vues. Mais ce n'est pas tout... La chanson est entrée au hit-parade de iTunes, elle est deuxième, devant Les Enfoirés... C'est la première fois qu'une musique publicitaire entre au hit-parade d'iTunes.“ C'est là que j'ai réalisé qu'il était en train de se passer quelque chose qui m'échappait complètement...

Avec Yves Stéphane, l'auteur des paroles, nous avions présenté la chanson à Mouloudji. Au départ, L'amour, l'amour, l'amour était une valse, mais Mouloudji m'a dit : “Il faudrait changer le rythme, j'ai envie de danser le slow sur cette chanson...“ J'ai dit à Jean Claudric, qui avait fait l'orchestration : “Mouloudji veut que ça danse, alors on va faire danser !“ C'est l'artiste qui tranche, du moment qu'il se sent à l'aise sur un autre rythme... On l'a donc faite en slow. C'est donc parti de l'idée de Mouloudji qui adorait la chanson. Mais elle n'a pas eu un succès retentissant. En fait, pas du tout.

Juliette Gréco devait aussi la chanter. Nous sommes allés chez elle lui présenter la chanson mais elle s'est montrée très hésitante : “Oui, je vais voir...“ C'est donc resté une idée en l'air car elle ne l'a pas enregistrée.

Des publicités, j'en ai faites beaucoup, mais lorsque j'ai vu ce clip, je me suis rendu compte tout d'un coup que, entre les personnages et la musique qui arrive doucement, il y a un véritable moment émotionnel. Et à mon avis, c'est parti de là. Et ça touche les gens. 

Surtout que Mouloudji était complètement oublié. Mais Laurent Balandras m'a dit : “Détrompez-vous, plein de jeunes réclament la chanson.“ Donc, il se passe quelque chose. Il y a des trucs comme ça dans le métier qui nous échappent complètement... Pourquoi maintenant et pas avant ? Ça me fait aussi plaisir pour Yves Stéphane, l'auteur des paroles – il avait aussi écrit L'amour c'est comme un jour avec Aznavour. Les dernières années de sa vie, il revenait souvent à la charge : “Jack, on ne peut pas laisser cette chanson comme ça, fais quelque chose. Il faut la relancer...“ Je lui répondais : “Yves, qu'est-ce que tu veux que je fasse ? Je n'ai pas une baguette magique !“ Yves Stéphane est décédé et s'il nous écoute, il doit être fou de joie !

Je ne sais pas ce qui va se passer mais, si ça continue comme ça, la chanson devrait, en toute logique, être reprise. Moi, si j'étais à la place de Patrick Bruel, je reprendrai L'amour, l'amour, l'amour... Il a déjà chanté des vieilles chansons et avait cartonné en 2002 avec le double album “Entre deux...“ C'est aux maisons d'édition de se bouger ! Mais peut-être faut-il rester sur la version de Mouloudji. »

Le dernier mot revient à l'agence qui a conçu la publicité. Contacté par mail, Alexandre Hervé, directeur de la Création chez Romance, nous précise : « Nous avons fait une recherche musicale avec THE, une production son. Alexandre Rabia qui travaille chez THE nous a proposé une centaine de titres dans des couleurs et des styles très différents (soul, pop-rock anglaise, variété française, variété italienne...). Avec Katia [la réalisatrice du clip], nous avons eu un coup de foudre pour Mouloudji qui était en finale avec Le temps de l'amour de Françoise Hardy. Finalement, le rythme et les paroles de Mouloudji correspondaient parfaitement à l'histoire d'amour que nous voulions raconter. Notre volonté était clairement de marquer une rupture avec les bandes-son que l'on entend un peu trop dans les pubs télé et d'avoir une approche plus cinématographique que publicitaire. Alexandre Rabia est une référence pour nous aujourd'hui dans la recherche musicale puisqu'avec lui nous avions déjà synchronisé des chansons de Jacqueline Taïeb, par exemple. Cela prouve, encore une fois s'il le fallait, que le patrimoine francais est suffisament riche pour ne pas avoir à systématiquement chercher chez les anglo-saxons des bandes-son originales et décalées. »

Raoul Bellaïche (avril 2017)

Voir aussi :

Article du jour
bottom of page